MASDAR, UN PROJET PHARAONIQUE POUR UNE CITÉ DÉCARBONISÉE

Située à une trentaine de kilomètres d’Abu Dhabi, la capitale des Émirats Arabes Unis, Masdar City est une écocité à vocation expérimentale dans les domaines des énergies renouvelables, des transports propres et de la gestion des déchets. Appelée à devenir une ville modèle, elle préfigure la volonté des Emirats de sortir progressivement de leur dépendance aux énergies fossiles. L’objectif du projet est de positionner cette ville intelligente, à coup de milliards, comme une sorte de Silicon Valley en matière d’énergies renouvelables.

Ambitieux, le projet de Masdar, qui signifie «source» en arabe, s’inscrit dans le programme « Abu Dhabi Economic Vision 2030 » ayant pour objectif de transformer le modèle économique de l’émirat à l’horizon 2030. A l’origine basé sur les ressources naturelles, celui-ci a l’ambition d’évoluer vers une économie circulaire fondée sur les énergies renouvelables, sur la connaissance et l’innovation. Masdar City est un pari sur l’avenir, une sorte de laboratoire pour un futur sans hydrocarbure. Il en va de la survie non seulement des Emirats, mais également de toutes les monarchies pétrolières de la région.

Pôle d’excellence énergétique

Le projet urbain consiste à construire une cité qui se rapproche le plus près possible d’un modèle zéro émission, zéro déchet. La ville de 7 km2 devrait être capable de loger 50 000 résidents et d’accueillir en plus 40 000 travailleurs non-résidents à l’horizon 2030. Son architecture est un croisement hybride entre les technologies nouvelles et l’architecture traditionnelle arabe. Sa conception intègre des ruelles étroites et ombragées, rafraichies par un réseau de cours d’eau et des couloirs aérés traversant la ville de part en part pour une ventilation naturelle qui favorise le développement d’un microclimat dans cette région désertique et aride. Le plan général, de type traditionnel, est entouré de murs destinés à la protéger des vents chauds du désert. Les constructions sont équipées de panneaux solaires sur les toits et de fenêtres inspirées du principe des moucharabiehs pour une climatisation naturelle. Le décor est planté.

La construction de la ville a commencé en 2008 par l’édification des six premiers bâtiments du Masdar Institute de façon à enclencher rapidement des activités d’enseignement et de recherche. Cette stratégie a pour objectif d’inciter étudiants, experts, hommes d’affaires, spécialistes de l’environnement et entreprises innovantes de tous les pays à venir s’y installer. Le Masdar Institute, dédié à la recherche et créé avec le soutien du Massachusetts Institute of Technology (MIT), a accueilli ses premiers étudiants et chercheurs en 2010. La ville peut également se targuer d’avoir su attirer des entreprises prestigieuses comme le géant allemand Siemens qui y a installé son bureau régional. Siemens fournit des services intégrés de technologie d’automatisation des bâtiments et développe des applications relatives au réseau électrique intelligent (Smart Grid) qui optimise la consommation d’énergie de la ville. Autre géant du secteur, la société Schneider Electric participe à un centre de recherche et développement dans les technologies durables pour les bâtiments, la distribution et le traitement de l’eau. En outre, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) a installé son siège dans la ville. Cette agence onusienne, la première de cette envergure installée au Moyen-Orient, a pour mission de promouvoir la transition vers les énergies renouvelables dans le monde, tout en prodiguant conseils et assistance aux pays qui cherchent à opérer une transition vers les énergies vertes. Avec leur force de frappe financière, leurs capacités en recherche et développement et grâce à la reconnaissance internationale, les Émirats se donnent les moyens de réussir leur pari.

Les projets sur le terrain

Malgré le retard pris dans les travaux d’achèvement de la ville, dû principalement à la crise financière de 2008 et à la crise sanitaire mondiale de 2020, Masdar City essaie de surmonter ses difficultés et procède par étapes pour atteindre l’objectif recherché. Parmi ses projets phares, la construction d’une centrale solaire d’une puissance de 100 MW équipée de 768 miroirs paraboliques sur une surface de 2,5 km2. L’investissement initial s’élève à 350 millions de dollars et la puissance devrait être portée à 500 MW d’ici 2030. En complément à cette force de frappe, les toits de la ville sont couverts de 5.000 m2 de panneaux photovoltaïques. Un projet éolien de 20 MW est même prévu pour renforcer les capacités énergétiques de la ville. De plus, le recours à l’hydrogène et à des agrocarburants issus de cultures irriguées par les eaux usées pourrait remplacer l’utilisation systématique de carburants fossiles. Après recyclage, l’eau est utilisée à l’irrigation des cultures destinées à l’alimentation. Ces procédés sont censés réduire de 80% la consommation d’eau de mer dessalée qui nécessite une importante quantité d’énergie.

D’un autre côté, pour les déplacements à l’intérieur de la ville, Masdar City a mis en place un système de transport propre à haute efficience énergétique et à guidage magnétique. Il s’agit d’une nouvelle technologie qui allie transport collectif et individuel. Avec des cabines de taille humaine pouvant accueillir une ou plusieurs personnes, les véhicules se déplacent automatiquement sur des voies définies. Les flux peuvent être optimisés en fonction du trafic. Ce mode de transport propre permet également d’assurer le fret en ville ainsi que l’évacuation des déchets. En théorie, tous les habitants n’auront pas plus de 200 mètres à parcourir pour accéder aux commerces et aux services de proximité. La marche à pied et la mobilité douce sont donc privilégiées. A terme, Masdar City sera reliée au centre de la capitale Abu Dhabi par un métro aérien. La volonté des responsables du projet n’est pas de faire de cet ilot de haute technologie une vitrine, mais d’inclure cette cité résiliente dans la vie socio-économique du pays. Reste à adapter les mentalités et à convertir la population à des modes de consommation plus vertueux. Car si l’écocité est un symbole, c’est celui des contradictions d’un pays qui professe la sobriété énergétique mais présente une empreinte carbone très élevée, à cause notamment de sa rente pétrolière.

Par R. Hatira