VOLER AU SECOURS DE L’ENVIRONNEMENT, LE NOUVEAU DÉFI DE LA FINANCE

« Si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé », voilà comment les écologistes articulent climat et finance depuis une dizaine d’années. C’est peut-être pourquoi nombreux sont ceux qui aujourd’hui veulent renverser la situation en plaidant pour la création d’une banque du climat. En attendant qu’une telle institution voie le jour, le secteur de la finance semble vouloir prendre ses responsabilités en soutenant la transition écologique ; une branche que l’on qualifie de « verte », « durable » ou encore « climatique ». Explications avec Michel Maquil, président honoraire de la Bourse de Luxembourg.

La Bourse de Luxembourg vient de remporter le Green Bond Pioneer Award 2019. Elle a d’ailleurs coté la première obligation verte en 2007, alors que vous étiez à sa tête. Quelle était votre approche à ce sujet ?

En 2007, à quelques mois du début de la crise financière, la période était encore à l’euphorie : on recevait des demandes d’admission à la cote de toutes parts et on notait une certaine volonté, chez les émetteurs, de diversifier les produits qui se trouvaient sur le marché, mais aussi de se distinguer. Nous avons donc coté beaucoup de nouveaux produits, parmi lesquels un emprunt vert lancé par la Banque européenne d’investissement (BEI). Etant donné son émetteur, il était tout à fait normal qu’il soit coté à la Bourse de Luxembourg ; nous ne l’avions pas sciemment attiré.

Quelle est la part des obligations vertes dans la finance actuelle ?

C’est encore un peu limité. Les 277 titres cotés par le Luxembourg Green Exchange relèvent de la finance verte (chiffres du 6 mars 2019), ce qui ne représente que 0,8% des titres cotés au Grand-Duché. Le nombre d’émetteurs est déjà plus significatif : il y a 79 émetteurs d’obligations vertes sur 2 700, soit 3%. La finance verte est une activité relativement jeune, qui doit encore se trouver et s’améliorer. Il est pour l’instant difficile d’en évaluer l’impact environnemental mais cela ne veut pas dire qu’elle ne soit pas utile ou promise à un bel avenir.

D’après l’Union européenne, pour maintenir le réchauffement climatique à moins de 2°C, comme fixé par l’accord de Paris, les investissements nécessaires s’élèveraient à 180 milliards d’euros par an. C’est un montant qui semble a priori énorme, mais qui ne l’est pas tant en comparaison avec les 80 000 milliards d’euros sous gestion dans le monde. Ainsi, l’objectif pourrait être atteint si l’on s’en donnait vraiment les moyens. Au rythme actuel du développement de l’économie, on parle plutôt d’un réchauffement de 4°C voire 5°C dont les conséquences seraient apocalyptiques.

La finance verte est une activité relativement jeune, qui doit encore se trouver

On parle beaucoup d’écoblanchiment, comment s’assurer que la finance verte serve effectivement des projets responsables et non pas une stratégie marketing ? Existe-t-il des normes précises définissant ce qu’est une obligation verte ?

Au stade actuel, le « greenwashing » est malheureusement encore présent dans la finance. On a notamment reproché à la Pologne de pratiquer l’écoblanchiment. Le gouvernement polonais est le premier à avoir émis un emprunt vert. Quand on sait que cette même Pologne promeut encore le charbon et a mis son veto à certaines réformes climatiques, on peut y voir une tentative de redorer son image. Prenons un autre cas flagrant, celui de la compagnie pétrolière espagnole Repsol qui a émis une obligation verte pour améliorer sa productivité et diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Une initiative qui peut sembler louable à première vue mais qui pérennise les activités d’une raffinerie ! C’est en fait une politique du « moins pire ».

Pour le moment, la caractérisation de la dimension « verte » d’une obligation est basée sur des recommandations qui ont été élaborées par différents groupes de travail et qui ne sont pas unifiées de par le monde. Le plan d’action de la Commission européenne pour une économie plus verte et plus propre, dévoilé en mars 2019, est une initiative excellente en ce sens puisqu’il vise à introduire des mesures contraignantes. Le but est de créer une taxonomie commune, autrement dit un système de classification unifié de la finance durable, afin de distinguer clairement ce qui est durable de ce qui ne l’est pas. Cela donnera aux activités financières vertes ce cadre solide qui leur fait défaut actuellement et dont l’absence fait l’objet de critiques.

Enfin, gardons à l’esprit que les produits financiers s’apparentent souvent à une phase limitée du cycle de production, qui n’est donc pas représentative de l’impact écologique de tout le processus en amont ou en aval. La considération de tels éléments est complexe et nécessiterait le recours à l’intelligence artificielle, mais là réside la finalité du projet. Cela commence à se développer. On parle d’ailleurs de moins en moins de finance verte et de plus en plus d’ESG, le fameux principe des Nations Unies qui prend en compte tant l’impact environnemental que sociétal et la gouvernance de l’entreprise.

Le Luxembourg est le premier pays à conclure un partenariat avec la BEI dans le domaine de la finance climatique. Selon vous, peut-il jouer un rôle de chef de file ?

Le gouvernement a récemment lancé une feuille de route de la finance durable, ce qui signifie qu’il entend jouer un rôle dans ce domaine, mais il n’est pas le seul. Je pense néanmoins que le Luxembourg, en tant que siège de la BEI et acteur important dans l’industrie des fonds, dans laquelle on perçoit une forte poussée de la finance soutenable, a de fortes chances de bien se profiler. Toutefois, cela nécessite aussi un investissement dans la recherche et donc une implication optimale des milieux universitaires et de la recherche. À ce niveau, le Luxembourg devra faire davantage d’efforts pour se positionner.

Par A. Jacob

Photo : ©Agence Kapture