Quand les villes parient sur les cryptos
Ne pouvant compter sur les financements traditionnels, certaines municipalités émettent leurs propres monnaies virtuelles et se tournent vers le Bitcoin pour financer leurs budgets et projets urbains ou développer des politiques sociales et citoyennes plus inclusives.
Les cryptomonnaies peuvent-elles accompagner les villes dans leur transformation? Quel rôle innovant pourraient-elles jouer dans la stratégie Smart City de ces dernières? Pensées en 1998, lancées après la crise financière de 2008, les devises digitales comme le Bitcoin (2009) et l’Ethereum (2011) ont connu depuis un succès croissant; au point que plus de 5 000 d’entre elles circuleraient dans le monde, pour une valeur de plus de 2 000 milliards de dollars, selon CoinMarketCap. Créées et échangées via une plateforme en ligne reposant sur la technologie Blockchain – grand livre comptable digital dans lequel les transactions sont enregistrées, vérifiées, sécurisées et répertoriées – la plupart d’entre elles sont volatiles et non régulées; leur valeur suit la loi de l’offre et de la demande, et ne repose sur aucune contrepartie réelle de type dollar, euro ou or.
Monnaie virtuelle, gestion réelle
Des communes ont pourtant opté pour ces monnaies, ou ont créé leur propre moyen de paiement virtuel pour leur gestion, le financement de projets urbains ou bien dans le cadre de politiques sociales et citoyennes plus inclusives. Ainsi, pour réduire sa dépendance au financement fédéral, la ville californienne de Berkeley songeait en 2018 à émettre sa propre crypto, puis à lancer un emprunt dans cette nouvelle devise. Ces obligations municipales en crypto financeraient ainsi des logements abordables, les systèmes de transport en commun et les services sociaux. Le tout à travers une infrastructure à but non lucratif et à usage spécial, sécurisée et destinée à financer le bien social. Ne pouvant également compter sur le système bancaire traditionnel pour se financer, Miami a émis son MiamiCoin, notamment pour alimenter son budget et rembourser sa dette municipale. La ville devrait rapidement générer 60 millions de dollars de gain. Son maire sera aussi payé en Bitcoins, incitant les employés municipaux à faire de même. Il envisage également d’accepter les paiements et les taxes locales en cryptos décentralisées.
New York a elle créé son NYCCoin, sous forme de jetons disponibles en kiosque, à un prix soutenu par la ville. Moyen de paiement accepté dans les transports, pour les services scolaires ou de santé, et pour s’acquitter des factures et des taxes municipales, ces tokens pourraient également s’échanger via une application. Visant dans un premier temps à renforcer l’inclusion sociale et à accroître sa prospérité,la Grosse Pomme pourrait à terme taxer les transactions en NYCCoin pour accroître ses revenus.
Les villes pourraient créer une bulle spéculative, estiment certains experts
En France, Angers a son Angecoin, une monnaie digitale locale disponible sous forme de jetons contre quelques euros, via une application. L’initiative favorisera l’économie de la ville et devrait aider les commerçants touchés par la crise sanitaire et économique. Le tout dans une démarche collaborative, participative, favorisant les circuits courts d’échanges, et conforme à son projet de territoire intelligent.
D’autres localités ont fait le choix spéculatif. Pour financer les retraites de ses policiers et employés, Fairfax (Virginie) a décidé d’investir dans un fonds spécialisé dans les cryptomonnaies. Le comté parie ainsi sur la volatilité de ces actifs numériques et espère engranger d’importants rendements.
Les cryptos, vitrines digitales
À défaut d’émettre leurs propres devises digitales, d’autres cités se positionnent comme des vitrines cryptos, telle San Francisco qui abrite les plateformes de trading Coinbase et Kraken. Plusieurs centaines de restaurants, bars, auberges et magasins y acceptent le Bitcoin et quelque 500 guichets automatiques Bitcoin sont présents dans la région de la baie. À Amsterdam siègent Bitfury (fournisseur de solutions de sécurité et d’infrastructures pour la blockchain Bitcoin et crypto) et le prestataire de services de paiement Bitcoin BitPay Europe. Une dizaine de distributeurs automatiques de Bitcoin y sont présents, tandis que des commerces y acceptent la crypto. Cheyenne (Wyoming) vise le statut de capitale US des cryptomonnaies, à travers des lois instaurant notamment des exemptions fiscales sur les gains en devises digitales. Playa El Zonte (Salvador) a été parmi les premières municipalités salvadoriennes à accepter le Bitcoin comme mode de paiement; la «Bitcoin Beach» a inspiré Nayib Bukele, le président du pays, dans sa loi instaurant la crypto comme monnaie officielle aux côtés du dollar. Le dirigeant a également annoncé la construction d’une «Bitcoin City» financée par des emprunts en monnaie virtuelle. Si le Luxembourg n’a pas encore de distributeur de Bitcoins, il héberge toutefois des plateformes d’échange de cryptos régulées par la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF), comme le Japonais bitFlyer, le Slovène Bitstamp ou le Suisse Swissquote.
Tant pour les municipalités que pour les particuliers, les cryptos ne sont pas sans risques. Faute de législation, de règlementation boursière et de sanctions par les régulateurs, elles restent un terreau idéal pour les actes illicites (blanchiment d’argent, évasion fiscale, financement de trafics d’armes et du terrorisme). Elles sont aussi à la merci d’abus boursiers, notamment par des influenceurs comme Elon Musk (CEO de Tesla), dont les conseils et sorties médiatiques soufflent le chaud et le froid sur les marchés cryptos. En instaurant une monnaie virtuelle comme un véhicule d’investissement, ou en favorisant les échanges en Bitcoin volatile, les villes pourraient créer une bulle spéculative, estiment certains experts. Une solution serait de rattacher ces monnaies municipales à un indice réel, comme la valeur moyenne des biens immobiliers d’une ville: un jeton s’échangerait ainsi au prix officiel d’1 cm2 de l’habitat. Un alternative pour prévenir le trading spéculatif secondaire serait enfin de ne réserver les tokens qu’aux seuls paiements de services urbains.
Par M. Auxenfants