Op de Patten, un service éducatif et thérapeutique « au poil »
Brigitte Bardot a dit : « le chemin qui mène à l’amour des animaux passe forcément par l’amour des humains ». Cette phrase, qui illustre l’impact des animaux sur les relations humaines, pourrait bien expliquer ce qui s’opère dans la ferme du service Op de Patten lancé par la Fondation Solina. Les éducateurs y utilisent la médiation par l’animal afin de résoudre les problématiques comportementales et relationnelles. Rosa Manzari, chargée de direction, Marie-France Vachet, éducatrice, Tanguy Maziers, éducateur, et Martine Dostert, psychologue/psychothérapeuthe, nous présentent ce projet innovant, l’équipe psychosociale étant en formation continue dans le domaine de la thérapie assistée par l’animal..
Quels sont les objectifs, l’historique et les valeurs de la Fondation Solina ?
RM : La Fondation Solina, qui tire son nom de la contraction de ses valeurs principales, à savoir la solidarité, l’inclusion et l’accompagnement, a été créée en 2018 pour réunir sous une même bannière les asbl Jongenheem, Aarbechtshëllef et Solidarité Jeunes. Mais son histoire a commencé à s’écrire au siècle dernier. Durant l’année 1904, trois frères membres d’une congrégation laïque ont la possibilité d’acquérir un vieux château situé à Bettange-sur-Mess. C’est au cœur de ce dernier qu’ils décident de proposer une formation professionnelle à des adolescents issus de familles pauvres.
Après une reconnaissance étatique et juridique obtenue en 1951 pour cette activité, la fratrie élargit son champ de compétences en prenant en charge des garçons présentant des difficultés caractérielles et qui proviennent de ce qu’on appelle à l’époque des familles désorganisées. Nous assistons alors à la naissance de Jongenheem, qui se constituera en asbl en 1976. Depuis l’année dernière, l’association est devenue un centre d’insertion socioprofessionnelle (CISP). Elle s’occupe donc de jeunes entre 16 et 18 ans en décrochage scolaire et leur donne la possibilité de suivre des formations et de mener un projet professionnel.
L’asbl Aarbechteshëllef a quant à elle vu le jour en 1983 et s’oriente davantage vers les adultes ne pouvant prétendre à un emploi sur le premier marché. Elle organise des ateliers de jardinage, de menuiserie ou encore de couture leur permettant d’acquérir des compétences et d’accéder au second marché du travail.
Pour finir, les activités de Solidarité Jeunes étaient au départ celles de Jongenheem, mais leur progression et la loi d’aide aux enfants et aux familles (AEF) adoptée en 2012 ont impliqué la création d’une entité autonome. Cette association se dédie donc à l’enfance et à la jeunesse et regroupe l’ensemble de nos quatorze foyers d’accueil. Elle mène également divers projets financés exclusivement par les dons tels qu’Op de Patten.
Pouvez-vous nous présenter Op de Patten ?
TM : Il s’agit d’un service qui propose de la médiation assistée par l’animal dans un but pédagogique, thérapeuthique et psychothérapeutique. Il s’adresse aux enfants, adolescents et jeunes adultes de Solidarité Jeunes. Une participation à notre projet est toujours initiée par une demande interne : nos collègues des foyers d’accueil ou d’autres services nous contactent pour prendre en charge l’un de leur protégé avec l’accord de ce dernier. Si une plage horaire est disponible, nous la lui réservons et nous identifions le travail devant être opéré. Une première visite est organisée avec le jeune afin qu’il puisse découvrir la ferme, rencontrer la personne qui s’occupera de lui et se sentir à l’aise autant avec l’animal qu’avec l’humain.
MD : Cette dernière donnée est essentielle pour que nous puissions travailler correctement. Nous n’agissons que sur base volontaire et il est impératif que toutes les parties prenantes soient en accord avec l’accompagnement proposé. Une fois le premier contact pris, nous mettons en place des visites régulières à raison de deux heures par semaine généralement. Cela nous permet de prendre le temps avec chaque participant. Nous avons à cœur d’accueillir ce dernier dans les meilleures conditions, de l’accepter tel qu’il est à l’instant T et de nous y adapter. Il se peut qu’en tant qu’éducateur/psychothérapeuthe nous prévoyions une certaine séance, mais que l’enfant, adolescent ou jeune adulte arrive dans un état psychologique ne permettant pas de se mettre au travail comme nous l’avions imaginé. Les deux heures de la prise en charge nous offrent alors la possibilité de trouver une solution dans le calme et de laisser tout le temps nécessaire au participant pour s’exprimer.
TM : La durée du suivi proposé se détermine en fonction des objectifs, qui peuvent d’ailleurs évoluer. Ceux-ci sont fixés en prenant en compte l’ensemble du système : il est tout aussi important de considérer les désirs du jeune que de s’entretenir avec son entourage et nos collègues des autres services sur les impacts de notre accompagnement.
Concrètement, quels avantages la médiation par l’animal apporte-t-elle au niveau thérapeutique ?
MD : Ils peuvent être très nombreux, voire infinis. La seule limite véritable se trouve chez le professionnel et ses compétences. Toutefois, nous avons des cas de figure récurrents. Par exemple, nous prenons souvent en charge des enfants, adolescents ou jeunes adultes manifestant des symptômes dépressifs. Grâce à la médiation par l’animal, nous leur proposons un nouveau type de relation leur permettant d’entretenir un lien social différent et plus rassurant. Nous traitons également l’anxiété, l’agressivité, les « dys- » (dyscalculie, dyslexie,…), le TDHA ou encore les troubles du comportement alimentaire, émotionnels ou sociaux.
MFV : Les besoins des animaux nécessitent bien souvent de modifier notre attitude. Nous avons notamment des cochons d’Inde dans notre ferme et cette espèce est de nature peureuse. Si nous faisons un geste brusque ou que nous parlons trop fort, l’animal risque de prendre peur et de fuir. Grâce à cela, le jeune peut apprendre à gérer son comportement, à s’apaiser et, surtout, à mieux comprendre l’impact qu’il peut avoir sur son environnement. Pour le moment, je m’occupe d’une enfant de huit ans qui éprouve de grandes difficultés à gérer ses émotions et peut à certains moments entrer dans un état de crise. En étant en contact avec les cochons d’Inde, elle apprend à se contrôler et, aujourd’hui, elle est même capable de me rappeler à l’ordre quand je parle un peu trop fort.
Avec elle, j’aborde aussi un axe linguistique. En effet, si elle a de très bonnes compétences en luxembourgeois et en allemand, elle éprouve des réticences majeures à l’apprentissage du français. En nourrissant les animaux, j’en profite alors pour introduire le nom des légumes dans les trois langues. Petit à petit et de manière ludique, elle se familiarise avec du nouveau vocabulaire.
Le travail avec les animaux implique nécessairement des questionnements sur leur bien-être…
TM : Tout à fait ! Depuis le premier jour, nous avons placé l’épanouissement de nos pensionnaires à quatre pattes en priorité. Avant d’accueillir ces derniers, nous avons fait en sorte de développer nos connaissances dans les soins à leur apporter. Après avoir fait nos expériences dans un centre équestre et ensuite dans une ferme pédagogique, nous avons pu, avec l’expertise nécessaire, développer le cadre qui nous semble le mieux répondre aux besoins de nos animaux et de notre clientèle. Ce modèle d’infrastructure a pu se réaliser en mars 2023 dans des espaces appropriés dans une ferme à Lintgen. Nos animaux ont la possibilité de s’autogérer sur un vaste extérieur qui a été aménagé et qui est accessible librement 24h/24 toute l’année. L’accès au foin est géré par un râtelier automatisé et l’eau est disponible à volonté dans leur paddock de plus ou moins 200 m2, accessible également 24h/24.
Nous avons appliqué la même logique lorsque nous avons accueilli d’autres espèces telles que les moutons, les cochons d’Inde ou les lapins, et ce sera encore le cas pour les poules qui intégreront prochainement Op de Patten.
MD : De plus, nous considérons chaque animal comme un véritable collègue. Il travaille dans notre structure, il bénéficie donc des mêmes droits que tout employé : chacun a un dossier au sein de nos ressources humaines, est référencé dans le personnel de Solidarité Jeunes, a des congés maladie et a droit à la retraite. Tous nos pensionnaires finiront leurs jours dans notre structure et nous ferons en sorte qu’ils soient heureux jusqu’au bout.
Dans le cadre des accompagnements pédagogiques/thérapeutiques et psychothérapeutiques que nous dispensons, les animaux restent libres de collaborer ou non. Nous préservons autant que possible leur intégrité. Les jeunes le savent d’ailleurs très bien : c’est l’animal qui vient à eux et non l’inverse. Nous constatons que les relations se tissent naturellement et qu’il n’est en aucun cas nécessaire de forcer les choses ou de formater l’animal pour provoquer un certain comportement, ce qui serait contreproductif. Par exemple, un adolescent qui vient chez nous depuis plusieurs mois a un lien tout particulier avec Brindille, notre ânesse. Les deux ont eu un coup de foudre l’un pour l’autre. Si Brindille vient à modifier son attitude, nous savons qu’elle a capté un changement chez son humain préféré que nous, éducateurs, n’avons pas constaté. Grâce à ces réactions naturelles, nous comprenons alors qu’une adaptation des activités doit être opérée pour répondre aux besoins du jeune.
Pour soutenir le projet Op de Patten, faites un don à la Fondation Solina. Plus d’informations sur www.solina.lu/opdepatten
Par P. Paquet