L’HABITATION MODULAIRE À L’ASSAUT DES BAULÜCKEN
L’inclusion par le logement, voilà le principal objectif de l’Agence Immobilière Sociale. Avec près de 520 logements en gestion, Gilles Hempel, directeur de l’AIS, revient sur un nouveau projet qui concerne les solutions qu’offre le bâtiment modulaire pour lutter contre la problématique des Baulücken.
Pouvez-vous résumer en quelques mots les activités de l’AIS ?
L’Agence immobilière Sociale a été créée en 2009 avec l’objectif de louer des logements inoccupés. Ici, au Luxembourg, nous comptons entre 10.000 et 20.000 logements vides. Cela concerne par exemple les personnes âgées en maison de retraite ou des héritiers qui ont connu une succession mais n’ayant finalement pas besoin de cet héritage. Notre objectif est simple : mettre ces biens à disposition des habitants aux revenus modestes sous forme de location. Le propriétaire n’a rien à craindre car nous lui donnons certaines garanties, notamment en termes de loyer ou encore d’entretien.
Tout est géré par l’AIS sans aucune contrainte pour le propriétaire. En bref, nous luttons contre l’exclusion sociale par le logement, surtout au Luxembourg, où il devient de plus en plus difficile de se loger… et pour l’instant, ce système fonctionne plutôt bien, puisque nous avons un parc de 520 logements.
Une ville où il y aura de la place pour tout le monde
Vous luttez contre les logements vides et depuis quelques mois désormais vous avez noué un partenariat avec Polygone pour proposer des logements modulaires sur les terrains inoccupés…
C’est exact. Nous avons aussi soulevé une autre problématique bien connue ici : celle des terrains inoccupés que l’on appelle plus généralement les Baulücken. Ce sont des terrains vides qui se trouvent entre deux logements. En 2017, j’ai par hasard rencontré Pit Streicher de Polygone qui m’a parlé des modules et je lui ai demandé si leurs modules de chantier pouvaient se transformer en lieux de vie. Nous avons ainsi développé, avec Polygone et Banice Architects, un habitat modulaire qui peut être monté et démonté en très peu de temps et cette solution présente plusieurs avantages pour lutter contre ces Baulücken, ce qui lui permet, aussi, d’entrer nos activités dans le principe d’économie circulaire. Il suffit de quelques jours pour l’installer car tout est produit en amont, en usine, et livré clé en main avec la cuisine, les sanitaires,…
Ici, les bâtiments ressemblent en tous points à des constructions traditionnelles car ils sont personnalisables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, ce qui est idéal pour s’adapter au voisinage ou à l’urbanisme en vigueur. Ainsi, nous pouvons proposer des maisons unifamiliales ou bi-familiales, les possibilités sont quasiment infinies : rez-de-chaussée plus deux étages, assemblage de six modules pour en faire un petit appartement avec une terrasse,…
Selon le LISER, ces friches représentent une superficie d’environ 1.000 hectares sur tout le territoire, imaginez les logements que l’on pourrait offrir s’ils étaient tous utilisés!
Concrètement, comment cela fonctionne ?
De la même manière que notre processus avec les logements vides, à la seule différence près que nous plaçons des modules sur un terrain inoccupé. Nous proposons aux propriétaires de nous louer leur terrain, nous ne réalisons pas de fondation classique et aucun travail, à part les raccordements au réseau d’eau, d’électricité,… Sera-t-il difficile de les convaincre ? Je ne pense pas. Bien au contraire, ils percevront un loyer sur un terrain qui gagne, lui, 5 à 7% de plus-value par an. Dans tous les cas il sera gagnant. Un bail dure cinq ans, et si le propriétaire souhaite récupérer son terrain, nous démontons le bâtiment modulaire pour le placer sur un autre. Cette approche minimale est pertinente car elle permet de ne pas dénaturer le terrain lorsque le propriétaire le récupère à la fin de la location.
Des projets sont-ils déjà en cours ?
Nous sommes pour l’instant entrain de discuter avec les ministères pour les côtés réglementaires et juridiques, mais également avec les communes, les bourgmestres et les échevins, car ce sont aussi eux qu’il faut convaincre. Jusqu’à maintenant les feedbacks sont positifs et cette solution novatrice du modulaire peut répondre à la pénurie de logements au Grand-Duché.
Il nous reste qu’à approcher les propriétaires pour avoir un premier terrain sur lequel nous pourrons entamer un projet pilote de façon plus concrète. Cette expérience mettra sans doute en lumière les possibles imprévus auxquels nous n’avons pas pensé afin de proposer des solutions plus efficientes à l’avenir pour nos projets.
Le bâtiment modulaire fleurira-t-il nos villes à l’avenir ? Et plus généralement, comment voyez-vous la ville de demain ?
Selon moi, le modulaire va effectivement prendre une place de plus en plus importante car il présente plusieurs avantages : il est déplaçable, rapide à construire et à monter,…
Plus généralement, la ville de demain sera une ville où il y aura de la place pour tout le monde, où la mixité sociale jouera un rôle majeur. Au Luxembourg par exemple, nous sommes en retard par rapport à d’autres pays. Aujourd’hui, le taux de logements sociaux sur notre territoire s’élève à 2% alors qu’au sein d’autres pays européens, il grimpe jusqu’à 20 voire 30%. L’AIS et ses activités vont dans ce sens et permettent justement cette mixité, car j’imagine la ville de demain sans ce phénomène de gentrification et de ghettoïsation des populations.