Bilbao: un miracle nommé Guggenheim
C’est incontestablement un coup de génie de la part des autorités locales du Pays basque espagnol. Sur les cendres d’une ancienne ville sidérurgique renaît l’espoir grâce à l’implantation d’un musée d’envergure internationale, le Musée Guggenheim. Ville industrielle grise et sinistrée, Bilbao, la capitale du Pays basque espagnol, a ainsi renoué avec la prospérité. Mais le miracle économique de Bilbao n’est pas uniquement le fruit d’un musée exceptionnel, il résulte de la concordance de plusieurs facteurs: une gouvernance locale éclairée, basée sur un partenariat public-privé, combinée à l’implication de la population, le tout piloté par un recours massif au numérique. Bilbao est désormais considérée comme une des villes les plus intelligentes d’Europe, où il fait bon vivre et où la nature et les espaces verts ont pris le pas sur la pollution et la laideur des friches industrielles.
De la bonne gouvernance
Pour survivre, Bilbao a décidé de prendre en main son propre développement économique et urbain. L’objectif de la ville est de favoriser une croissance intelligente qui combine les aspects urbains, environnementaux, technologiques, sociaux et économiques afin de continuer à générer une activité économique avec des emplois de qualité et d’assurer le bien-être des citoyens.
Conscientes que l’infrastructure de la ville est vieillissante et désuète et que le changement passe par une politique urbaine ambitieuse et de rupture, les autorités de la ville se sont dotées d’une structure appelée «Bilbao Ria 2000». Créée en novembre 1992, cette entité avait pour mission de récupérer des zones dégradées ou des secteurs industriels et portuaires en déclin dans la ville de Bilbao, notamment la zone devenue emblématique d’Abandoibarra sur laquelle a été implanté le musée Guggenheim. Disposant à l’origine de peu de ressources financières, «Bilbao Ria 2000» obtient du port de la ville et de la Société de chemin de fer la cession de certains terrains en contrepartie de la réalisation de nouvelles infrastructures: le port extérieur d’une part et une nouvelle ligne ferroviaire au sud de l’agglomération d’autre part. L’acquisition des terrains libérés lui a alors permis de mener à bien leur revente pour l’implantation de logements dans le secteur d’Ametzola. Pour «Bilbao Ria 2000», cette opération foncière a constitué les premières recettes qui ont été immédiatement réinvesties dans d’autres projets. L’évolution du marché immobilier, notamment sous l’effet Guggenheim et les hausses du foncier qu’il a générées, et les cofinancements européens ont contribué à transformer radicalement le paysage urbain de la ville. En 2018, Bilbao a été couronnée du prix de la meilleure ville européenne par l’Académie de l’urbanisme.
Bilbao, un nouveau modèle économique
Si les mines et les usines sidérurgiques ont fermé il y a plus de 30 ans et si un musée d’art est aujourd’hui son bâtiment le plus célèbre, Bilbao reste une ville liée à l’industrie. Aujourd’hui, les entreprises manufacturières sont très différentes de l’industrie lourde du passé: très compétitives et à forte valeur ajoutée, beaucoup d’entre elles opèrent sur les marchés mondiaux. De nouveaux produits et modèles commerciaux développés ailleurs peuvent révolutionner l’industrie en profitant à ceux qui s’adaptent rapidement. L’approche intelligente de la spécialisation à Bilbao a permis à la ville d’identifier clairement les défis à relever. Dès lors, celle-ci a renforcé sa collaboration avec les acteurs locaux pour dresser une carte de l’activité économique et identifier les lignes d’action et les projets phares. La ville a mis en place un groupe d’acteurs locaux composé de la mairie de Bilbao (Bilbao Ekintza), du conseil provincial de Biscaye, du gouvernement basque en charge de la spécialisation régionale intelligente, de centres de recherche, d’universités et de la Chambre de Commerce. Le groupe comprenait également deux clusters régionaux basés à Bilbao: EIKEN, une association d’entreprises basées au Pays basque qui se consacre à la création et à la distribution de contenus liés aux industries de l’économie créative, et le cluster informatique GAIA (l’Association des technologies électroniques et de l’information) composé de 260 entreprises locales.
Pour une ville intelligente au service de ses habitants
Bilbao a opté pour le développement d’une stratégie Smart City dans laquelle elle s’efforce d’améliorer l’intégration des services publics numériques et de faciliter ainsi la communication entre les différentes parties prenantes. En pratique, la ville a construit un réseau de 112 hotspots wifi couvrant tous ses quartiers. Bilbao est ainsi l’une des pionnières européennes en matière de wifi urbain gratuit. Son utilisation apporte des informations sur la façon dont la population se déplace et occupe l’espace urbain. C’est l’approche choisie pour identifier les actions à mener et améliorer le quotidien des habitants. Grâce à ses efforts, Bilbao a été choisie en 2020 comme ville pilote de l’Alliance mondiale des villes intelligentes du G20 pour la gouvernance technologique. La capitale de la Biscaye est ainsi membre d’un réseau international créé en juin 2019. Son objectif est d’établir les bases fondamentales d’une utilisation responsable et éthique de la technologie dans les villes, en promouvant la transparence, la confidentialité et la sécurité. Bilbao échangera son expérience et ses connaissances avec 36 autres villes, dont Londres, Barcelone, Lisbonne, Milan, Toronto, San José, Buenos Aires, Brasilia, Istanbul, Dubaï ou encore Melbourne.
Bilbao a opté pour le développement d’une stratégie Smart City dans laquelle elle s’efforce d’améliorer l’intégration des services publics numériques.
Alors que la technologie transforme de plus en plus la façon dont les citoyens de Bilbao vivent, travaillent et se déplacent, le gouvernement local a décidé de créer une stratégie numérique centrée sur les personnes mobilisant tous les acteurs locaux vers la transformation digitale de la ville. Cette stratégie repose sur l’adaptation des bonnes pratiques internationales pertinentes aux particularités économiques, sociales et culturelles de la ville. Elle se concentre sur quatre axes moteurs: la gouvernance intelligente, l’entrepreneuriat, l’accès à la technologie et l’infrastructure numérique. Les responsables locaux de Bilbao sont convaincus que les institutions publiques doivent jouer un rôle de catalyseur du changement en connectant les entreprises, les universités, les entrepreneurs et les citoyens.
La ville a également lancé son initiative phare «Big Bilbao». Le système de renseignement de la ville s’appuie sur le Big Data pour développer de nouvelles opportunités et offrir aux citoyens des services publics plus efficaces.
Une mobilité moderne et fluide
Repenser la mobilité de la ville était une priorité pour les autorités afin d’accompagner le changement. Bilbao a limité la vitesse à 30 km/h sur ses 41 km de rues. C’est la première ville au monde de plus de 300.000 habitants (elle en compte 350.000) à le faire. Saluée par l’Europe, Bilbao a remporté le prix européen de la sécurité routière en 2021. En outre, la ville est considérée comme l’amie des piétons. La part modale piétonne y est de 64%. Ce chiffre impressionnant est rendu possible grâce à la mobilité piétonne verticale. En effet, la ville s’est dotée d’une cinquantaine d’ascenseurs et escaliers roulants publics et gratuits. Ce système bénéficie à 25 millions de personnes par an et favorise les déplacements des aînés et des personnes à mobilité réduite.
En plus de ses quelque 50 km de lignes de métro, Bilbao dispose d’un important réseau de bus dont une large part est électrifiée. Le service Bilbobus compte 50 lignes et plus de 500 arrêts, ce qui génère environ 25 millions de trajets par an. En outre, Bilbobizi, le service public de vélos en libre-service, a enregistré 1,7 million d’utilisateurs en 2019. D’autres résultats tangibles liés à l’infrastructure comprennent la gare intermodale qui a ouvert en 2019, reliant les lignes d’autocar longue distance aux services de métro et de train. Outre les investissements dans les infrastructures, des initiatives visant à renforcer l’électromobilité sont également prévues, notamment des incitations fiscales pour les véhicules électriques et des investissements dans des voitures électriques partagées. Les efforts de décarbonation de Bilbao passent également par des incitations fiscales pour un changement progressif des taxis à essence par des véhicules zéro émission. À l’horizon 2030, le nombre de véhicules électriques atteindra 25.000 unités. Cette mesure aura le mérite de réduire le niveau de pollution sonore de deux décibels en ville.
Tous les efforts déployés par la ville pour atteindre une «mobilité à zéro émission» contribuent largement à l’amélioration de la qualité de l’air. Mieux respirer est aussi le fruit d’un urbanisme vert qui a donné une part belle aux parcs et aux espaces verts, rendant la ville agréable à vivre pour ses citoyens et attirante pour les nombreux visiteurs. Grâce à sa riche histoire et à son climat doux, Bilbao est devenue une cité moderne et une destination touristique populaire. Le musée Guggenheim, conçu par le célèbre architecte Frank Gehry, y est sûrement pour quelque chose, et les 133 millions d’euros d’investissement initial ont largement été amortis. Guggenheim était la plus belle vitrine que pouvait s’offrir une ville en reconstruction.
Par R. Hatira