Stress ou zen ? FragMent déchiffre le langage de nos villes
Et si notre environnement avait le pouvoir de façonner notre niveau de stress ? C’est la question intrigante que se pose Camille Perchoux, chercheuse au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research depuis 2016, à travers son étude FragMent. Alors que trois quarts des Européens vivent en milieu citadin, il devient essentiel de développer une planification urbaine intelligente pour rendre ces espaces de vie aussi agréables que possible.
Le projet FragMent
FragMent s’intéresse à un facteur de notre santé mentale : l’impact de nos environnements quotidiens et de nos activités sur le stress. L’étude souhaite comprendre comment nos déplacements entre lieux de vie, de travail et de loisirs influencent notre bien-être. Le stress, bien plus qu’un simple désagrément passager, est une réponse complexe (émotionnelle, comportementale et physique) à des situations perçues comme accablantes. Lorsque cet état devient récurrent, on parle alors de stress chronique, un facteur de risque majeur pour des maux variés, allant de l’hypertension aux troubles anxieux en passant par les maladies de la peau, les affections respiratoires et digestives.
Le projet s’intéresse particulièrement à la fragmentation de nos environnements – d’où le nom de l’étude, tant sur le plan spatial que temporel et à ses effets sur le stress physiologique et psychologique, ainsi que sur les inégalités sociales qui en découlent. Pour ce faire, FragMent utilise des méthodes innovantes, comme des cartes numériques, le suivi GPS et la réalité virtuelle, afin d’analyser comment les participants réagissent à différents types d’environnements.
Les facteurs (dé)stressants
La végétation en milieu urbain pourrait bien être l’un des meilleurs antidotes contre le stress. Des études montrent que les espaces verts, à la différence des environnements bétonnés, offrent des effets relaxants et contribuent à réduire la tension mentale. Cependant, les recherches peinent encore à définir précisément comment chaque type d’espace influence le stress. Les villes sont des écosystèmes complexes où se mêlent circulation, bruit, espaces verts et constructions, autant d’éléments qui interagissent sur de courtes distances et influencent différemment notre bien-être.
La règle « 3-30-300 » de Cecil Konijnendijk, directeur du Nature Based Solutions Institute, est souvent citée en référence : chaque citoyen devrait voir trois arbres depuis son logement, avoir 30% de végétation dans son quartier et résider à moins de 300 m d’un parc. Une étude faite à Barcelone montre même qu’avec ces critères, les habitants affichent une meilleure santé mentale et consultent moins les professionnels de santé. Au Luxembourg, l’équipe du projet Time-varying residential neighborhood effects on cardio-metabolic health (MET’HOOD) a analysé, sur neuf ans, comment les environnements bâtis et naturels influencent le syndrome métabolique, un ensemble de facteurs de risques pour la santé cardiométabolique. Les résultats montrent qu’une augmentation de la couverture végétale autour des résidences est liée à une réduction du risque de développer ce syndrome, confirmant que le vert en ville ne profite pas qu’à l’œil, mais aussi au cœur.
Chaque citoyen devrait voir 3 arbres depuis son logement, avoir 30% de végétation dans son quartier et résider à moins de 300 m d’un parc
L’accès aux espaces verts n’est pas uniforme et, dans un contexte urbain en constante expansion, de nombreux citoyens sont privés de la possibilité de se connecter à la nature. Cette inégalité d’accès rend certains groupes sociaux plus vulnérables au stress. Il est crucial d’examiner comment les trois éléments de la règle des espaces verts se répartissent dans les différents quartiers des municipalités du Grand-Duché et de comprendre les disparités d’accès pour les divers groupes sociaux. La question centrale demeure : comment concevoir des villes qui réduisent le stress et favorisent le bien-être quotidien, tout en garantissant l’équité pour tous ?
Résultats préliminaires
Les premières discussions de groupe menées dans le cadre du projet FragMent ont révélé des préoccupations majeures concernant l’environnement urbain. Les citoyens ont souligné que le sentiment d’insécurité dans des lieux tels que les gares et les trains est un facteur de stress significatif. De plus, ils ont évoqué les retards fréquents dans les transports en commun, le trafic routier, ainsi que les embouteillages comme des sources de tension quotidienne. Une autre inquiétude majeure a été la pauvreté en espaces verts et l’architecture moderne souvent perçue comme monotone, ce qui semble exacerber le stress des habitants.
Une expérience de réalité virtuelle est également en cours, où les participants se déplacent à travers des rues virtuelles typiquement luxembourgeoises, équipés de casques VR. Cette expérience vise à évaluer comment ces environnements numériques peuvent influencer la perception du stress.
Outre ces deux méthodes, une enquête en ligne a été mise en place pour enrichir les données, intégrant des outils modernes tels que des cartes interactives, une application pour smartphone et des enregistrements vocaux. Pendant deux semaines, les participants recevront par SMS quatre mini-enquêtes d’une minute chaque jour, leur demandant des informations sur leur activité actuelle, leur niveau de stress et la nature apaisante ou stressante de leur environnement. Grâce à la fonction GPS de leur téléphone, la localisation sera automatiquement enregistrée. De plus, les participants pourront laisser un message vocal, dans lequel ils liront deux phrases ou effectueront un compte à rebours. Ces enregistrements vocaux seront analysés à l’aide de l’intelligence artificielle conjointement avec Guy Fagherazzi, directeur du département de santé de précision au Luxembourg Institute of Health (LIH). Des variations dans la tonalité, le volume et le rythme de la parole, détectées durant les périodes de stress, feront de la voix un indicateur fiable. 400 personnes prendront part à l’expérience de réalité virtuelle et environ 2.000 à l’enquête pour obtenir un échantillon représentatif.
Par B. Pierrot