En quoi la construction circulaire est-elle nécessaire?
Les activités de construction et de démolition génèrent un tiers des déchets produits par l’Union européenne. Même si la moitié d’entre eux sont recyclés, leur valorisation et leur réemploi sont encore trop faibles. Au-delà des avantages évidents pour notre planète, la construction circulaire repose aussi sur une nouvelle logique économique qui doit nous éloigner du modèle de croissance éternelle devenu intenable. Rencontre avec Bruno Domange, Senior environnemental Engineer au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST).
Garantir une déconstruction sélective
Une équipe pluridisciplinaire du LIST s’intéresse à l’ensemble du processus de déconstruction des bâtiments: de l’inventorisation standardisée des composants, matières et déchets issus de la déconstruction à la facilitation de la gestion et de la circulation des matériaux de réemploi. Certaines solutions innovantes présentent déjà un niveau de maturité avancé. L’institut a développé un inventaire permettant d’aborder la déconstruction de manière standardisée, complété par un guide de la déconstruction en collaboration avec l’Administration de l’environnement. Il est destiné aux acteurs du secteur et promeut les recours aux bonnes pratiques. «Il est grand temps de faire aussi bien avec moins et de réfléchir en amont à ce que deviendront les matériaux que l’on utilise. Cette réflexion concerne toutes les parties prenantes, le plus difficile est de changer les mentalités. En effet, le réemploi n’est pas toujours bien perçu, mais il faut parvenir à trouver un juste équilibre dans des problématiques impliquant un très grand nombre de paramètres. Privilégier les économies d’énergie via la construction de bâtiments passifs ne devrait pas se faire au détriment du confort intérieur ou de la déconstructibilité», indique Bruno Domange. Le LIST joue un rôle de facilitateur et de transmission d’idées dans un monde fortement tributaire de la coopération entre les différents acteurs. Il intervient notamment en tant qu’interface entre l’administration et l’industrie de la construction. Une bonne communication est indispensable à la compréhension et cela n’est pas toujours simple! «Il existe encore beaucoup de blocages au Luxembourg, car des intervenants ne trouvent pas leur compte dans l’économie circulaire, d’où la nécessité de les convaincre. Il faut envisager le modèle comme une chaîne harmonieuse sinon cela ne fonctionne pas», complète l’ingénieur.
Un inventaire digital des matériaux
La plateforme DigitalDeconstruction, développée dans le cadre d’un projet Interreg NWE, fournit une nouvelle dimension circulaire grâce à l’association de quatre technologies de pointe qui confèrent un avantage considérable aux utilisateurs en matière de planification et de logique de déconstruction, mais aussi de traçabilité et de certifications environnementales. La combinaison des technologies de scan3D, de réversible BIM (Building Information Modelling), d’inventaire et de blockchain permet à l’interface d’inventorier et de caractériser de manière standardisée l’ensemble des éléments constitutifs d’un bâtiment tout en renseignant leur potentiel de réemploi. Cette technologie fait actuellement l’objet de tests sur des projets de déconstruction en France, en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg.
Faciliter la circulation des matériaux de réemploi
Depuis plusieurs années, le LIST met à profit son expertise au service de la stratégie zéro déchet du Luxembourg (Null Offall Lëtzebuerg) favorisant une gestion rationnelle des ressources et la création d’un marché d’échange d’éléments de construction récupérés. Si les étapes de la déconstruction peuvent être planifiées en amont, il n’en reste pas moins que les matériaux de réemploi doivent être caractérisés et conditionnés de façon à intéresser les futurs réemployeurs. Le projet européen Interreg FCBRE répond à cette problématique. Sa première phase consistait à recenser, rencontrer et documenter la filière du réemploi en Europe du Nord-Ouest afin de mettre en lumière l’offre existante sur le territoire en matériaux issus du réemploi, pour in fine stimuler la demande et encourager le développement du recours aux matériaux de réemploi vendus par les opérateurs du territoire. Au Luxembourg, il est coordonné au LIST par Bruno Domange. «Ce partenariat international vise à faciliter la circulation des matériaux de réemploi par la diffusion et l’adoption de guides pratiques et de fiches matériaux ou encore la création d’une méthode d’évaluation des efforts de réemploi des matériaux».
Revenir aux fondamentaux
La construction circulaire n’est pas nouvelle, elle remonte même à plusieurs siècles! L’emblématique Colisée de Rome érigé entre 70 et 72 après Jésus-Christ a souffert de nombreuses dégradations de sa structure au Moyen-Âge, liées notamment à de multiples tremblements de terre. Les pierres furent ainsi récupérées à la demande de l’Église catholique pour construire des bâtiments religieux comme la façade de la basilique Saint-Pierre, dont les blocs de pierre proviennent intégralement du Colisée. Bruno Domange explique: «Il existe d’autres exemples dans l’histoire, à l’instar de celui des immeubles haussmanniens dont les matériaux de valeur ont été revendus et non jetés entre les deux guerres mondiales. Cela nous enseigne la nécessité de revenir à ce que nous avons oublié, il faut penser à ce que constitue un bâtiment. Conserver les matériaux contribue à poursuivre leur histoire en les faisant revivre». La construction circulaire, c’est aussi envisager des usages multiples: une structure qui accueille une école durant les heures d’enseignement peut se transformer en maison des associations le soir ou les week-ends. C’est également revenir à l’utilisation de matériaux facilement réutilisables comme le bois, le métal ou la pierre et s’éloigner des techniques comme la domotique qui ne s’inscrivent pas dans une logique de construction circulaire, car trop énergivores. À ce titre, le concept de la LowTech gagne en popularité face aux enjeux environnementaux avec des solutions qui invitent à se tourner vers l’essentiel en repensant nos besoins réels. Cela concerne notamment l’approvisionnement des matériaux, les procédés constructifs employés et l’isolation.
La différence entre le réemploi et le recyclage
Ce sont deux notions différentes, prenons l’exemple d’une poutre en acier sur un chantier de déconstruction. Dans le cadre d’un recyclage, elle sera évacuée avant d’être transformée en acier dans un four à 1.600 degrés. Bilan énergétique? Très mauvais. Dans le cas du réemploi, on la conserve intacte et, après vérification, elle peut être replacée telle quelle. À l’inverse du recyclage, le réemploi permet d’éviter que les matériaux subissent de profondes transformations et une perte de valeur d’usage. Citons l’exemple du bois qui ne serait pas transformé en copeaux ou en aggloméré ou le fer forgé qui ne redeviendrait pas matière première après avoir été broyé, laminé et fondu. Dans le contexte actuel de crise écologique, le réemploi offre un avantage notable sur le plan des économies d’énergie et de ressources nécessaires à la fabrication de produits neufs. Il permet également de réduire considérablement la quantité de déchets mis au rebut. Son impact en termes d’émission de gaz à effet de serre est nettement moindre comparé à celui du recyclage.
Par C. Mick