LA DIALECTIQUE DE L’ARCHITECTURE
L’immense responsabilité de dessiner le contour des villes et des quartiers de demain se trouve notamment dans les mains des architectes. Entre créativité et pragmatisme, l’émotion se confronte à la fonctionnalité et l’innovation se frotte aux traditions. Sala Makumbundu, architecte administrateur chez Christian Bauer & Associés et secrétaire générale de l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils (OAI), présente sa vision de l’architecture et de la Smart City.
Le lierre qui enlace le bâtiment CBA Architects interpelle et invite l’œil du badaud à s’arrêter quelques secondes devant la façade et à la contempler… avant de reprendre la cadence effrénée de ses pas. Si seulement il avait franchi le seuil de la porte car, à l’intérieur, la surprise est d’autant plus grande avec cet escalier en bois, flottant au milieu d’un immense couloir dominé par une grande baie vitrée à l’arrière. « L’effet de surprise fait notamment partie de ma philosophie et de ma vision de l’architecture, cet escalier en est le parfait exemple. Evidemment, l’architecture doit répondre à des besoins fonctionnels, mais elle doit aussi susciter l’émotion qui se crée en jouant sur les volumes, les perspectives ou encore les jeux de lumière. Notre cabinet tient également beaucoup à la dialectique, où des éléments contradictoires peuvent se compléter. A Francfort, pour le projet Stadthaus am Markt, nous avons utilisé le grès rose, un matériau local et traditionnel, pour réinterpréter la maison classique à toiture à deux pans, mais de façon très contemporaine », résume Sala Makumbundu, architecte administrateur chez Christian Bauer et Associés.
Les sources d’inspiration ne manquent pas et diffèrent selon les situations : « Le lieu, justement, en fait partie. L’inspiration n’est pas seulement centrée sur le bâtiment en lui-même ; autour se trouvent plusieurs aspects : le social, le culturel, l’historique,… Finalement le lieu en lui-même regorge de multiples facettes visibles, puis invisibles car nous les découvrons au fur et à mesure de l’analyse d’un projet par exemple. L’art, la nature ou même les matériaux peuvent aussi m’inspirer. A vrai dire, c’est plutôt une mosaïque d’éléments qui deviennent une source d’imagination », étaye-t-elle. Son goût pour la photographie, l’une de ses passions, lui sert aussi pour élaborer ses projets.
De Kaiserslautern à Nantes jusqu’à Luxembourg
D’inspiration à aspiration, il n’y a qu’un pas. Pour Sala Makumbundu, le chemin vers cette vocation d’architecte s’est dessiné en grandissant. « Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant, « tiens je veux devenir architecte » (sourire). C’était avant tout un processus. J’ai un père ingénieur et, quand j’étais enfant, il me parlait déjà des chantiers intéressants sur lesquels il travaillait. J’ai donc eu des contacts avec ce domaine dès le plus jeune âge ». Animée, aussi, par le travail en équipe, elle s’est par la suite naturellement dirigée vers l’architecture. « L’idée de travailler avec d’autres personnes pour d’autres personnes m’a plu ».
Originaire de Bonn, en Allemagne, l’architecte a d’abord étudié à Kaiserslautern avant de poursuivre son cursus à Nantes, pour finalement intégrer le cabinet Christian Bauer et Associés en 1998. Également secrétaire générale de l’OAI, elle se félicité d’avoir suivi un parcours universitaire si riche : « Mes études en Allemagne et en France ont permis d’élargir mes horizons, tant d’un point de vue personnel qu’architectural. L’approche était plus technique à Kaiserslautern alors qu’à Nantes, elle était plus artistique, avec un volet sociologique qui était beaucoup plus poussé qu’en Allemagne », se remémore Sala Makumbundu.
Une ville basée sur des processus intelligents
Cet éclectisme architectural et son goût du travail pour autrui lui permettent aujourd’hui de jouer un rôle dans le développement de la ville de demain et de ses concepts aussi divers que variés. « Toute construction est un acte public. Bien qu’elle soit privée, une maison fait partie d’un quartier, d’un village, bref, de tout un ensemble. Il faut réussir à marier ces deux aspects et trouver un équilibre entre les deux, tout en conservant les côtés fonctionnels et esthétiques. En parlant de Smart City, une très grande majorité de personnes estime qu’elle sera uniquement centrée sur la technologie, le digital, les applications, les données,… Mais selon moi, elle doit se concentrer sur la sociologie. Il faut des processus intelligents pour accompagner les populations et former des communautés où il fait bon vivre. Une ville intelligente doit d’abord l’être au niveau de l’humain ».
Une ville intelligente doit d’abord l’être au niveau de l’humain
Parmi ces processus, l’économie circulaire fait partie des nombreuses évolutions qui influencent la profession. Sala Makumbundu considère que ce principe n’est pas une nouvelle invention, mais bien un simple retour aux sources. «Il s’agit en réalité de reprendre les principes et les bonnes habitudes des anciennes générations qui ont été perdues au fil du temps. « Pourtant, à l’heure actuelle, nous sommes encore loin de pouvoir proposer un bâtiment totalement circulaire. Malgré tout, je reste convaincue que ce concept évoluera au fil des années, car le marché n’est pas non plus prêt à 100% »
« Conserver la vision globale d’un projet »
D’où la phase de transition que la profession est en train d’amorcer en termes de méthodes de travail. « Certes, les croquis à la main restent primordiaux durant les premières phases d’un projet, mais la complexité est telle qu’il faut opter pour de nouveaux outils comme le BIM (Building Information Modeling). L’architecte n’est pas un expert dans tous les domaines, il doit forcément travailler en équipe avec d’autres experts. Selon ma vision du métier, il doit conserver la vision globale d’un projet. Ainsi, le management de la maquette BIM devrait idéalement revenir aux mains de l’architecte ».
Finalement, tous ses rôles sont à la fois multiples et complexes, « et peut-être même plus qu’auparavant. Les principes environnementaux ou les concepts énergétiques prennent aujourd’hui une très grande importance dans les réflexions et ne sont pas forcément nouveaux. Christian Bauer s’est, par exemple, intéressé très tôt aux aspects bioclimatiques des bâtiments », conclut Sala Makumbundu. Conscient de ces rôles ou non, le badaud, lui, continuera à gagner quelques secondes de son temps à s’arrêter un instant dans son environnement et à se laisser surprendre par l’architecture.
Par P. Birck
Photo : Agence Kapture