La révolution quantique, à la fois un problème et une solution

L’informatique quantique a connu des avancées majeures depuis une vingtaine d’années, à l’image de la science qui l’a engendrée, et elle annonce une révolution. Le Luxembourg n’a aujourd’hui plus le choix d’entrer dans la course à l’innovation, autant pour profiter des avantages de ce bouleversement attendu que pour anticiper ses dangers, notamment en matière de cybersécurité. Explications.

La physique quantique : une histoire de révolutions

Les discours de nos politiques, informaticiens et scientifiques abordent régulièrement des sujets relatifs à la physique quantique. Ils parlent de révolution, d’avantage, de super-ordinateur, mais à quoi se réfèrent ces termes plus ou moins obscurs ?

Ce qu’on appelle la physique quantique n’a rien de neuf. Pour en comprendre la naissance, il nous faut remonter à la fin du 19e siècle. À cette époque, certaines observations, notamment en ce qui concerne le rayonnement électromagnétique, défient les lois établies. Pour tenter de les comprendre, le physicien Max Planck propose en 1900 de considérer l’énergie non plus comme un phénomène continu, mais comme des sortes de paquets distincts les uns des autres : les quanta. Nous assistons alors aux prémices d’une science fondée sur ce concept, plus communément appelée physique quantique.

Si pour les profanes il peut être complexe de comprendre l’importance de cette nouveauté dans le paysage scientifique, celle-ci engendrera diverses révolutions et des inventions marquantes. Le premier débat majeur, considéré comme la révolution quantique initiale, découle des principes d’incertitude et d’exclusion, formulés respectivement par Werner Heisenberg et Wolfgang Pauli. Ces principes, sans rentrer dans des détails trop techniques, autorisent alors une forme de hasard dans un domaine qui la boude habituellement, ce qui provoquera certaines scissions au sein de la communauté scientifique.

Parmi les inventions majeures qu’a permises la physique quantique et qui ont bouleversé le siècle passé, citons le transistor, le laser, la diode, les horloges atomiques ou encore le GPS.

Une cyber révolution annoncée

Au 21e siècle, les nouvelles technologies issues de la physique des quanta se concentrent sur l’informatique. Cette dernière repose sur l’utilisation de la mécanique quantique pour calculer à vitesse grand V et résoudre certains problèmes trop complexes pour des ordinateurs classiques. Cette accélération est rendue possible par l’idée d’employer, à la place des bits binaires ne pouvant avoir comme valeur que 0 ou 1, des « qubits » capables de combiner plusieurs valeurs et états en même temps. Pour reprendre les propos de Pascale Senellart, directrice de recherche CNRS au Centre de nanosciences et de nanotechnologies à l’université Paris-Saclay, « si l’on prend l’image de la Terre, le monde classique ne décrirait que la position du pôle sud, 0, et celle du pôle nord, 1. Le monde quantique, lui, donne accès à toutes les informations présentes à la surface du globe ».

Les 25 dernières années ont été le théâtre d’une course au superordinateur le plus performant. Depuis le premier prototype élaboré par IBM en 1998, les mastodontes du secteur, tels que Google, Microsoft ou Intel, ont enchaîné les inventions utilisant toujours plus de qubits.

L’avantage quantique implique que les protocoles actuels de cybersécurité et de cryptographie sont voués à devenir caducs

Toutefois, à l’heure actuelle, de nombreux défis entravent le développement de l’informatique des quanta. L’augmentation du nombre de qubits utilisés par les superordinateurs représente un des obstacles majeurs à surmonter, puisque ces unités sont particulièrement instables.

Si le moment où les capacités des ordinateurs quantiques deviendront plus importantes que celles des machines classiques – appelé avantage quantique – finira par arriver, il est impossible d’en déterminer la date. La seule certitude que la communauté scientifique a aujourd’hui, c’est que ce jour marquera le début d’une nouvelle révolution. Concrètement, cela pourrait faciliter la résolution de problématiques dans de nombreux domaines, au-delà du seul calcul haute performance : conception de matériaux et médicaments, anticipation des mouvements des marchés financiers, apprentissage des intelligences artificielles ou encore décryptage des réseaux sécurisés par des pirates. L’avantage quantique implique a contrario que les protocoles actuels de cybersécurité et de cryptographie sont voués à devenir caducs puisqu’ils sont fondés sur des problèmes mathématiques spécifiquement choisis pour la difficulté qu’ont les ordinateurs classiques à les résoudre.

Et le Luxembourg dans tout ça ?

Toutes ces problématiques rassemblées engendrent d’énormes enjeux de souveraineté économique et stratégique, auxquels le gouvernement luxembourgeois entend répondre. En juin 2019, celui-ci avait déjà signé une déclaration de coopération avec la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA) visant à créer une infrastructure de communication protégée basée sur la technologie quantique. Ainsi, l’État entend devenir pionnier dans la distribution quantique de clés (Quantum Key Distribution, QKD) qui permet à deux parties de générer une clé secrète, partagée et sécurisée. Grâce à celle-ci, si un hacker tente une intrusion, il perturbera les photons, des particules de lumière, présents dans la clé et alertera les deux détenteurs de celle-ci.

La QKD permettrait de cyber protéger les infrastructures critiques (énergie, transport, approvisionnement en eau, etc.), les centres de données, le superordinateur Meluxina ou encore les institutions européennes, avant de s’étendre à des acteurs privés. Car il s’agit bien là de la démarche annoncée par l’accord de coalition 2023-2028 concernant le développement des technologies quantiques : la stratégie grand-ducale est de permettre l’augmentation de la maîtrise de ces innovations informatiques autant pour le secteur public que privé, tout en renforçant la souveraineté numérique du pays. Pour ce faire, le Luxembourg envisage, d’une part, de nouer des partenariats européens et internationaux, comme il l’a prouvé le 21 mai dernier en renforçant sa coopération avec la Belgique dans le domaine de la communication quantique terrestre, et, d’autre part, d’instaurer une consultation des entreprises, chercheurs et experts pour explorer tout le potentiel des technologies exploitées.

La stratégie adoptée par le gouvernement de Luc Frieden est particulièrement ambitieuse et demandera de relever des défis de taille, au regard de l’envergure de la révolution quantique attendue. En revanche, le Grand-Duché aurait beaucoup à gagner dans l’aboutissement de sa quête, dans l’éventualité où l’informatique des quanta répond aux espoirs qu’elle a fait naître. N’oublions pas que prétendre aujourd’hui prendre toute la mesure de l’impact que cette discipline pourrait avoir dans 5, 10 ou 20 ans reviendrait à croire qu’un ingénieur informatique était capable en 1951 de prévoir l’arrivée de Facebook.

Par P. Paquet