De la vigne à la bouteille : les secrets de durabilité des Domaines Vinsmoselle
Le temps d’une interview, Josy Gloden et André Mehlen, respectivement président et directeur général des Domaines Vinsmoselle, nous ouvrent les portes des caves de Wellenstein, principal centre de production de la coopérative viticole luxembourgeoise. Derrière celles-ci, ils multiplient les efforts pour proposer des breuvages qui ravissent les papilles des amateurs de vin tout en s’adaptant à leurs habitudes de consommation, mais aussi pour cultiver les vignes qui se déploient à flanc de coteaux, sur les rives de la Moselle, dans une démarche de développement durable. Rencontre.
Présentez-nous les Domaines Vinsmoselle en quelques mots. Quels sont les objectifs de la coopérative ?
JG : La première coopérative viticole luxembourgeoise a été fondée à Grevenmacher en 1921 suite au retrait du Luxembourg du Zollverein, l’union douanière allemande dont il était membre depuis 1842. Dans les années 1930, ce sont les vignerons de Wormeldange, Greiveldange, Remerschen, Stadtbredimus et Wellenstein qui décident de s’associer au sein de coopératives indépendantes pour faciliter leur recherche de nouveaux marchés. En 1966, cinq d’entre elles se regroupent pour former les Domaines Vinsmoselle. Il faudra attendre 1989 pour que les vignerons de Wormeldange se joignent à leurs homologues, faisant de Domaines Vinsmoselle la seule coopérative viticole du Luxembourg. Elle rassemble aujourd’hui 170 membres qui cultivent et vendangent leurs raisins et lui confient la transformation des fruits et la commercialisation des vins, crémants et autres produits.
Domaines Vinsmoselle s’engage en faveur d’une viticulture durable et responsable. Que faut-il entendre par là ?
AM : Cet engagement se manifeste par notre adhésion au label Fair’n Green, un label de durabilité créé en Allemagne par des vignerons pour des vignerons. Une autorité de contrôle nous évalue chaque année sur différents critères pour certifier que nous travaillons de façon durable sur toute la chaîne de valeur. En ce qui concerne la culture de la vigne, l’association a par exemple établi une liste de substances interdites (en raison de leur toxicité pour la faune, la flore, les sols et/ou leurs utilisateurs) et s’assure que nous n’y recourions pas. En tant que structure de transformation et de commercialisation, nous devons également respecter certains critères de réduction des émissions de CO2. Nous repensons par conséquent le conditionnement de nos produits. Les bouteilles en verre, en raison de leur poids notamment, génèrent bien plus de gaz à effet de serre que des contenants plus légers, que ce soit à la fabrication ou lors du transport. C’est pourquoi nous privilégions des alternatives plus légères dans la mesure du possible. Dans la même optique, nous avons abandonné les capsules qui scellaient traditionnellement nos bouteilles de vin. Par ce petit geste, nous avons déjà fait l’économie d’une tonne de déchets, et pas des moindres puisque ces capsules sont faites de plomb ! Si le consommateur accepte le changement, nous ferons de même avec nos bouteilles de crémant. Nous sommes également évalués sur l’énergie consommée, raison pour laquelle nous avons désormais, sur notre site de Wellenstein, deux installations photovoltaïques qui couvrent l’ensemble de nos besoins en électricité.
JG : L’avantage de la méthode Fair’n Green est que, contrairement au label bio qui nécessite de convertir toute une exploitation du jour au lendemain, elle valorise le progrès, ce qui atténue les réticences des viticulteurs et facilite la transition. Nous faisons de nouveaux efforts chaque année pour suivre les tendances et nous améliorer. Nous le faisons par conviction, parce que la terre est toute notre vie et que, par conséquent, nous ne voulons pas lui nuire, mais aussi parce que les grandes surfaces, étrangères notamment, sont de plus en plus nombreuses à nous demander des comptes sur notre empreinte carbone.
Quelles sont les initiatives envisagées pour améliorer votre score lors de la prochaine évaluation ?
JG : Nous avons été audités il y a quelques semaines. Nous attendons les résultats de cet exercice et les recommandations de l’organisme pour prendre de nouvelles mesures. C’est notamment par l’échange et la comparaison avec d’autres exploitations ou coopératives étrangères que nous identifions les aspects sur lesquels nous pouvons progresser. Une chose est sûre : nous continuerons à travailler sur le conditionnement de nos produits. En 2023, nous avons proposé du vin chaud en poche, une sorte de cubi sans emballage cartonné, car le bilan carbone de ce packaging est bien moindre que celui d’une bouteille en verre. Nous retenterons l’expérience cette année et, si le consommateur accepte le changement, nous envisagerons de commercialiser des vins de consommation courante de la même manière.
AM : Dans un horizon de deux ou trois ans, nous aimerions mener des projets destinés à soutenir la diversité biologique ou microbiologique du vignoble, mais tout cela reste encore à préciser. Ce qui est sûr, c’est qu’à la fin du processus nous devrons être climatiquement neutres, très probablement en compensant les 5 à 10% d’émissions de CO2 que nous ne pourrons pas éviter par l’achat de certificats. C’est un objectif que nous atteindrons dans les cinq ou dix années à venir.
Votre coopérative est également active dans la promotion du tourisme régional. Quel est le rôle de l’œnotourisme dans la valorisation du terroir et quels sont ses avantages pour les viticulteurs et la région ?
JG : La Moselle luxembourgeoise est connue pour ses vignobles, ses vins et ses crémants. Aussi, l’œnotourisme est économiquement très important pour la région et ses vignerons. Pour amplifier la notoriété de nos produits et contribuer à faire de la Moselle une région touristique, nous proposons des dégustations dans toutes nos vinothèques ainsi que des visites des caves de Wellenstein et Wormeldange. Des manifestations annuelles, comme le « Wine Taste Enjoy » et le « Wine Lights Enjoy », qui allient balades entre les vignes et dégustations de vins, attirent de nombreux visiteurs. Néanmoins, nous pourrions encore accroître la fréquentation touristique.
AM : En effet, nous déplorons un certain manque de connectivité entre l’est du pays et Luxembourg-Ville. Les professionnels du tourisme et de l’HoReCa de la capitale n’ont pas pour réflexe de guider les visiteurs vers nos vignobles alors qu’en une vingtaine de minutes ceux-ci pourraient complètement se dépayser sur les rives de la Moselle. Nous devrions pouvoir nous améliorer à cet égard. C’est une des raisons pour lesquelles nous nous rendons jusqu’en ville tout au long de l’année pour y faire goûter nos vins. Nous espérons ainsi convaincre les hôteliers et restaurateurs d’agir en ambassadeurs de nos produits et, par conséquent, de notre région. Nous leur demandons d’oser inscrire nos produits à leurs cartes : ils sont de qualité !
Quels sont les défis qui s’annoncent et les tendances que vous voyez émerger dans votre secteur pour les prochaines années ?
JG : Le métier s’annonce plus difficile à l’avenir, premièrement parce qu’il y a de moins en moins de jeunes prêts à reprendre les exploitations, probablement parce que le travail manuel ne leur semble pas très attractif. Cela aura inévitablement un impact sur l’apparence de la région et l’œnotourisme. Notre vignoble a la particularité de s’étendre sur 1.200 ha en continu. De Schengen à Wasserbillig, les vignes s’étendent pour le moment à perte de vue. Si certaines parcelles venaient à être abandonnées, les terrains laissés en friche pourraient constituer une source d’infection pour les vignobles environnants. Non seulement cela poserait problème aux vignerons, mais cela entacherait aussi la beauté de ce paysage que nous avons tout intérêt à préserver.
AM : Notre second défi sera de nous adapter aux changements d’habitudes des consommateurs. Ceux-ci boivent de moins en moins d’alcool, ce qui, il faut l’admettre, nuit à nos activités. Pour répondre à leurs nouveaux comportements, nous proposons désormais un vin blanc et un mousseux sans alcool. L’an prochain, nous commercialiserons également un rosé à 0°. Sur demande d’une grande surface étrangère, nous étudions aussi la possibilité de produire un vin à faible teneur d’alcool (5°). Si nous ne sommes pas encore totalement convaincus par cette idée, nos produits sans alcool, eux, rencontrent un franc succès. Cette année, nous en avons vendu 48% de plus qu’en 2023 !
JG : Et, bien sûr, nous aurons à nous adapter au changement climatique et aux extrêmes météorologiques qu’il engendre. Les fortes fluctuations entre années sèches et pluvieuses rendent difficile le choix des cépages les plus adaptés car la viticulture, contrairement à l’agriculture, repose sur l’exploitation de plants sur une génération. On ne peut pas miser sur un pinot gris une année et sur un Riesling la suivante : une vigne est un investissement sur 30 à 50 ans. Par chance, nous avons l’avantage, au Luxembourg, de cultiver une large gamme de cépages. Ainsi, nous commercialiserons toujours des produits au goût du consommateur, quelle que soit la tendance.
Par A. Jacob