LA VILLE, ACTRICE DE LA SANTÉ ET DE LA PRÉVENTION

Et si la ville de demain contribuait, via son réseau, sa connectivité, sa mobilité,… au bon déroulement des soins et de la santé en général ? La réponse tend vers l’affirmative. À l’heure des innovations, tout un secteur embrasse la digitalisation pour optimiser la médecine, mais aussi pour offrir une meilleure qualité de vie aux citoyens, notamment grâce à une amélioration de la prévention. Jean-Philippe Arié, HealthTech Cluster Manager chez Luxinnovation, évoque les révolutions qui bouleverseront la santé à l’avenir et le rôle du Cluster dans le rayonnement du Luxembourg.

Quel est le rôle du HealthTech Cluster dans le développement du secteur de la santé ?

Le HealthTech Cluster, qui s’appelait alors le BioHealth Cluster, est né en 2008 d’une logique de diversification de l’économie luxembourgeoise. Son objectif est de mêler les avancées technologiques aux intérêts des patients. Le secteur médical évolue : la recherche et l’innovation bouleversent le paysage global en matière de santé et affectent nécessairement la relation entre le patient et le médecin. La révolution médicale a d’ores et déjà commencée, stimulée par la technologie digitale.

Aujourd’hui, sur les 136 entreprises actives dans le domaine des technologies de la santé, 32 le sont directement dans les technologies numériques à vocation uniquement médicale. Notre rôle est de connaître tous ces acteurs et de les aider à développer des solutions innovantes, puis à croître économiquement, au Luxembourg mais aussi à l’étranger. Le cluster vise également à faciliter les interactions entre l’économie nationale, les entreprises et le secteur de la santé pour faire briller le savoir-faire luxembourgeois à l’international.

Intégrer le parcours de soin dans la ville

En quoi la « Smart City » jouera-t-elle un rôle dans cette relation entre le patient et le médecin, et plus généralement dans la santé ?

L’idée de « Smart City » est intéressante, notamment en termes de connectivité pour mettre en rapport le patient – ou même le citoyen – au médecin. La ville en elle-même contribuera à la bonne santé de tout un chacun. Le HealthTech Cluster s’intéresse à ces sujets, avec une problématique centrale : anticiper les futurs besoins des médecins et des citoyens dans la ville de demain au regard de leur santé. La connectivité en est et en sera sans aucun doute un élément central.

La ville elle-même devra réagir aux besoins médicaux du citoyen et éventuellement organiser son parcours de soin. Pour cela la digitalisation globale sera nécessaire : capteurs dans des vêtements connectés pour déceler fatigue et autres méformes ; connectivité 5G ; géolocalisation pour anticiper d’éventuels risques environnementaux ; prise automatique de rendez-vous et de réservation d’un parking à proximité des centres de soin… Toutes ces données personnelles pourront être captées par la ville et intégrées dans le dossier du patient, à côté de ses données génomiques par exemple, et donc être prises en compte dans le diagnostic médical personnalisé.

En misant sur la connectivité et l’utilisation des données, il sera ainsi possible de faire davantage de prévention, et c’est sans doute là que la technologie modifiera le plus la pratique de la médecine.

Comment imaginez-vous le parcours de soin d’un patient à l’avenir ?

Le matin, un individu se réveille et une application parvient à lui dire s’il est fatigué, s’il a de la fièvre ou tout simplement à signaler des moments où il sera potentiellement malade. Des outils seront mis à disposition pour effectuer des pré-diagnostics, juger de la gravité d’une pathologie et orienter le patient vers l’hôpital, le médecin de ville ou tout simplement, le soumettre au repos. Dans le cas où une intervention serait nécessaire, le système urbain devra gérer au mieux le parcours de soin du patient : un taxi ou une voiture connectée l’emmènera chez le médecin, son employeur sera ensuite automatiquement mis au courant. Un diagnostic sera effectué au moment du transport et le personnel médical aura instantanément une vue globale sur le patient grâce au dossier médical partagé.

En bref, l’hôpital sera un écosystème automatisé qui prendra en charge le malade depuis son transport jusqu’au suivi des prescriptions et ordonnances après sa sortie – avec un pilulier numérique, par exemple – en passant par la préparation de la salle d’examen ou la réservation des machines d’examen.

La santé de demain sera-t-elle nécessairement personnalisée ?

J’en suis persuadé, et dans certains cas de figure nous y sommes déjà. Cependant, grâce à la digitalisation, avec les « Big Data », nous pourrons personnaliser encore davantage les diagnostics et les traitements en fonction du climat, des aliments,… Cette intelligence passe par les données. Plus elles sont nombreuses, plus les algorithmes s’affinent.

Le secteur médical évolue très vite, je suis parfois très surpris de l’ampleur que prend de la digitalisation dans les hôpitaux qui, par exemple, utilisent déjà le positionnement GPS pour les patients ou les appareils médicaux. Ils commencent également à étudier l’immense potentiel de l’intelligence artificielle.

Anticiper les futurs besoins des médecins et des citoyens

Cet amas de données personnelles et sensibles pose forcément une question d’éthique…

Évidemment, mais le Luxembourg est très bien doté au niveau du Règlement général sur la protection des données. Si le RGPD est relativement nouveau pour certains secteurs économiques, le secteur médical est confronté à la sécurité des données depuis longtemps. Le Luxembourg possède de très bonnes expertises, à la fois dans ses centres académiques de recherche et dans son industrie digitale, pour répondre aux enjeux techniques de la médecine digitale. Cela concerne par exemple le chiffrement ou la pseudonymisation, une technique numérique utilisée pour qu’on ne puisse jamais découvrir l’identité réelle des patients à partir de leurs données personnelles, mais que ces données puissent tout de même être exploitées dans le cadre de la médecine personnalisée. Certes, cette collecte de données pose des questions éthiques, mais il faut peser les bénéfices et les risques. Certaines données sont collectées avec le consentement des patients qui ont un droit de regard sur les informations utilisées, pour quelle durée et pourquoi.

En plus de sa bonne position en matière d’innovation, le Luxembourg a la chance d’être un petit pays, ce qui peut faciliter la réalisation de tests à une échelle nationale.

Digitalisation, Big Data, intelligence artificielle, télémédecine, robotique… Qu’en est-il de la relation humaine, si primordiale dans la santé ?

Ne pas perdre le contact humain dans le parcours de soin, c’est justement l’objectif absolu. De telles avancées technologiques permettent de gagner en réactivité et en efficacité et laissent donc plus de temps pour l’accompagnement. Certains symptômes ne peuvent pas être décelés par les machines. Avec cette digitalisation de la santé, l’objectif n’est pas de déshumaniser, mais bien de rendre le travail des médecins plus efficace.

Même si la télémédecine a beaucoup évolué et que la visio-conférence a fait des progrès, rien ne remplacera un rendez- vous physique avec son médecin. L’enjeu principal de la médecine du futur sera bien d’optimisation ses process tout en préservant le contact humain.

Par P. Birck