Logements abordables: «Il faudrait avoir le culot de passer à l’action»

En avril dernier, l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils (OAI) et le Syndicat des Villes et Communes Luxembourgeoises (SYVICOL) organisaient une table ronde sur le logement abordable, en présence des ministres de l’Intérieur, Taina Bofferding, et du Logement, Henri Kox, de Maurice Bauer (échevin au Logement, Ville de Luxembourg), de Jean-Paul Scheuren (président de la Chambre Immobilière) et d’Émile Eicher (président du SYVICOL). Sala Makumbundu et Pierre Hurt, respectivement architecte secrétaire générale et président de l’OAI, participaient également à la discussion et reviennent en interview sur la thématique.

En avril dernier, vous tiriez la sonnette d’alarme auprès des communes et du gouvernement sur le manque de logements abordables. Pour quelles raisons avez-vous lancé ce débat maintenant?

PH: Nous nous trouvons actuellement dans une situation très dramatique, qui nécessite un changement de paradigme. Si la question est largement discutée, nous sommes toutefois d’avis, au sein de l’Ordre, qu’il faut être plus radical pour vraiment résoudre ce problème.

SM: La situation devient de plus en plus préoccupante. Il n’existe pas non plus de marché pour les primo-accédants. Il est donc impératif de créer un socle de logements abordables qui reste en main publique. Bien que primordial, un tel programme prendra certainement du temps: on parle ici de dix à quinze ans.

Pourquoi rencontre-t-on ce problème plus particulièrement au Luxembourg?

PH: C’est tout d’abord une question de société: vous, moi, nous… sommes tous le problème; nous ne souhaitons pas partager notre petit lopin de terre et voulons de l’espace autour de nos logements. Seconde raison, le sol est prisonnier: la majorité des terrains constructibles sont entre les mains de quelques personnes. L’État n’en possède que 11%, soit environ 3.000 hectares constructibles. Ensuite, il y a naturellement le problème des réglementations au Luxembourg, qui nous bloquent trop souvent: notre société est en effet devenue tellement exigeante, avec des règles et des procédures strictes, qui rallongent les délais d’attente et génèrent donc des incertitudes, au point que toute planification devient très difficile et incertaine.

SM: Le facteur psychologique est également déterminant: l’immobilier et le foncier sont des marchés porteurs, devenus entretemps de véritables objets de spéculation. Certains y voient un moyen de s’enrichir très rapidement. Leur objectif premier n’est pas de loger décemment les gens, mais de spéculer sur le besoin de logements. L’urgence s’accroît. Il faut des solutions à moyen terme avec des résultats rapides et concrets. Durant la table ronde d’avril dernier, l’OAI a ainsi voulu encourager les communes dans cette démarche.

«Il faut un débat honnête sur le logement au Luxembourg. Or, il n’y en a jamais eu»

Quelles sont donc les solutions possibles?

PH: Elles sont simples et multiples. Agissons de manière synchrone sur tous les fronts: par exemple en simplifiant les procédures, en utilisant la taxation, en favorisant le locatif, en activant davantage le fonds public pour le logement social et abordable, qui reste en main publique, comme dans le modèle autrichien présenté lors de la table ronde. D’autres pistes seraient de densifier de manière qualitative, ou encore de favoriser les nouvelles formes d’habitat… Ainsi, le problème pourrait être résolu en cinq ans. Naturellement, il faudrait avoir le culot de passer à l’action: d’un côté, en accroissant de manière juste et intelligente les surfaces constructibles, tout en brisant de l’autre les monopoles des propriétaires fonciers. L’État devrait intervenir, en libérant ses propres terrains disponibles, et en motivant les propriétaires fonciers importants à viabiliser leurs terrains constructibles à des fins d’habitation. Le Luxembourg doit être inventif et proposer des pistes innovantes! Mais la question essentielle reste de savoir si on veut vraiment libérer le sol.

SM: Libérer des terrains est primordial: à travers notamment la réforme du «Baulandvertrag» (contrat administratif d’aménagement) visant à augmenter l’offre de terrains disponibles, tout en endiguant la spéculation foncière et l’évolution malsaine des prix des logements. Ceci pour réduire ce déséquilibre actuel entre une faible offre et une forte demande.

Quels leviers préconisez-vous donc pour libérer les terrains?

PH: Il faut mettre en place un impôt foncier réel et des incitations, et appliquer toutes les démarches en même temps. Mais le seul outil qui fonctionnera vraiment à court et à moyen termes est un choc psychologique positif, qui débloquerait et ferait changer les mentalités. Notre économie ralentira si nous ne trouvons pas de solutions pour loger les primo-accédants et les personnes qui viennent travailler au Luxembourg. Il faut une vraie prise de conscience sociétale et un véritable débat honnête, pour discuter de manière citoyenne de ces choix de société.

SM: D’autres possibilités sont en discussion: par exemple, si des propriétaires souhaitent garder les terrains pour leurs enfants, il serait possible de construire des logements modulables sur ces surfaces, dans une démarche d’économie circulaire, et qui pourraient être démontés puis remontés ailleurs si les enfants souhaitent récupérer le terrain pour leurs propres constructions. Il y a beaucoup de possibilités; il suffit de les mettre en place. Et cela est urgent, car il devient difficile de trouver une main-d’œuvre qualifiée et de la faire venir au Luxembourg à cause de cette pénurie de logements.

«Partageons ensemble notre sol, densifions l’existant, avec des extensions qui valorisent le patrimoine déjà bâti!»

Quelles solutions suggérez-vous au sujet des logements vides?

SM: Ils doivent également être activés. Seules 8 communes sur 102 appliquent un impôt sur les logements vides. Et même pour densifier l’existant immobilier, en rajoutant notamment des étages supplémentaires aux maisons et aux immeubles, les procédures sont très longues. Il y a 940 hectares de «Baulücken», des terrains déjà viabilisés et constructibles moyennant une demande d’autorisation. Mais là aussi la bonne majorité de ces terrains reste entre les mains des privés.

Quels messages souhaitez-vous faire passer aux politiques?

PH: Toute la relation terrain-logement-prix est conditionnée par le terrain. Donc, tout se résume à savoir comment libérer des surfaces, à court, moyen et long termes. Le reste se résoudra ensuite de lui-même. Il faut un débat honnête sur le logement au Luxembourg. Or, il n’y en a jamais eu. Le problème est grave et nécessite une solution plus radicale basée sur un consensus sociétal: chose difficile, mais indispensable!

SM: La pression est forte sur le marché immobilier et sur les gens qui désirent se domicilier au Luxembourg. Le pays a de fortes capacités économiques et attire toujours plus de personnes pour raisons professionnelles. Toutefois, sans terrains, pas de projets ni de logements possibles. Partageons ensemble notre sol, densifions l’existant, avec des extensions qui valorisent le patrimoine déjà bâti!

Article réalisé en partenariat avec l’OAI.

Plus d’informations sur la table-ronde dans la médiathèque du site www.oai.lu à la rubrique «Conférence».