IL FAUT RÉAPPRENDRE À VIVRE AVEC NOS MAISONS
Le Kinneksbond à Mamer, la Cour de Justice de Paix à Esch/Alzette ou encore le nouveau château d’eau à la Cloche d’Or… Ces bâtiments possèdent tous un seul et même dénominateur commun : ils ont tous été imaginés par l’architecte luxembourgeois Jim Clemes. Il revient sur sa vision des Smart Cities et sur les façons d’aborder ce concept en se focalisant avant tout sur l’humain.
Que vous inspire le concept de Smart City ?
Il y a deux aspects. Il y a des villes nouvelles qui sont en train de naître, comme Neom, en Arabie Saoudite, ou Songdo, en Corée du Sud, qui vont être extrêmement connectées. Ces villes Big Data vous connaissent mieux que vous même et ça, ça peut faire un peu peur. L’objectif est de faciliter la vie, mais tout est encore trop centré sur la technologie.
L’aspect qui m’intéresse le plus est de rendre nos villes plus intelligentes pour qu’elles deviennent plus agréables, notamment en améliorant la qualité de vie.
Nous le constatons déjà avec le système d’affichage qui nous informe combien de places sont disponibles dans quels parkings. Ou encore les nouveaux compteurs d’électricité qui envoient votre lecture de consommation sans que l’entreprise qui fournit l’énergie ait besoin de venir à domicile. Copenhague est un bon exemple de ville qui devient intelligente tout en gardant sa qualité de vie.
Le bouleversement de notre vie par le Big Data est inévitable, mais il faut comprendre comment l’utiliser pour le bienêtre humain, sans tomber dans des scénarios orwellien.
Avez-vous déjà conçu des maisons intelligentes ?
Nous avons fait des maisons au Luxembourg fortement équipées en domotique, mais… ce n’est pas mon truc ! C’est pour cela que je m’entoure de jeunes architectes, ils sont plus à l’aise avec tout ça. Mais j’en connais qui souffrent de toute cette technologie. Il faudrait presque se lancer dans une formation d’ingénieur pour habiter et gérer ces maisons !
Donc, vous êtes plutôt pour ou contre les villes et les maisons connectées ?
Il faut réapprendre à vivre avec nos maisons. Dans le temps, on fermait les volets le soir, pour que la chaleur ne sorte pas. Suivant la météo, on réagissait. Pendant des décennies on a oublié tout ça, on chauffait et on ouvrait la fenêtre. Et on n’y prêtait pas attention. La conscience écologique nous a fait comprendre qu’il faut vivre avec l’environnement. Le matin, nous baissons les volets pour éviter que le gros soleil entre, ce qui permet de ne plus devoir allumer la climatisation et ainsi de dépenser moins d’énergie.
Pour moi, finalement, une Smart City ce n’est pas tellement cette poussée de la domotique et de la technologie, mais plutôt comment on va réfléchir à créer un lieu de vie agréable pour l’être humain. Les villes plus connectées, c’est bien, mais si nous voulons continuer à vivre sur cette Terre, il faut complètement changer de mentalité.
Les exigences écologiques sont-elles une contrainte ou un défi pour un architecte ?
Les exigences écologiques sont en partie contraignantes parce que les matériaux disponibles sur le marché ne permettent pas encore de donner une expression architecturale intéressante à ce que nous créons. Mais c’est surtout un défi, car nous devons trouver des façons intelligentes de créer des environnements tout en respectant les normes et réglementations.
Quel est l’élément primordial quand vous concevez un bâtiment ?
Le facteur le plus important pour moi est l’être humain, l’utilisateur. Si on construit un bâtiment, c’est pour qu’il soit utilisé, pour que les gens s’y sentent bien, se l’approprient, pour qu’il devienne un lieu de vie ou de travail. Après, il faut prendre en compte le contexte où l’édifice s’insère. Et finalement, nous réfléchissons à la pérennité, à l’évolution possible du bâtiment dans le temps, à sa deuxième, voire troisième vie.
Selon vous, y a-t-il trop de contraintes pour des architectes innovateurs au Luxembourg ?
Il y a des règles et des réglementations, certaines sont tout à fait justifiées et justifiables. Nous construisons des cadres de vie et c’est important en construisant une ville de créer un contexte où l’être humain peut s’orienter, se retrouver et y vivre. Une ville, ça ne peut pas être Disneyland, un highlight derrière l’autre, on ne s’y retrouverait plus et cela deviendrait invivable. Dans une ville, il faut des éléments phares qui puissent ressortir pour devenir nos repères et définir notre orientation. Donc, il faut une réglementation qui nous force à créer ce contexte et à respecter l’humain. L’architecture ce n’est pas se faire plaisir en créant des lieux, c’est partager ce plaisir avec les autres.
Qu’est-ce qui a changé le plus dans votre métier depuis vos débuts ?
Le digital a tout bouleversé. Quand j’ai commencé, les outils de travail étaient une table de dessin, du papier, un stylo, on investissait une fois et c’était bon pour quinze ans. Aujourd’hui, le travail se fait surtout sur ordinateur, les programmes évoluent très vite, la manière de travailler change, la façon de collaborer en équipe aussi, il y a des évolutions permanentes.
La façon de construire aussi a changé. Avant, le coût de la main d’œuvre était bas et les matériaux de construction chers… tout l’inverse d’aujourd’hui. Actuellement, la construction se base beaucoup sur le préfabriqué et l’assemblage. Même la manière de concevoir les matériaux a changé avec par exemple, la conscience de la consommation d’énergie dans le cycle de vie d’un bâtiment.
Vous avez conçu des écoles, des lycées, des hôpitaux, des centres culturels, des autoroutes. Qu’est-ce que vous préférez ?
Un jour, on a demandé à Enzo Ferrari quelle était sa voiture préférée. Il a simplement répondu : « la prochaine ». Alors, je répondrais comme lui : mon prochain projet. C’est toujours dans le prochain projet que nous essayons de mettre toute notre expérience et de faire encore mieux. Nous ne travaillons pas dans un seul domaine, c’est ce qui fait la richesse de notre métier. Nous ne faisons pas que des maisons ou que des immeubles pour bureaux. Les architectes participent à la création du cadre de vie et dans cette optique nous construisons tout avec plaisir.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
En ville, on est sur le projet du nouveau lycée Michel Rodange, au Geesseknäppchen. Nous venons de remporter un concours pour la nouvelle maison médicale de la Südspidol et nous allons intervenir au Musée de la Résistance avec deux projets à Esch/Alzette. Enfin, nous travaillons sur la nouvelle école du quartier Mattendall à Differdange. Nous avons beaucoup de projets en ce moment.
L’architecture ce n’est pas se faire plaisir en créant des lieux, c’est partager ce plaisir avec les autres
Vous êtes dans le métier depuis presque 40 ans. Que rêvez-vous encore de réaliser ?
J’aimerais bien concevoir un lieu de mémoire et de recueillement, comme une église ou un musée par exemple. Je l’ai déjà un peu fait en travaillant avec Nico Thurm dans le Monument aux Victimes de la Route, au lieu-dit « Op Wäimerecht » près de Junglinster, et je vais aussi un peu le faire au Musée de la Résistance.