L’EUROPE AUX PIEDS D’ESCH EN 2022
Des retombées économiques, sociales et encore touristiques, tels sont les bénéfices non exhaustifs que tireront Esch-sur-Alzette et les territoires grand-ducal et français de leur statut de Capitale européenne de la Culture. Nancy Braun, directrice générale d’Esch 2022, présente les enjeux d’un tel projet pour le développement du Luxembourg.
Esch deviendra Capitale européenne de la Culture en février 2022 mais devra partager cette aventure avec huit communes françaises et onze autres communes du Minett. Pourquoi ?
La ville d’Esch-sur-Alzette est Capitale européenne de la Culture 2022 avec les communes environnantes sur les territoires luxembourgeois et français en raison de l’histoire commune et de l’identité qui lie toute la région. L’histoire industrielle qui les unit a dépassé les frontières et a façonné d’une commune mesure la nature, les gens et l’économie aux XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, la région se développe en un centre pour les connaissances et les technologies nouvelles et créatives tourné vers l’avenir. L’objectif est qu’Esch 2022 contribue à poursuivre le changement en cours pour que les gens puissent façonner leur avenir ensemble. La pensée transfrontalière et européenne fait partie de notre identité. Le projet offre la possibilité de franchir les frontières non seulement symboliquement, mais véritablement.
Votre programme met l’accent sur quatre thématiques : Remix Europe, Remix Nature, Remix Art et Remix yourself. Que représentent-elles et pourquoi avoir choisi le terme « Remix » dans chacun des quatre piliers ?
Compte tenu des défis auxquels nous sommes confrontés en Europe, nous voulons saisir l’occasion de prendre notre avenir en main et de le façonner ensemble au mieux. Afin de pouvoir modeler l’avenir, l’existant doit être remué. L’approche du remix le décrit : les limites du possible doivent être dépassées. Il est temps de rehausser le pouvoir de la diversité qui façonne notre région, de libérer notre imagination et de remixer notre culture !
Les quatre piliers représentent quatre domaines importants de notre société. Esch 2022 nous offre – en tant qu’individus et membres de la société – un espace pour permettre à de nouvelles perspectives d’entrer dans nos vies, dans le but de développer le sentiment d’une identité et d’une appartenance communes. La croissance personnelle doit être encouragée par la diversité culturelle. C’est ce que nous entendons par « Remix Yourself ». « Remix Nature » est synonyme de prise de conscience de la beauté naturelle de notre région et de ses évolutions au fil du temps. Esch 2022 peut être le germe d’un avenir collectif durable. Avec le « Remix Art », la Capitale européenne de la Culture crée un espace pour prendre du recul, s’émerveiller et participer. Nous pouvons tous contribuer à façonner et à réinventer le monde dans lequel nous vivons. Et comme déjà souligné, la nature transfrontalière du projet offre la possibilité de grandir et de surmonter ensemble les faiblesses présumées. Nous sommes un « Remix Europe ».
Vous êtes-vous inspirés des autres Capitales européennes de la Culture ? Quel sera le savoir-faire made in Luxembourg qui sera dévoilé à travers ce projet ?
Il est difficile de s’inspirer d’autres villes, car partout les circonstances sont différentes. Les points de départ et les besoins ne sont pas les mêmes, bien qu’il puisse parfois y avoir des similitudes, comme entre Esch 2022 et Ruhr 2010 en raison de parallèles dans l’histoire industrielle de la région. Mais même si nous revenons sur la Capitale européenne de la Culture 2007, la Ville de Luxembourg et la Grande Région, la comparaison est très limitée. Il y a, certes, également eu une dimension transfrontalière, mais il faut toujours voir chaque projet de Capitale européenne de la Culture d’un oeil nouveau et le développer individuellement. Ce qui peut sans aucun doute contribuer au succès du projet au Luxembourg, c’est l’internationalité vécue, l’ouverture et l’intégration réussie de différentes cultures et identités, qui caractérisent le sud du pays. Nous sommes Européens et en tant que membre fondateur de l’Union européenne, nous sommes très convaincus de notre communauté de valeurs. Nous devons utiliser et perpétuer cet esprit, également au-delà du projet à proprement parler.
Des appels à projets ont été lancés à travers ces thématiques. Pourquoi le citoyen joue-t-il un rôle important dans l’aboutissement d’Esch 2022 et comment favoriser sa participation ? Avez-vous quelques exemples de projets phares qui ont été retenus ?
Le citoyen est essentiel quand il s’agit de façonner son avenir. Sa participation est la clé pour y arriver. Nous avons lancé un appel à projets début 2019 et avons obtenu 606 réponses. Il est important pour nous que de nombreux projets prévoient une participation du public au-delà de son rôle de pur « consommateur de culture ». Nous voulions motiver les porteurs de projets à innover et à impliquer les citoyens. Cela est également lié aux conditions posées par l’UE. Il est important de noter que le projet se concentre davantage sur les citoyens que les infrastructures.
Un projet de l’Université du Luxembourg prévoit aussi d’impliquer directement le visiteur en combinant l’art et l’intelligence artificielle. Dans l’une des parties du programme, il est prévu – bien sûr avec leur approbation préalable – que les participants puissent rencontrer des projections de leurs descendants potentiels dans une zone interactive en utilisant des applications mobiles basées sur des algorithmes génétiques. Ensuite, il y a aussi l’idée d’associer des couleurs à des nombres afin que des enfants souffrant de dyscalculie puissent plus facilement travailler avec ceux-ci et s’en servir.
À Differdange, le projet Diffmix vise à développer des idées concrètes sur la façon dont les espaces publics peuvent devenir des espaces communs. Ses initiateurs souhaitent lancer eux-mêmes un appel à projets avant 2022 et impliquer directement les citoyens dans le processus de conception et de création. Cette idée de la «co-création» rapproche citoyens, artistes et institutions et permet à chacun de participer. Les visiteurs pourront ensuite découvrir les lieux réaménagés en 2022 et au-delà. Ceci est un très bel exemple d’un projet durable.
L’ouverture officielle en 2022 sera un grand projet participatif étant donné que les citoyens feront partie de l’équipe et de la mise en scène. À quoi celle-ci ressemblera-t-elle ? Cette réponse devra être planifiée soigneusement, également dans le contexte de la situation actuelle et de ses futurs développements. Mais une chose est sûre : ce sera l’ouverture des citoyens. Ils inviteront à la découverte de leur projet, dans leur ville ou leur région.
En outre, un « Masterplan for citizen participation » est en cours de préparation, dans lequel nous déterminerons comment nous pouvons obtenir la participation citoyenne la plus large possible pendant la durée du projet, et au-delà.
La culture doit servir de base solide à la ville de demain
Quelles sont les retombées espérées pour Esch, le Luxembourg et la communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette (CCPHVA), à l’issue de 2022 ? En quoi Esch2022 peut-elle être moteur de développement pour la Grande-Région ?
Globalement, les attentes incluent une amélioration de l’image de la ville d’Esch-sur-Alzette et des régions alentours ainsi qu’un renforcement du syndicat de communes Pro Sud. La région doit être perçue comme une destination de voyage attrayante pour ceux qui s’intéressent à la culture, mais aussi pour les amoureux de la nature, dans leur propre pays et au-delà. Bien entendu, ceci devrait s’accompagner d’effets économiques. La nouvelle « richesse » dans le sud se reflète dans le centre de connaissances de Belval avec l’Université ou le « Luxembourg Institute of Science and Technology », pour n’en nommer que quelques-uns. Les fondations ont été posées, Esch2022 s’appuie dessus et en est le carburant pour une expansion future. La visibilité du Luxembourg et de la CCPHVA – tout comme sa perception par les Luxembourgeois et les Français eux-mêmes – doivent également se développer par le biais d’Esch2022. La région devrait attirer la gastronomie et l’hôtellerie, de nouvelles entreprises et start-ups qui façonneront le paysage et la société de manière durable.
Dans quelles mesures Esch 2022 peut-elle participer à l’élaboration d’une « Smart City » voire d’une « Smart Region » ?
Une réflexion importante est en cours au sein de la CCPHVA pour modifier et développer durablement le paysage industriel d’il y a plusieurs décennies. Il s’agit notamment de transformer les anciennes infrastructures en zones industrielles, commerciales ou résidentielles pour les rendre accessibles aux citoyens et aux nouvelles entreprises innovantes actives dans le secteur de l’économie verte. L’objectif ici est d’agir de manière écologiquement durable, économiquement rentable et socialement inclusive.
Une « Smart City » est une ville en réseau qui utilise les dernières technologies pour offrir une large gamme de services dans des domaines tels que le logement, l’environnement, la sécurité et l’éducation. Au Luxembourg, de nombreux outils « intelligents » sont déjà disponibles, si l’on tient compte de la mobilité et des transports locaux. Les ministères responsables travaillent sur leur développement et nous allons également utiliser des outils, des technologies et des idées afin de les promouvoir davantage. Chaque innovation, réalisation et idée qui arrive à simplifier la vie, améliore et renforce finalement aussi l’image du pays. Mais pour produire cet effet, une idée doit obtenir l’approbation de la population. La communication est donc essentielle et nous offrons notre soutien en tant qu’ambassadeur.
Quelle est, justement, votre vision de la culture et son rôle dans la ville de demain ?
Les villes de demain doivent être des lieux de rencontre attractifs et solidaires, dans lesquels l’innovation doit être promue pour assurer un développement constant. Pour y parvenir, le potentiel de la diversité culturelle doit être utilisé. La culture ne doit pas seulement servir au développement des villes, elle peut aussi connecter les gens, et ce, plus que jamais. Chacun doit pouvoir participer à la vie culturelle : la culture est là pour tout le monde et doit pouvoir fonctionner sans limites. Elle doit servir de base solide à la « ville de demain ».
Notre promesse est qu’Esch2022 soit l’occasion de découvrir, d’écouter, de ressentir et donc aussi de développer son «futur soi» dans une région ouverte, où l’héritage, le savoir et la capacité durable à innover et à collaborer permettent de repousser les frontières et d’abattre les murs.
Propos recueillis par Pierre Birck.