OIKOPOLIS : UN AUTRE MODÈLE EST POSSIBLE

Pionnier de l’Économie pour le Bien commun au Luxembourg, le groupe Oikopolis se prépare aujourd’hui à son troisième audit devant évaluer les résultats des efforts consentis au cours des dernières années. L’occasion de revenir sur la philosophie de cet acteur majeur de l’agriculture biologique et sociale au Grand-Duché avec Änder Schanck, son fondateur.

De « La richesse des nations » à l’Économie pour le Bien commun

En 1776, Adam Smith publie «La richesse des nations », texte fondateur du libéralisme économique selon lequel la recherche de l’intérêt personnel profiterait à l’intérêt général par l’intervention d’une «main invisible». Une idée encore communément admise aujourd’hui bien que décriée par certains. «Si cette philosophie a libéré la vie économique avec succès, voire offert une meilleure situation dans certaines régions, elle n’a pas tenu ses promesses : les uns se sont enrichis alors que les autres, au contraire, se sont appauvris », explique le fondateur d’Oikopolis. Le secteur agricole, relevant plutôt de la deuxième catégorie, a de plus hérité des apports de Liebig, ce chimiste allemand considéré comme l’un des fondateurs de l’agriculture industrielle. Ainsi, en plus de ne profiter qu’aux derniers maillons de la chaîne de valeur, le modèle dont nous avons échu fait fi des rythmes de la nature et dégrade l’environnement.

Un système auquel l’association agricole luxembourgeoise Biog, et plus tard Oikopolis Groupe, ont souhaité proposer une alternative. «Contribuer au bien commun a toujours été notre ambition. Dès la création de l’organisation, notre intention était de produire biologique en travaillant main dans la main avec les agriculteurs. Aujourd’hui, le bio est à la mode, mais à l’époque le marché n’y était pas très réceptif. C’est pourquoi nous avons dû créer de nouvelles structures sans lesquelles le biologique aurait été trop difficile à développer. Si nous ne parlions pas encore d’Économie pour le Bien commun, nous prônions un travail associatif d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur. Une philosophie qui se reflète dans notre organigramme puisqu’Oikopolis Participation (propriétaire de Naturata et de Biogros) est détenu à 20% par l’association agricole Biog, par les fondateurs à même hauteur et par les consommateurs à 60%. Les propriétaires sont donc les représentants de la chaîne de valeur, exemptés d’une quelconque injonction de rendement dictée par le marché. Nous avons ainsi établi un modèle dans lequel nous ne travaillons pas seulement pour un capital mais surtout pour nos collaborateurs et nos clients », poursuit Änder Schanck.

Nous prônons un travail associatif d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur

Malgré tout, les produits biologiques sont encore considérés trop onéreux par certains. Encore une fois, il convient de changer de regard. « Le véritable coût de nos aliments ne se reflète pas dans leur prix d’achat. En quelque sorte, nous payons nos courses deux fois : une fois à la caisse et l’autre par le biais de taxes ou de cotisations d’assurance maladie par exemple. Ceci est dû aux coûts cachés qu’engendrent la production et la consommation des produits conventionnels. Les pesticides, engrais et autres herbicides utilisés pour obtenir un rendement optimal portent atteinte à la santé des consommateurs ainsi qu’à l’environnement. Des dommages qu’il faut compenser par le traitement de l’eau potable ou la préservation de la biodiversité et dont les coûts pèsent sur la société tout entière. C’est ce qu’on appelle la socialisation des frais, système sur lequel la méthode du «True Cost Accounting » entend faire plus de transparence. Si la production biologique n’est pas exempte de tout reproche car le transport des produits génère encore du CO2 qui pèse d’une façon ou d’une autre sur les consommateurs, elle engendre néanmoins beaucoup moins de frais cachés. Ainsi, en principe, si tous les frais annexes qui sont le résultat d’une agriculture intensive étaient calculés dans le prix des marchandises, les produits biologiques se feraient plus facilement une place dans les habitudes des consommateurs », affirme Änder Schanck.

Une matrice révélatrice

La philosophie du groupe, centrée sur l’homme et l’écologie, a trouvé un écho particulier dans le modèle de l’Économie pour le Bien commun. Imaginé par Christian Felber, philosophe, économiste, sociologue et écrivain lui aussi opposé au néo-libéralisme, ce modèle économique repose sur cinq piliers : la dignité humaine, la solidarité, la durabilité, la justice sociale, la transparence et la participation démocratique.

Se reconnaissant dans ces valeurs, Oikopolis décide de s’investir dans le mouvement en 2013 afin d’évaluer ses activités à l’aide d’une grille d’analyse adéquate. Certifié un an plus tard, le groupe fait figure de pionnier au Luxembourg. «Nous ne travaillons pas en suivant strictement les préceptes de l’Économie pour le Bien commun. La matrice qui sert de base à l’audit constitue plutôt un outil nous permettant à la fois d’analyser nos pratiques de façon objective, de nous comparer avec les autres entreprises alternatives européennes qui ont choisi la même direction, mais aussi d’expliciter notre philosophie de façon claire et pédagogique à nos nouveaux collaborateurs », précise Änder Schanck.

Le groupe Oikopolis prépare aujourd’hui son troisième audit dont les résultats sont attendus pour cette année. Le dernier en date, remontant à 2016, lui conférait déjà un score jugé exemplaire selon les règles de l’Économie pour le Bien commun. « Je ne sais pas si nous obtiendrons de meilleurs résultats. Lorsque notre score sera connu, nous pourrons en discuter et tenter de comprendre pourquoi nous avons progressé ou régressé. La matrice est un outil qui nous permet de structurer notre travail. Atteindre un score plus élevé n’est pas une fin en soi. Notre seul objectif est d’offrir de meilleures conditions à nos collaborateurs et de continuer à protéger l’environnement. Nous nous améliorons constamment sur ce dernier point, d’une part en réduisant nos émissions de CO2 (et ce malgré l’accroissement de nos activités) et, d’autre part, en versant la compensation nécessaire à des organisations engagées dans l’agriculture biologique, une pratique qui favorise la rétention du carbone dans le sol. Quel que soit le résultat de nos efforts, nous communiquerons sur le sujet dans l’espoir de susciter de l’intérêt pour ce modèle», conclut le fondateur d’Oikopolis.

OIKOPOLIS
13 Rue Gabriel Lippmann
L-5365 Munsbach
www.oikopolis.lu

Photo :©Sébastien Goossens