COVID-19 : NOUVEAUX PARADIGMES DANS LE SECTEUR MÉDICAL

L’épidémie de coronavirus a provoqué de terribles désordres dans certains systèmes de santé européens. Jean-Philippe Arié, Luxembourg HealthTech Cluster Manager chez Luxinnovation, présente le rôle du cluster dans cette situation de crise et évoque les nouveaux paradigmes qui pourraient changer la face du monde et qui ont – déjà – bouleversé le secteur de la santé.

Une telle épidémie entraînera-t-elle l’émergence d’un nouveau paradigme dans le secteur de la santé ?

Oui, nous avons la certitude que beaucoup de choses vont changer, même en dehors du domaine de la santé. Mais quoi exactement ? Nous ne le savons pas, il faudra sans doute un peu de temps pour le mesurer.

Nous constatons, par exemple, que pratiquer la télémédecine de manière temporaire est tout à fait possible. Les solutions digitales permettent d’encadrer les personnes âgées à distance ou de suivre certains patients à domicile.

Nous pouvons nous attendre à ce que les applications « Internet of Medical Things » (IoMT) de suivi de santé pour des actes aussi basiques que des surveillances de température ou des données respiratoires connaissent un boom certain. Qui n’a pas interrogé son assistant vocal virtuel pour lui décrire ses symptômes ? Évidemment, l’un des grands enjeux sera le respect des réglementations en matière de traitement des données personnelles.

On a vu aussi que bon nombre de mesures de prévention ont été mises en place, jusqu’au port généralisé du masque de protection, alors que nous les prenions pour des attitudes très asiatiques. Les habitudes changeront là aussi.

En matière d’épidémiologie, nous avons été abreuvés de statistiques journalières mondiales sur la santé. Sans doute vont-elles, désormais, susciter d’autres besoins et d’autres nécessités d’information.

Il sera aussi intéressant, avec du recul, d’étudier et d’analyser la façon dont chaque État a réagi et a répondu à cette crise, afin d’en tirer le meilleur et d’envisager, qui sait, une stratégie mondiale optimale de gestion de ce type de crise.

Quel est le rôle du Luxembourg HealthTech Cluster et des entreprises qui le composent dans cette lutte contre le Covid-19 ?

En premier lieu, le cluster se met à l’écoute des entreprises en difficultés, car la plupart souffrent. Mais Luxinnovation et la Direction de la Santé du ministère de l’Économie participent également aux analyses des propositions d’innovations industrielles. Cela concerne tout aussi bien des solutions de financement que d’accélération de la recherche.

L’agence est également un des acteurs impliqués dans la task force Covid-19 mise en oeuvre par l’initiative nationale Research Luxembourg.

Les entreprises du cluster ont-elles déjà proposé des solutions/innovations ?

Oui, mais il s’agit de projets confidentiels pour la plupart. Nous pouvons tout de même citer l’annonce faite par le groupe Siemens d’un test au Covid-19 dont les résultats seraient disponibles en moins de trois heures. Ce test a été développé à Belval par l’entreprise luxembourgeoise Fast Track Diagnostics qui avait été rachetée par le groupe allemand en 2017.

Il y a aussi le très grand succès rencontré par les plateformes proposant des solutions de téléconsultation, qui permettent, de surcroît, d’éviter un risque d’encombrement des services d’urgences dans les centres hospitaliers. Les acteurs luxembourgeois ont mis en oeuvre un vrai savoir faire.

Selon vous, comment la digitalisation a-t-elle influencé la gestion de la crise ?

Il est évident que nous n’aurions pas été en mesure de vivre cette crise de la même façon – la meilleure façon possible selon moi – sans la digitalisation. Nous pouvons tout de même nous réjouir de voir que les enfants puissent suivre des cours à distance, que les téléconférences, qu’elles soient professionnelles ou privées, se soient généralisées et contribuent activement à la lutte contre l’isolement et que des solutions en matière de distribution soient possibles par l’utilisation de drones.

Je note aussi que la cybersécurité est un sujet récurrent depuis le début de la crise et, compte tenu de ses compétences très élevées en la matière, le Luxembourg peut tout à fait jouer un rôle innovateur.

Dans la sphère de la santé plus spécifiquement, je note qu’une vaste utilisation des médias digitaux, que ce soit des organes de presse ou des réseaux sociaux, permet une publication généralisée instantanée et répétée des mesures élémentaires de protection et de prévention. La façon dont Singapour a géré le début de la crise est souvent citée en exemple.

Les solutions digitales permettent d’encadrer les personnes âgées à distance ou de suivre certains patients à domicile

On peut supposer qu’une fois la crise passée, bon nombre de solutions médicales connectées feront leur apparition un peu partout et nous espérons que beaucoup de ces solutions soient luxembourgeoises.

Ce qui est sûr, c’est que cette crise montre combien les données sont essentielles dans sa gestion : épidémiologie à l’échelle mondiale, modélisation sur calculateur, monitoring, surveillance, détection puis prévention… Clairement, la digitalisation de ces données à différentes échelles géographiques constitue une clé essentielle. Et tout sera d’autant plus simple si une digitalisation préexiste.

Comment imaginez-vous l’après crise ?

Pour l’instant, nous sommes surtout dans la crise. Il y aura probablement des temps de réflexion, économiques, médicaux, philosophiques puis politiques, au niveau national puis international. Sans doute faudra-t-il une année ou deux pour avoir une bonne synthèse qui permettra d’avancer dans le bon sens.

Bien entendu, la question de la réindustrialisation européenne sera posée, au moins en ce qui concerne son indépendance dans les crises sanitaires, car on peut malheureusement craindre qu’il y ait de nouveaux épisodes épidémiques. Le continent africain sera durement touché et il faudra, là aussi trouver, des solutions à la fois sociales et médicales.

Comme dans toute crise, il y aura aussi des secteurs qui tireront vraisemblablement profit de tout ce qui s’est passé, comme les solutions de e-learning, de livraison à domicile…

Enfin, quand nous regardons la beauté du ciel en ce moment et que nous prenons connaissance des photos satellites comparant la situation actuelle à celle d’il y a un an, par exemple, on constate combien l’impact sur l’environnement et sur la pollution des villes est colossal. Peut-être y aura-t-il des changements importants qui se dessineront là aussi !

Propos recueillis par Pierre Birck.
Photo : © Sébastien Goossens