UN PAVILLON QUI MONTRE LE SAVOIR-FAIRE DU LUXEMBOURG
Un bâtiment en forme de ruban de Möbius, un solide à une seule surface, il fallait oser et le Luxembourg l’a fait. Le cabinet d’architectes Metaform a bel et bien été choisi pour représenter le Grand-Duché lors de l’exposition universelle de Dubaï en 2020 avec comme récompense ultime : la construction d’un pavillon… sans début et sans fin. Entretien avec Shahram Agaajani l’architecte luxembourgeois d’origine iranienne qui revient avec nous sur les étapes et la philosophie de cette construction.
Comment vous est venue l’idée du ruban de Möbius pour le pavillon ?
Compte tenu des trois thèmes de l’exposition (la durabilité, la mobilité et l’opportunité), nous devions concevoir un bâtiment aux portes du désert d’une hauteur maximale de 21 m sur un terrain de 50×50 m.
Nous n’avions pratiquement aucune contrainte. Nous voulions créer un trait d’union entre l’espace extérieur et intérieur, à savoir une entrée subtile qui s’apparente à une métaphore du Luxembourg, un pays ouvert et accueillant. Nous nous sommes inspirés du ruban de Möbius, un ruban que l’on tourne à 90° degrés avant que les deux bouts ne se rejoignent pour générer un volume d’une seule surface. C’est une forme qui illustre bien l’engagement dans l’économie circulaire et renvoie vers l’infini, à l’image de notre pays, résolument tourné vers l’avenir et vers l’espace.
Le ministre de l’Economie, Etienne Schneider, a déclaré que le pavillon est le symbole du Luxembourg « un pays qui sait se réinventer »…
Le Grand-Duché a toujours su saisir les opportunités qui se sont présentées à lui, aussi bien dans l’industrie du charbon et de l’acier que dans le secteur financier. Je rejoins les réflexions de notre Ministre de l’Économie, qui n’a pas manqué d’imagination en ouvrant de nouvelles perspectives d’avenir tel que l’engagement dans le secteur de l’industrie spatiale tout récemment.
En ce qui concerne le pavillon, notre but est d’arriver à faire en sorte que chacun s’identifie à lui suivant sa propre perception spatiale, sa culture ou ses ambitions. N’est-ce pas là une belle métaphore qui reflète le Grand-Duché tel qui l’est aujourd’hui ? Multiculturel, décomplexé et innovant.
Le pavillon doit inviter les visiteurs « à faire appel à leurs cinq sens ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons voulu éveiller le plus possible les sens des visiteurs pour que cette expérience soit gravée dans leur mémoire et que cela devienne une
véritable balade d’enchantement. C’est pourquoi notre parcours scénographique ne se limite pas à une simple perception de l’espace et de son contenu. Les visiteurs, en empruntant les toboggans, deviendront acteurs en animant le grand atrium central, comme à la Schueberfouer. Ils pourront sentir le parfum du sous-bois typique de nos forêts ou encore goûter aux spécialités culinaires luxembourgeoises. Autant de sens seront alors sollicités pour enrichir cette expérience.
Êtes-vous satisfait du budget de 25 millions d’euros pour construire le pavillon ?
C’est un beau budget et c’est une des décisions intelligentes du gouvernement. N’ayant pas participé à l’exposition universelle de Milan en 2015, nous avons bénéficié d’une enveloppe plus large pour exporter notre savoir-faire aux yeux du monde entier. Il s’agit d’une belle opportunité pour notre pays car pas moins de 25 millions de visiteurs sont attendus à Dubaï.
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
C’est surtout une construction métallique qui montrera notre savoir-faire dans ce domaine et qui contribuera à mettre en avant l’économie circulaire. Rappelons que par le passé, le Luxembourg avait déjà livré tous les verres et les structures métalliques de la tour Burj Khalifa, à Dubaï, la tour la plus haute du monde.
Pourquoi avoir intégré des cheminées perses au pavillon ?
En Iran, dans la ville d’Ispahan, le principe architectural et urbanistique des « badgirs », vieux de 800 ans, fonctionne encore aujourd’hui et procure des sensations de bien-être durant les périodes les plus chaudes. Depuis des siècles, ce principe a été repris et réutilisé dans beaucoup de régions à travers le monde. Avec ce processus, nous voulons minimiser la consommation d’énergie au niveau de la climatisation et de la ventilation dans notre pavillon.
Minimiser la consommation d’énergie dans notre pavillon
C’est aussi une manière d’imprimer votre ADN dans ce pavillon à l’ADN luxembourgeois ?
D’abord, qu’est-ce que l’ADN luxembourgeois ? Pour moi, le Luxembourg est le fruit d’une ouverture d’esprit inaltérée, d’une clairvoyance et d’un respect d’autrui inégalable, sachant qu’actuellement quelque 50% de la population du pays est constituée de personnes d’origines étrangères. Cette diversité culturelle induite par une population cosmopolite est un atout considérable et unique, qui permet le développement du pays tel que nous le connaissons de nos jours et qui ne cesse de nous être enviée au-delà des frontières. Je suis fier d’être luxembourgeois et d’apporter ma pierre à l’édifice.
Comment avancent les travaux ?
Les travaux vont bon train. Nous respectons le planning, même si tout est plus compliqué à Dubaï à cause des conditions climatiques et des problèmes liés à l’approvisionnement car tout est importé. Le pavillon devra être prêt trois mois avant l’ouverture.
Votre pavillon est écologique, démontable et réutilisable, c’est un bâtiment pour une «Smart City » ?
Il y a beaucoup de confusion autour de ce concept car on pense technologie et connectivité sans savoir ce que « Smart City » signifie vraiment. Qu’est-ce qu’une ville intelligente ? C’est une ville gérée par des capteurs et ordinateurs qui écoutent, voient, mesurent et calculent tout une série de paramètres à notre place. Cela va du choix de la route la plus fluide à un moment défini jusqu’au choix du restaurant selon nos envies. Imaginez qu’il faudrait plus de trois millions de capteurs pour une ville comme Luxembourg-Ville. Ces capteurs sont branchés à l’électricité, fonctionnant avec des batteries ou des piles ? Comment va-t-on produire et recycler ces piles de nouvelle génération alors que les questions de recyclage sont inévitables ?
Une ville c’est un espace de rencontre, de partage et non pas uniquement un espace de consommation comme le montre le concept de Smart City.
Pour répondre à la question, oui c’est un bâtiment compatible avec le principe de Smart City, car il peut se connecter.
Une Smart City c’est aussi une ville en interaction avec l’humain, qui respecte l’écologie…
La Smart City n’est pas une solution miracle qui va sauver l’humanité. Tant qu’il n’y a pas de légifération, le poids du lobbying ne laissera pas de place à des solutions alternatives.
L’écologie doit être le fruit d’une décision politique avant d’évoquer le principe de Smart City.
Le Luxembourg est prêt pour devenir une Smart City ?
Le Luxembourg a le potentiel car notre pays a toujours été pionnier dans tout ce qui est développement et à toujours eu une ouverture d’esprit pour se lancer dans l’inconnu. Est-ce que le choix d’aller vers une Smart City est le bon choix ? À mon avis pour l’instant, non, parce c’est un concept développé par des bureaux d’études et il ne prend pas en compte la complexité d’une ville dans tous ses aspects. Il faudrait une vision globale, pluridisciplinaire et transversale.
Par J. L. Correia