Les acteurs de la terre au service de la planète
Les exploitants agricoles, au Grand-Duché comme ailleurs, sont parmi les premiers à être directement impactés par le changement climatique. Une contrainte supplémentaire pour ce secteur d’activité ô combien indispensable, mais qui rencontre de nombreuses difficultés économiques et un manque de reconnaissance du public. Rencontre avec Christian Wester, président du syndicat agricole la Centrale Paysanne.
Pouvez-vous nous présenter la Centrale Paysanne, son activité?
La Centrale Paysanne est le syndicat des agriculteurs le plus important et le plus ancien au Luxembourg. Il a été fondé en 1944 et compte environ 2.200 membres. Notre mission est de défendre les intérêts des agriculteurs au sens large, c’est-à-dire les travailleurs de la terre, mais aussi ceux de la vigne ou bien les maraîchers et les fruitiers par exemple. Au Grand-Duché, la part la plus importante de ce secteur d’activité est représentée par les éleveurs de bovins et les producteurs dits de grandes cultures céréalières.
Comment se porte le secteur agricole au Luxembourg?
Le nombre d’agriculteurs est en baisse depuis des décennies car c’est un métier difficile et qui rapporte de moins en moins d’argent. Pour survivre nous devons produire plus, dans un temps plus court et vendre à un prix moins élevé. Une équation très difficile à tenir! Les exploitations qui ne veulent ou ne peuvent pas tenir ce rythme disparaissent.
À cela s’ajoute une forte concurrence des autres pays. Nous sommes un petit territoire à l’échelle de la France ou de l’Allemagne. On trouve donc ici beaucoup d’autres produits venant de l’étranger et qui sont moins chers que les produits luxembourgeois.
Les contraintes sont donc fortes pour tous les acteurs du secteur et il faudrait modifier les politiques agricoles pour y remédier. Nous sommes cependant assez chanceux que les aides de l’État luxembourgeois soient conséquentes envers notre secteur. C’est plutôt au niveau de la reconnaissance de notre travail et dans la promotion de nos produits que les choses doivent évoluer.
Pourquoi diriez-vous qu’agriculteur reste un beau métier?
Nous sommes les premiers témoins de la vie de la nature et de tous ses changements. Pour la plupart d’entre nous, nous vivons sur le terrain même de notre exploitation, loin des bouchons et du stress de la vie citadine luxembourgeoise. C’est aussi un métier qui propose une grande variété de tâches et de missions, notamment au fil des saisons. En ce sens, aucun jour ne ressemble vraiment au précédent, même si bien sûr certaines opérations se répètent, comme dans n’importe quel travail.
La majorité des exploitations agricoles étant des petites entreprises familiales indépendantes, l’état d’esprit et les valeurs sont bien différents de ce que l’on peut trouver dans des grandes sociétés de la finance ou de l’industrie. Nous sommes sans doute le premier secteur où la transmission se fait principalement de père en fils depuis des générations.
À quel point le changement climatique a-t-il une influence sur votre activité?
Nous le ressentons de manière très directe vu notre activité. Les intempéries sont de plus en plus fortes, imprévisibles et toute notre profession dépend de la météo. En 2022, l’été a été très sec; cette année, il a été assez pluvieux, il y a donc eu un grand travail dans la gestion de l’humidité des sols de notre part. Nous devons adapter nos méthodes de production pour être plus résilients face à un cycle des saisons très perturbé.
Le travail de la terre est un héritage qu’il faut s’efforcer de protéger et de perpétuer
J’ajoute que nous subissons aussi le changement climatique dans les autres pays du monde, où nous nous approvisionnons pour certaines matières premières dont nous avons besoin. Dans un marché globalisé, la fluctuation des prix due aux bonnes ou mauvaises récoltes à une extrémité de la planète a des répercussions à l’autre bout du monde.
Considérez-vous les agriculteurs comme les premiers protecteurs de l’environnement?
Bien sûr, nous sommes au premier rang de la nature et des paysages et avons à cœur de les protéger. J’irais même plus loin: nous avons besoin d’une nature intacte pour produire nos récoltes. Certains paysages que nous avons aujourd’hui sont d’ailleurs le fruit d’un façonnage qui s’est opéré durant des générations, par des exploitants agricoles.
Nos méthodes de production sont parfois critiquées car la population ne comprend plus comment l’agriculture fonctionne. La société s’éloigne de plus en plus du monde agricole et, paradoxalement, tout le monde a un avis sur la façon de conduire l’agriculture. Nous sommes donc régulièrement désavoués alors que nous faisons au mieux, avec l’expérience que nous avons.
Où en est la production bio luxembourgeoise?
Avec la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation, nous constatons de façon très nette une baisse de l’intérêt du grand public pour les produits bio. Ces denrées étant plus chères à produire, elles sont plus onéreuses en magasins et ce sont des dépenses que les clients finaux hésitent à faire. J’ajouterais que nos produits locaux, non bio, demeurent d’une grande qualité, parfois même d’une qualité équivalente d’un point de vue nutritionnel. Alors le public achète plutôt ces derniers, car c’est un mode de vie et des méthodes de production plus qu’une qualité que l’on acquiert avec le bio.
Demain, quelles perspectives pour la centrale?
La question de la transmission des exploitations et du renouvellement des générations demeure un grand défi. Comme je vous le disais plus tôt, les contraintes et difficultés auxquelles nous faisons face n’incitent pas les jeunes à s’engager dans cette voie professionnelle. Ils ne parviennent pas à se projeter à long terme dans ce métier et préfèrent se tourner vers d’autres secteurs où «l’herbe semble plus verte». Si les conditions n’évoluent pas, de nombreuses exploitations cesseront leur activité et notre secteur s’éteindra progressivement, ou du moins se transformera radicalement dans les années à venir. Plus qu’un métier, le travail de la terre sous toutes ses formes fait partie du patrimoine luxembourgeois. C’est un héritage qu’il faut s’efforcer de protéger et de perpétuer.
Par J. Menegalli