102 moteurs pour la transition énergétique

Incombant autant aux citoyens, aux entreprises, à l’État qu’aux 102 communes du pays, la transition énergétique relève certes d’une responsabilité collective, mais peut trouver à l’échelon local un moteur plus puissant qu’il n’y paraît. À quelques mois des élections communales, Paul Zens, président de l’asbl Eurosolar Lëtzebuerg, rappelle les multiples leviers que peuvent actionner les élus locaux pour accélérer la transition et les exhorte à relever leur niveau d’ambition. Interview.

En quoi la commune est-elle un échelon important en matière de politique climatique et quel doit être son rôle dans la transition énergétique?

Les communes ont un rôle important à jouer dans la transition énergétique, comme dans tout autre domaine, en raison de leur proximité avec les citoyens. La clé de la réussite réside dans l’adhésion de la population au programme politique des élus locaux, mais aussi dans le niveau d’ambition de ces derniers: il est crucial de faire davantage que ce qui est simplement possible pour encourager le progrès! Pour ce faire, il est du devoir des élus de mener des projets participatifs, par exemple en soutenant des coopératives énergétiques citoyennes, mais aussi de jouer un rôle éducatif en informant les citoyens des enjeux de la transition et des avantages dont ils bénéficieraient en y contribuant, que ce soit du point de vue pécunier ou de la qualité de vie.

Plus concrètement, les communes sont engagées dans la transition énergétique via le Pacte Climat, porté par l’État, mais jouissent aussi d’une autonomie qui leur confère une grande liberté d’action et leur permet d’agir sur de multiples leviers pour accélérer le mouvement. Ainsi, via leurs PAP, qui définissent un ensemble de prescriptions urbanistiques, ou leur règlement sur les bâtisses, elles peuvent imposer certaines normes en faveur de la transition énergétique. Par exemple, elles ont la possibilité de limiter les freins à l’installation de pompes à chaleur, de favoriser la construction en bois ou encore de privilégier l’édification de maisons mitoyennes plutôt que d’habitations isolées pour réduire le nombre de façades exposées aux températures extérieures et ainsi économiser de l’énergie en chauffage ou en climatisation. Elles peuvent également multiplier les îlots de verdure qui ont un effet rafraîchissant en été ou favoriser la mobilité douce – en aménageant des pistes cyclables sécurisées et des box à vélos – ou électrique – en installant des bornes de recharge publiques. Les communes doivent aussi se montrer exemplaires en matière de construction. Un maître d’ouvrage construit évidemment en fonction de ses besoins, mais aussi dans un contexte géographique et temporel donné. Or, nous sommes à l’ère de la crise climatique qui impose la transition énergétique. Les communes se doivent donc de bâtir des édifices à la pointe du progrès en la matière.

Les communes ne se rendent compte ni de l’impact positif qu’elles peuvent avoir ni des moyens importants dont elles disposent pour contribuer à la cause

Bien sûr, elles ont également un rôle à jouer dans le financement de cette transition. L’installation de panneaux photovoltaïques ou d’une pompe à chaleur représente un investissement conséquent pour les ménages. Les communes peuvent, tout comme l’État, alléger la facture en offrant des subventions à leurs citoyens. En déployant elles-mêmes des solutions vertes, elles contribuent aussi à leur démocratisation: c’est en faisant gonfler la demande que le marché passera de prototypes à une production de masse moins onéreuse.

Comment jugez-vous l’investissement des communes luxembourgeoises dans la transition énergétique?

Nous estimons que les communes ont agi en-deçà de leur potentiel et de leurs possibilités jusqu’à présent. La plupart d’entre elles n’ont pas assez profité des moyens mis à leur disposition. Les conseillers énergétiques sont financés par l’État depuis une douzaine d’année. Or, la course aux économies n’a réellement commencé qu’avec la guerre en Ukraine et les appels à la sobriété lancé par l’Union européenne et le gouvernement. Si les communes ont pu fournir tant d’efforts en si peu de temps, qu’ont-elles fait au cours des dix dernières années? C’est une question que l’on est en droit de se poser. Il est d’ailleurs à craindre que les mesures qui ont été prises pour faire face à la crise ne disparaissent aussi rapidement qu’elles ont été adoptées. Bien sûr, des avancées importantes, qui devraient fort heureusement s’avérer pérennes, ont été réalisées dans le cadre du Pacte Climat.

Pouvez-vous citer quelques exemples de bonnes pratiques dont vous avez connaissance?

La commune de Beckerich a réalisé bon nombre de projets importants. C’est notamment la première à s’être lancée dans l’installation de panneaux photovoltaïques en copropriété. Quant à celle de Saeul, elle a récemment permis la réalisation d’un projet de lotissement conçu comme une société coopérative gérant et exploitant une infrastructure énergétique commune qui lui permet d’être autonome à 80%. D’autres communes, comme celles de Tandel et Putscheid, ont obtenu un score élevé dans le cadre du Pacte Climat en installant des éoliennes sur leur territoire. Faire accepter les projets éoliens, et donc la transition énergétique, est aussi une responsabilité des élus locaux.

Avez-vous un message à transmettre à quelques mois des élections communales?

Si j’avais un conseil à donner aux électeurs, ce serait de bien différencier le candidat qui est authentiquement désireux et capable d’œuvrer dans le sens de la transition énergétique de celui qui promet des mesures tape-à-l’œil pour être «à la mode». La crise climatique n’est pas apparue subitement comme le Covid-19; les élus doivent l’affronter au moins depuis 2015 et la COP de Paris. Un bon exercice serait de relire les programmes électoraux de 2017 et de comparer promesses et réalisations parce que nous ne pouvons plus nous permettre d’élire ou de réélire un bourgmestre «nihiliste» eu égard à la crise climatique.

Enfin, j’aimerais appeler tous les bourgmestres du monde à être plus ambitieux en matière de transition énergétique. Nous devons passer à la vitesse supérieure. Alors que j’étais à la COP27, j’ai assisté à une intervention de Chilando Chitangala, maire de Lusaka, capitale de la Zambie. Cette dernière exhortait les dirigeants à donner davantage de moyens aux élus locaux parce qu’elle était convaincue que ces derniers pouvaient contribuer considérablement à la transition énergétique. La question de savoir si les bourgmestres devaient diriger le monde a d’ailleurs fait l’objet d’un atelier spécifique! Si elle se pose, c’est parce que leur proximité avec la population leur offre un avantage certain pour faire avancer la transition. Or, je crains fort que la plupart des communes luxembourgeoises ne se rendent compte ni de l’impact positif qu’elles peuvent avoir ni des moyens importants dont elles disposent pour contribuer à la cause. Aujourd’hui, les communes sont engagées dans le Pacte Climat 2.0, une nouvelle mouture qui leur offre davantage de moyens et dont j’invite les bourgmestres à tirer parti pour avancer dans la bonne direction.

Eurosolar Lëtzebuerg asbl
6, Jos Seyler Strooss
L-8522 Beckerich
www.eurosolar.lu