DÉMATÉRIALISER LES DONNÉES DE SANTÉ

A l’heure du tout digital, la sphère de la santé n’est pas en reste puisque, depuis 2012, le Luxembourg s’est doté d’une Agence dédiée à la e-santé. La digitalisation du secteur répond à un souci d’amélioration de la coordination des soins. Hervé Barge, directeur général de l’Agence eSanté, évoque les différents services rendus par la plateforme nationale.

Opérationnelle depuis 2012, l’Agence eSanté est un groupement d’intérêt économique créé pour offrir aux professionnels de santé une plateforme d’échange et de partage de données électroniques permettant une coordination plus efficace dans la prise en charge des patients. En corollaire, l’Agence est chargée d’établir un Schéma Directeur des Systèmes d’Information de Santé (SDSI), à savoir une stratégie nationale d’interopérabilité des systèmes devant permettre à ceux-ci d’interagir sans heurts.

Vers la généralisation du DSP

Concrètement, la plateforme eSanté propose différents services parmi lesquels le Dossier de Soins Partagé (DSP), un dossier de santé électronique sous le contrôle direct du patient et destiné à améliorer sa prise en charge par le corps médical intervenant dans son parcours de soins. Le projet arrive aujourd’hui au terme de trois ans de phase pilote. Un décret d’application devrait permettre sa généralisation d’ici la fin de l’année. Hervé Barge se réjouit des premiers résultats atteints par le projet : « On dénombre moins de 0.8% de rejets en phase pilote, ce qui est très peu par rapport à ce qui s’est passé dans d’autres pays. Environ 60 000 personnes possèdent désormais un DSP, à savoir 10% de la population, et ceux-ci sont fournis de 3,7 documents en moyenne. On y trouve presque systématiquement le résumé patient mis à jour par les médecins généralistes et le résumé de prestation. La plupart des autres documents concernent des résultats d’examens biologiques ».

Quand la technologie ambitionne de sauver des vies

Ces outils de partage et d’échange des informations de santé rendent un service non négligeable quand on sait que chaque année, en France, entre 150 000 et 300 000 hospitalisations causées par iatrogénie médicamenteuse et 10 000 décès liés à une erreur médicale pourraient être évités par une bonne circulation de l’information entre professionnels de santé. Comme le souligne Hervé Barge, « le mot important, c’est “évitable”. Aujourd’hui, malgré un début de modernisation, on rencontre toujours des problèmes de rupture d’information. Les systèmes d’information numériques qui caractérisent la e-santé devraient permettre de réduire ces ruptures et ainsi de diminuer de façon significative les évènements indésirables graves ».

Les systèmes d’information numériques qui caractérisent la e-santé devraient permettre de diminuer de façon significative les évènements indésirables graves

Sécurité des patients comme des données

Par leur caractère hautement sensible, les données médicales dématérialisées doivent faire l’objet d’un soin tout particulier. Selon son directeur, la plateforme est « nativement RGPD », le droit au respect de la vie privée est naturellement pris en compte, comme la sécurité globale. « Toutefois, il ne suffit pas de juger de la sécurité des données car leur disponibilité même constitue aussi un facteur de sécurité: pour ne pas mettre en danger leurs patients, les professionnels de santé doivent avoir accès à certaines informations capitales ». Là réside le véritable enjeu pour le directeur de l’Agence. « En tant que patient, si on me découvrait une allergie, je souhaiterais que l’information soit accessible pour être pris en charge au mieux », explique Hervé Barge. C’est finalement au patient que revient la maîtrise intelligente de son dossier.

Travailler la donnée

Une information, si précieuse soit-elle, n’est pas toujours utilisable en l’état. C’est pourquoi l’Agence travaille également sur l’interopérabilité technique et sémantique des données. « Il est difficile de suivre un taux de potassium si les échelles utilisées sont toutes légèrement différentes, indique Hervé Barge. Si les données ne sont pas étalonnées, on ne peut pas obtenir de courbe exploitable. Depuis six ans, nous construisons des référentiels qui vont permettre d’étalonner ces données de façon à ce que, dans trois à cinq ans, on puisse suivre un taux de potassium calculé à différents moments par différents professionnels ».

S’ouvrir à l’international

L’Agence eSanté sort des frontières étatiques puisqu’en sa qualité de “National Contact Point” il lui revient de mettre en application la directive sur les soins transfrontaliers. En participant au programme CEF (Connecting Europe Facility), elle se lance un défi pour les trois prochaines années: permettre les échanges de documents médicaux à l’échelle transfrontalière. Partenaire de tous les pays européens qui participent au programme, l’Agence collabore de façon plus active avec la France, la Belgique et le Portugal, qui représentent une grande partie de la population résidente ou frontalière au Luxembourg. Les premiers résultats sont attendus cette année et un important volume de documents échangés est attendu pour 2020. « On a dépassé la frontière de la ville intelligente. C’est aujourd’hui le Vieux Continent qui devient astucieux pour que les patients européens puissent partager et échanger leurs données médicales en toute confiance, dans le respect du RGPD et dans le cadre le plus sécurisé possible », conclut Hervé Barge.

Par A. Jacob