NEW YORK : LE MOUVEMENT PERPÉTUEL DE LA GROSSE POMME

De toutes les époques, New York a été le porte-drapeau du dynamisme de la côte Est, et par là même, l’incarnation du rêve américain. Fascinante et effrayante par sa démesure, cette mégapole de près de neuf millions d’habitants sait capter les tendances du moment. Tel un air de jazz tout droit échappé du Cotton Club, la cité qui ne dort jamais possède dans son ADN le sens du rythme et de la réactivité. Historiquement ouverte sur le monde, elle a su attirer les talents et charrier vers elle les idées les plus novatrices pour en devenir une vitrine à l’international. Ville cosmopolite, la Grosse Pomme cultive sa différence. Elle bascule progressivement, sur un fond de catastrophes naturelles et de crises sociales, vers une Smart City résiliente et respectueuse de l’environnement, soutenue par une politique volontariste et des maires successifs clairement acquis à la cause, mais pas seulement.

Pour la mégapole américaine, la transformation en ville intelligente est devenue une question de survie, notamment après le passage de la tempête Sandy en 2012. En une nuit, 17% de la ville a été inondée, 90 000 bâtiments endommagés, deux millions de personnes privées d’électricité pendant plusieurs jours et des transports publics paralysés durant une semaine. De cette catastrophe est né, sous la houlette du nouveau maire de la ville Bill de Blasio, un rapport qui préconise la mise en oeuvre de 257 mesures significatives qui touchent les bâtiments, le digital, le transport et l’énergie. A ce grand chantier s’ajoutent des initiatives publiques, privées, ou les deux, qui ambitionnent de transformer l’une des cités les plus peuplées au monde en un modèle d’intelligence urbaine.

New York semble être bien partie pour gagner son pari. Dans les cinq arrondissements de la ville, les organismes new yorkais oeuvrent pour bâtir une cité plus intelligente, plus équitable et plus réactive. Grâce à ces efforts, la Grosse Pomme a été récompensée par le prix « 2016 Best Smart City » au Smart City Expo World Congress de Barcelone pour ses projets novateurs, capables de résoudre les défis urbains et d’en faire bénéficier les résidents.

L’interopérabilité des systèmes connectés

Ainsi, la plateforme interactive de Cisco et LG Electronics baptisée « 24/7 » fournit des renseignements sur les programmes étatiques et municipaux et sur les commerces locaux. Via de nombreuses caméras de surveillance, elle renseigne sur les horaires des transports, l’état du trafic routier et de la disponibilité des parkings, les problèmes de sécurités dans les lieux publics et mesure la qualité de l’air. Pour y accéder, il suffit de toucher l’un des écrans numériques placés dans certains lieux publics ou de télécharger l’application dédiée. Ce geste est d’autant plus facilité que, en plus de ce système, la ville a commencé à mettre en place le plus grand réseau urbain de Wi-Fi du pays. Grâce à ce dispositif appelé « LinkNYC », les 11 000 cabines téléphoniques de la cité vont devenir des « hot spots » de communication à partir desquels les utilisateurs pourront surfer à haut débit sur internet, mais aussi charger leur portable et téléphoner partout sur le territoire américain. En plus de faciliter l’accès à l’information, ce nouveau service a pour objectif de réduire la fracture numérique dans la société en faveur de la classe la moins aisée.

L’approche Smart City de New York consiste à s’assurer que ce que réalise la ville a un réel impact sur le quotidien des habitants et des nombreux visiteurs. Pour cela, les autorités misent sur des systèmes capables de s’imbriquer, de se compléter pour fournir la meilleure information possible et le service adéquat. Plutôt que de consacrer des efforts et des moyens à des projets isolés, New York voudrait encourager l’interopérabilité entre les différents systèmes d’infrastructures connectées afin d’offrir une expérience utilisateur fondamentalement améliorée. Par exemple, si un service déploie une application de parcmètres intelligents et qu’un autre met en oeuvre un système d’éclairage « smart », la ville veut s’assurer que ces deux éléments d’infrastructure peuvent communiquer. A terme, grâce aux améliorations technologiques permanentes, plusieurs plateformes pourraient interagir simultanément pour échanger des données et ainsi délivrer la meilleure information urbaine pour, au final, mieux servir l’utilisateur et le citoyen. C’est le souhait de Miguel Gamino, le responsable technique de la Smart City new yorkaise.

Par ailleurs, dans cette même logique de proximité avec le citoyen, la ville de New York a lancé en 2017 le « Brownsville Innovation Lab ». Son laboratoire d’innovation de quartier Brownsville situé à Brooklyn, sert de lieu d’expérimentation des outils de la ville intelligente, d’espace de rencontre et d’échanges entre habitants, enseignants, responsables de la ville et sociétés de technologie. Tous s’y réunissent pour résoudre les problèmes du quartier et ainsi améliorer la qualité de vie et l’intégration sociale. Les priorités de ce projet sont le contrôle des déchets, l’alphabétisation numérique, la sécurité et l’accès à une alimentation saine. Chaque année, ce pôle tech reçoit de la ville une subvention de 250 000 dollars. Les autorités new yorkaises comptent implanter un laboratoire d’innovation similaire dans chaque district de la ville.

L’engagement écologique à la new yorkaise

Le concept de Smart City s’est notamment construit à partir de la prévision de l’ONU qu’en 2030, deux personnes sur trois vivront dans une ville. Cette concentration d’individus engendrera une somme de difficultés supplémentaires en matière d’environnement et de mobilité. New York fait figure de précurseur dans le paysage écologique des villes américaines. Les new yorkais possèdent deux fois moins de voitures que leurs compatriotes et leur empreinte carbone par tête est considérée parmi les plus basses de la planète. Grâce à un plan écologique initié en 2007 par l’ancien maire de la ville, Michael Bloomberg, la Grosse Pomme ne cesse de verdir. En plus du fameux Central Park et de ses 350 hectares, l’aménagement des berges de l’Hudson a permis de gagner 220 hectares supplémentaires de jardins, auxquels s’ajoutent 34 nouveaux hectares du côté de Brooklyn. Un parc suspendu a même vu le jour en 2011 sur une ancienne voie ferrée courant sur 2,3 kilomètres. La ville respire mieux. Avec l’arrivée aux manettes de Bill de Blasio, les préoccupations écologiques se sont renforcées. Les gaz à effet de serre doivent être réduits de 35% en 2025 et de 85% à l’horizon 2050. Le plan préconise également une réduction des déchets alimentaires, l’électrification des systèmes de transport en commun et l’amélioration de l’efficacité énergétique des immeubles. New York ambitionne ni plus ni moins de devenir la ville la plus durable du monde en misant sur les énergies renouvelables et plus particulièrement sur le solaire. Le conseil municipal de New York a frappé fort dernièrement en adoptant un texte qui oblige les gratte-ciels et grands bâtiments à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030, pour un coût de rénovation estimé à plusieurs milliards de dollars. Intitulé « Climate Mobilization Act », ce texte soulève le mécontentement des climatosceptiques avec à leur tête le président américain Donald Trump, également l’heureux propriétaire de la Trump Tower, un gratte-ciel très énergivore.

A travers New York symbole de la contestation écologique, c’est toute la gauche américaine, et notamment les candidats démocrates à la Maison Blanche, qui adhère au principe d’un « New Deal Vert » afin de faire basculer l’économie américaine et par là même l’opinion publique. La fronde écologique menée par New York est louable mais non dépourvue d’arrières pensées politiques, surtout depuis l’annonce de la candidature pour l’investiture démocrate de l’ancien maire, Michael Bloomberg. La ville entend revenir en force dans les cercles d’influence avec les habits vertueux de la ville intelligente, résiliente et écologique. Étalant son savoir-faire dans l’intelligence des cités et dans l’écologie urbaine, elle caresse en secret le doux rêve de voir émerger de ses rangs le futur président des Etats- Unis. Un enfant de la Grosse Pomme.

Par R. Hatira