Transition énergétique : un lent passage du gris au vert

«Il faut remplacer les énergies fossiles, complètement désuètes et dont on maîtrise mal les prix, par des énergie renouvelables. Et il faut agir vite», interpelle Paul Zens, président d’Eurosolar Lëtzebuerg. Dans cette interview, il nous livre son analyse sur des sujets brûlants d’actualité : de la déclaration finale de la COP26 au débat sur le nucléaire en passant par la hausse des prix de l’énergie…

Le premier projet de déclaration finale de la COP26 appelait à «accélérer la sortie du charbon et des financements des énergies fossiles». C’était la première fois que ces subventions étaient explicitement mentionnées. Finalement, les termes ont été affaiblis. Qu’en pensez-vous ?

Je dirais simplement qu’il était temps que l’on insère cette mention ! Malheureusement, nous ne pouvons que constater à quel point les lobbys de l’industrie des combustibles fossiles restent forts. Pour réussir la transition, nous devons nous défaire de la pression des investisseurs qui, jusqu’à présent, sont plus ou moins parvenus à contrôler les flux énergétiques car ils étaient relativement centralisés. Les énergies renouvelables, elles, sont disponibles localement et, par conséquent, partiellement hors de leur contrôle. Cela révèle également que la transition énergétique n’est pas seulement un défi technique mais aussi une question de souveraineté et de dépendance par rapport aux fournisseurs d’énergies fossiles comme la Russie ou les pays de l’OPEP.

La hausse des prix de l’énergie pousse de plus en plus de ménages à se tourner vers le photovoltaïque. Est-ce une solution pour se protéger des fluctuations sur le marché de l’électricité ?

En ce qui concerne la production, oui. Les prix sont en baisse permanente, justement parce que la production augmente. En revanche, un jour ou l’autre, le stockage de cette énergie sera très certainement facturé. Nous devrions voir émerger des sociétés qui mettrons à disposition de gigantesques batteries ou des stocks d’hydrogène permettant de réserver le surplus et qui demanderont un certain montant pour libérer l’électricité stockée au moment voulu. Les pouvoirs publics devront alors veiller à éviter les inégalités car les mieux lotis auront peut-être des possibilités de stockage à domicile tandis que les moins favorisés devront payer ce service. En outre, les grandes firmes qui produisent de grandes quantités d’électricité photovoltaïque seront forcément cotées et il faudra alors tenir compte des mouvements boursiers. Difficile de prévoir aujourd’hui quel impact cela aura sur les factures. Celles-ci devraient néanmoins fluctuer beaucoup moins que si elles dépendaient des producteurs d’énergies fossiles.

Le président français a récemment annoncé que l’Hexagone allait relancer la construction de réacteurs nucléaires. D’autres pays européens estiment aussi que le nucléaire a sa place parmi les énergies vertes. Le Luxembourg, quant à lui, a renoncé à sa promotion. Pourquoi est-ce une question qui divise ?

Tout simplement parce que c’est une idée qui n’a aucun sens d’un point de vue scientifique. Nous avons jusqu’à 2030 pour réussir la transition énergétique. Or, on ne construit pas une centrale nucléaire en huit ans ! En plus du fait qu’il soit déjà trop tard, le problème des déchets demeure. Non seulement les techniques de revalorisation de ces matières radioactives n’existent pas, contrairement à ce que la France laisse entendre, mais, en plus, personne ne peut prédire ce que des catastrophes climatiques comme des inondations ou des incendies peuvent infliger comme dégâts si elles frappent ces dépôts. C’est pourquoi je suis absolument contre cette idée. Celle-ci me semble d’autant plus incompréhensible que la France est un grand pays qui dispose de suffisamment d’espace et de ressources pour satisfaire ses besoins en ne recourant qu’à des énergies renouvelables.

Selon un état des lieux de la politique climatique et énergétique du Luxembourg, la production d’électricité issue de sources renouvelables a été plus que triplée depuis 2012. Comment évaluez-vous ce résultat ?

C’est une belle amélioration, mais dont on ne saurait se satisfaire. Au cours des derniers mois, le gouvernement a mis en place des mesures qui facilitent grandement l’installation de panneaux photovoltaïques, notamment, et il n’y a selon moi aucune raison de ne pas en recouvrir toutes les toitures du Luxembourg. L’un des défis à relever sera celui du stockage. Il faudra trouver des solutions de différentes tailles et miser, par exemple, sur des batteries à eau salée, qui représentent une alternative aux batteries au plomb et au lithium. Il faudra également envisager de transformer les surplus d’énergie en hydrogène vert, malgré les pertes inhérentes au processus de transformation. Mais, là où le Grand-Duché a l’obligation morale d’agir, c’est sur la réduction de son appétit en énergie. Cette année, le jour du dépassement luxembourgeois a eu lieu le 15 février, ce qui fait de notre pays le deuxième État le plus gourmand en énergie, derrière le Qatar. Or, l’addition de nos économies d’énergie compte tout autant que le cumul des bonnes pratiques en matière de production.

L’addition de nos économies d’énergie compte tout autant que le cumul des bonnes pratiques en matière de production

Vous avez justement récompensé certaines de ces bonnes pratiques dans le cadre du prix solaire luxembourgeois 2020-2021…

Pas moins de 22 candidatures ont été déposées, ce qui nous a permis de couvrir sept catégories. Un premier prix a été décerné à la Famille Streicher, en tant que maître d’ouvrage privé, qui a conçu sa maison en intégrant des panneaux photovoltaïques en toiture et une batterie pour maximiser son autoconsommation. Un second prix a été remis au CELL (Centre for Ecological Learning Luxembourg), pour son projet Äerdschëff, un projet de construction participatif extraordinaire où sont revalorisés différents types de déchets. Enfin, nous avons attribué un prix au film documentaire «Eng Äerd», réalisé par Tom Alesch et qui présente diverses initiatives en faveur de l’écologie au Grand-Duché. En outre, deux mentions spéciales ont été attribuées aux projets «empoweringMobility» de Voyages Emile Weber et «Mobile High Power Charge» de Sales-Lentz. Deux autres mentions ont récompensé deux projets d’installations photovoltaïques : l’une sur le carport de la House of Biohealth, par Enerdeal, et l’autre sur le parking «Am Däich» de l’administration communale de la ville d’Ettelbrück, en collaboration avec Jugendsolar et le Lycée Technique d’Ettelbrück.

Au-delà du prix solaire, nous avons profité de la Klima Expo 2021 pour présenter une nouvelle initiative. Il s’agit du site internet biergerpv.lu, une plateforme grâce à laquelle toute personne qui ne dispose pas de toiture pouvant accueillir des panneaux photovoltaïques mais qui souhaite prendre une part active à leur développement peut adhérer à une coopérative citoyenne de production d’énergie. Eurosolar est devenue, en quelque sorte, une structure faitière pour ces initiatives.

Eurosolar Lëtzebuerg asbl
6 Jos Seyler Strooss
L-8522 Beckerich
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