Berlin, le bon élève des villes intelligentes

Malgré un passé tumultueux, la capitale allemande a toujours su se relever et se renouveler. Divisée en deux zones d’influence pendant la guerre froide, Berlin a retrouvé son unité après l’effondrement du bloc soviétique en 1989. Dès lors, une soif de vivre s’est emparée de la ville et de ses habitants. Grâce à ses atouts naturels et son dynamisme économique et culturel, la capitale allemande attire tous les ans plus de 13 millions de visiteurs. Pour gérer le succès et les flux humains incessants, la ville de plus de 3 millions d’habitants a adopté depuis quelques années une politique basée sur des solutions numériques relatives à la gestion des villes intelligentes. Tous ses efforts commencent à porter leurs fruits. Berlin, en bonne élève, se classe désormais en tête des villes européennes les plus intelligentes.

Une stratégie concertée et participative

La ville de Berlin s’est dotée d’une feuille de route qui trace les contours de sa propre vision de la ville intelligente. La stratégie développée sous l’appellation « Berlin liveably smart », soutenue par un financement fédéral de 17,5 millions d’euros, est divisée en trois phases.

D’abord, en février 2021, la ville a mis en place des ateliers en ligne pour comprendre les préoccupations quotidiennes de ses habitants. Le cadre stratégique de la Smart City a donc été développé en étroite collaboration avec la société civile. Ce premier document énonce les principes directeurs et définit les objectifs de la stratégie.

En mai 2022, la stratégie Smart City a été rédigée en collaboration avec des acteurs du monde des affaires, des sciences, de l’administration et de la société civile. Cette phase a été caractérisée par l’unification de la stratégie numérique et de la stratégie de ville intelligente dans la stratégie « Gemeinsam Digital : Berlin » (« Digital Together : Berlin »).

Enfin, la troisième phase consiste en la mise en œuvre de cette stratégie. Elle s’étend de janvier 2022 à décembre 2026. Des mesures et des projets spécifiques sont actuellement testés et appliqués dans des domaines aussi divers que la mobilité, l’environnement, l’énergie, le bâtiment, la connectivité et les services aux citoyens.

Pour une mobilité optimale

Une ville est qualifiée d’intelligente dès lors que ses réseaux et les services traditionnels offerts à ses habitants et ses entreprises sont approfondis par l’utilisation de solutions numériques. À ce propos, la gestion des transports publics et la généralisation de la micro-mobilité ont placé Berlin en tête de liste du classement international publié chaque année par Juniper Research, un organisme qui rassemble des chercheurs et des experts de l’internet des objets. Dans leur rapport intitulé « Unlocking the potential of smart cities » (« Libérer le potentiel des villes intelligentes »), Berlin arrive en tête de la liste des dix villes européennes les plus intelligentes, suivie par Londres, Barcelone, Rome et Madrid. Le classement commence par une comparaison de 50 métropoles à travers tous les continents, évaluant différents aspects de la gestion urbaine. Ce passage en revue tient autant compte de la qualité des transports publics et des infrastructures que de la gestion de l’énergie et de la connectivité IoT.

L’analyse de Juniper a distingué Berlin pour le soin apporté à son infrastructure de transport public. Les innovations de la ville pour faciliter les déplacements de ses citoyens comprennent l’application « Mobility-as-a-Service » (MaaS) qui mutualise l’organisation des transports publics et privés dans une seule interface. En outre, Berlin a pris des mesures proactives en matière de micro-mobilité partagée et de gestion des énergies renouvelables, démontrant par là tout le potentiel d’une approche intégrée.

Ainsi, la capitale investit dans des infrastructures intelligentes pour améliorer la gestion du trafic, réduire les embouteillages et promouvoir des modes de transport durables. Les solutions incluent des systèmes de gestion du trafic en temps réel et l’utilisation de capteurs et de données pour optimiser les feux de circulation.

Berlin a également opté pour un transport public intelligent qui implique l’introduction de bus et de tramways connectés, l’information en temps réel pour les passagers et l’intégration des services de mobilité comme les vélos et les trottinettes en libre-service. À ce propos, la capitale allemande est en tête du classement des villes européennes grâce aux 25.000 trottinettes qui circulent sur son territoire et qui ont largement contribué à réduire l’utilisation de la voiture pour les trajets courts.

Une ville plus verte

Dans sa quête pour devenir une capitale écologique, Berlin a adopté des technologies intelligentes pour la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. La ville a massivement investi dans les réseaux électriques intelligents (smart grid). Elle a en outre favorisé l’émergence d’une filière d’énergie renouvelable issue du photovoltaïque et de l’éolien.

La smart grid a permis une gestion plus efficace de la demande et a réduit considérablement les pertes énergétiques. Des campagnes de sensibilisation à destination des habitants ont favorisé l’émergence d’une conscience collective et ont contribué à réduire l’impact de l’énergie sur l’environnement.

Dans sa quête pour devenir une capitale écologique, Berlin a adopté des technologies intelligentes pour la gestion de l’énergie et des ressources naturelles

Par ailleurs, la métropole allemande mise de plus en plus sur la construction de bâtiments intelligents, bien isolés et connectés pour réduire la consommation énergétique. Des projets pilotes y voient le jour un peu partout. En plein cœur de Berlin se dresse le nouveau quartier « Future Living Berlin ». En collaboration avec la société Panasonic, un géant mondial de solutions technologiques, la ville a conçu un écoquartier autosuffisant en énergie renouvelable. Grâce à 600 panneaux photovoltaïques installés sur les toits et à des pompes à chaleur air-eau, 90 foyers et 10 commerces produisent leur propre énergie. Le surplus d’électricité est stocké dans des batteries de dernière génération pour alimenter tout le quartier en cas de pic de consommation. D’une superficie de 7.604 m2 et intégré au pôle technologique allemand « Berlin-Adlershof » qui compte 1.200 entreprises à proximité, ce projet pilote se veut une vitrine qui préfigure l’avenir de la gestion de l’énergie et des bâtiments à Berlin.

À plus grande échelle, la ville s’est dotée d’un système intelligent de collecte des déchets avec des poubelles connectées, ceci afin d’optimiser les tournées des camions bennes et d’améliorer le recyclage. Berlin a également optimisé l’éclairage public avec des détecteurs de mouvements. Réputée pour ses parcs, ses forêts et ses lacs, la capitale allemande s’est également lancée dans la reforestation urbaine. Des millions d’arbres ont investi le centre-ville rendant Berlin plus verte et plus attractive pour ses habitants et les millions de touristes qui déambulent chaque année dans ses rues.

La technologie au service du citoyen

Le « Projekt Zukunft » (Projet Futur) est une initiative stratégique de Berlin visant à favoriser le développement des technologies de l’information et de la communication, des médias et des industries créatives de la ville. Lancé par le département de l’économie, de l’énergie et des entreprises publiques, le projet sert de catalyseur pour l’innovation et la croissance économique dans ces secteurs.

Dans le cadre de la stratégie plus large de ville intelligente de Berlin, le « Projekt Zukunft » soutient des initiatives qui exploitent les technologies numériques pour améliorer la vie urbaine, notamment les infrastructures intelligentes, la gouvernance numérique et le développement urbain durable. Ce travail d’envergure est effectué en collaboration avec des universités, des instituts de recherche et des entreprises du secteur privé pour stimuler l’innovation et la recherche et développement dans les technologies émergentes telles que l’IA, la blockchain et l’IoT.

Sur le plan pratique, le « Projekt Zukunft » est le fer de lance du changement de la ville, aussi bien économique que social. C’est un système collaboratif qui inclut toutes les parties prenantes, ce qui a permis in fine de transformer radicalement le visage de Berlin. Économiquement, il est plus aisé de créer des partenariats et de lancer des projets avec plusieurs intervenants. Socialement, le rapport du citoyen à la ville a complètement changé, car les démarches administratives courantes sont réglées à distance grâce à la technologie. En outre, la création d’un espace de doléances open data rapproche les habitants du centre de décision et permet donc une meilleure réactivité.

Berlin se positionne ainsi comme une ville pionnière dans l’adoption de technologies intelligentes pour améliorer la vie urbaine en mettant l’accent sur la durabilité, l’innovation et l’implication des citoyens. Cependant, acculée à trouver 17 milliards d’euros par décision de la Cour constitutionnelle pour boucler le budget de l’exercice 2024, la ville a choisi de faire des économies, de réduire certaines subventions et d’augmenter ses recettes fiscales. Ceci n’est pas sans conséquences sur ses ambitions d’accélérer sa transition vers une ville intelligente intégrée et durable.

En outre, la capitale allemande est victime de son succès. Comme de nombreuses mégalopoles à la mode, Berlin a vu les prix de son marché immobilier littéralement exploser ces quinze dernières années. Avec un taux de vacance extrêmement faible – 0,9% contre 3,5% à Paris par exemple – et une population qui croît d’année en année – le nombre d’habitants devrait augmenter de 5% d’ici 2040 pour atteindre 3,9 millions – La Mecque de la techno et du kebab devient un territoire rare, et donc onéreux.

Par R. Hatira