Crise climatique, un défi à long terme dans les relations internationales

Comme toute crise qui affecte des biens publics mondiaux, celle du changement climatique fait appel à des mécanismes multilatéraux. Liée à des questions sécuritaires, commerciales, énergétiques, sanitaires ou encore migratoires, elle dépasse les préoccupations environnementales au sens strict et s’affronte de manière collective. Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et européennes, nous invite à dépasser les frontières en évoquant les menaces sécuritaires exacerbées par le changement climatique, la place des Accords de Paris dans les politiques commerciales, la COP26 à Glasgow ou encore l’engagement du Luxembourg sur la scène internationale. Interview.

En termes de diplomatie climatique, quels sont les enjeux qui vous préoccupent particulièrement?

Le changement climatique, avec son impact sur toutes les sphères de la vie humaine et des droits humains, est sans doute le plus grand défi à long terme auquel nos sociétés font face aujourd’hui. Cela fait 17 ans que je suis ministre des Affaires étrangères du Luxembourg et, au cours de mes déplacements dans le monde entier, j’ai pu prendre la mesure de l’impact du changement climatique. Parmi les principaux enjeux, l’impact sur la sécurité face à des ressources naturelles comme la terre et l’eau me préoccupe tout particulièrement. Nous le voyons dans les conflits autour de l’accès à ces ressources naturelles vitales, dans des régions comme le Sahel et le Moyen-Orient. En Europe, nous avons fait des avancées importantes avec par exemple l’adoption du Pacte vert, et l’accord parmi tous les Etats membres de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030. Cela dit, ces réformes nécessitent des investissements et des efforts additionnels, et ont été l’objet de discussions ardues au Conseil.

Lors du Conseil «Affaires étrangères» de l’UE du 25 janvier, vous avez défendu l’idée qu’il fallait «repenser notre concept traditionnel de sécurité et y intégrer les nouveaux types de menaces induites et aggravées par le changement climatique». Qu’entendez-vous par là?

Le changement climatique est un multiplicateur de menaces – il exacerbe les tensions sur les prix des terres, de l’eau, des denrées alimentaires et de l’énergie. Il est source de pressions migratoires et de désertification. La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’augmenter ces menaces, notamment dans les pays en développement.

Dans les régions affectées, nous devons mieux coordonner nos efforts dans les domaines de la sécurité et la défense avec ceux de notre coopération au développement afin d’aider les communautés concernées à améliorer leur résilience face à l’impact du changement climatique. Il importe que ces nouvelles menaces et nos actions pour y remédier soient également reflétées aux niveaux opérationnels de l’action extérieure européenne, dont par exemple la nouvelle Stratégie UE sur le Sahel.

L’Accord de Paris est appelé à prendre une place particulière dans nos accords

Vous vous êtes dit «heureux que l’Accord de Paris ait été intégré en tant que clause essentielle de l’Accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni» et avez affirmé qu’il fallait «absolument intégrer cette disposition dans tous les futurs accords commerciaux». Est-ce un aveu de faiblesse concernant les accords de libre-échange signés ces dernières années?

Le renforcement des mécanismes relatifs au développement durable qui sont déjà inclus dans les accords de nouvelle génération de l’Union européenne est au cœur de mon action en matière de politique commerciale. Le développement durable, c’est à la fois le respect des normes sociales, telles qu’elles sont notamment établies par l’Organisation internationale du Travail, mais aussi la mise en œuvre et le respect des principales conventions liées au respect de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique. De par l’urgence qui caractérise cette lutte, l’Accord de Paris est appelé à prendre une place particulière dans nos accords. C’est en tout cas l’objectif du gouvernement luxembourgeois, pour qui l’Accord de Paris doit trouver sa place, à côté du respect des droits de l’homme et de la lutte contre les armes de destruction massive, parmi les dispositions dites essentielles de nos accords. En cas de non-respect d’une disposition essentielle, l’Union peut prendre des mesures unilatérales.

Avec la conclusion de l’Accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni et l’élévation de l’obligation du respect de l’Accord de Paris en clause essentielle, les parties pourront suspendre ou résilier tout ou partie de l’Accord entre l’UE et le Royaume-Uni en cas de violation des dispositions de l’Accord de Paris par l’autre partie. Ceci marque une prise de position majeure et un précédent important pour les futurs accords commerciaux de l’UE.

D’ailleurs, dans sa nouvelle communication relative à la politique commerciale qui a été publiée vers la mi-février, la Commission propose d’insérer cette disposition dans les futurs accords de l’Union. A cet égard, nous pouvons dire que nous avons atteint un premier objectif. Je m’en réjouis mais je n’entends pas en rester là.

Les mécanismes que nous avons déjà mis en place sont utiles car ils ouvrent la voie au dialogue avec les autorités de nos pays partenaires ainsi qu’au débat public. Mais leur force réside dans leur capacité à influer sur les gouvernements qui sont prêts à aller de l’avant. Ils ne sont malheureusement pas suffisants pour convaincre ceux qui sont de mauvaise volonté. A l’avenir, il va donc falloir renforcer ces mécanismes, sans perdre de vue les accords déjà négociés ou conclus.

Ainsi, je me réjouis que dans le cadre de l’accord avec le Mercosur, nous ayons identifié la nécessité de mettre en place un cadre additionnel. Nous devons désormais veiller à ce que ce cadre soit contraignant et suffisamment ambitieux pour garantir la mise en œuvre effective de l’Accord de Paris et des engagements pris en matière de lutte contre la déforestation.

De par sa nature, la crise climatique ne peut se résoudre que dans une approche multilatérale. Comment les petits États se positionnent-ils au sein des négociations? Y a-t-il un «style luxembourgeois» en termes de diplomatie climatique?

À l’instar de la pandémie de Covid-19, le changement climatique est un problème qui ne connaît ni passeport ni frontière, et qui nous prouve que les problèmes mondiaux requièrent des solutions mondiales. Seuls les mécanismes multilatéraux peuvent nous aider à atteindre nos objectifs climatiques. En termes de diplomatie climatique, le Luxembourg s’engage dans toutes les enceintes multilatérales pour défendre des objectifs ambitieux.

Le Luxembourg est profondément attaché au multilatéralisme et peut se prévaloir d’une longue tradition d’engagement actif en sa faveur. Nous avons montré au Conseil de sécurité que les petits pays ont leur mot à dire et leur rôle à jouer dans toutes les enceintes des Nations Unies. La force du Luxembourg est que nous sommes un petit pays reconnu comme un courtier honnête et un partenaire à l’écoute des autres. Dans cet état d’esprit, le Luxembourg a posé sa candidature pour un siège au Conseil des droits de l’homme pour le mandat 2022-2024. L’action du Luxembourg s’inscrit dans la réalisation des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 et vise la protection des différents droits humains susceptibles d’être remis en cause par les effets du changement climatique.

Le Luxembourg s’engage dans toutes les enceintes multilatérales pour défendre des objectifs ambitieux

La finance durable est un aspect qui distingue le Luxembourg des autres acteurs dans la lutte contre le changement climatique. En tant que centre financier international de premier plan et plus grand centre de fonds d’investissement transfrontaliers au monde, le Luxembourg peut jouer un rôle dans le domaine de la finance durable qui va bien au-delà de sa taille géographique. En 2016, la Bourse de Luxembourg a lancé la Bourse verte de Luxembourg, la première plateforme mondiale dédiée aux instruments financiers durables. Celle-ci cote aujourd’hui plus de la moitié des obligations vertes du monde. C’est pourquoi nous mettons cet atout en avant dans nos contacts multilatéraux, tels que l’échange des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne avec John Kerry, l’envoyé spécial du Président des États-Unis pour le climat. Lors de cet échange j’ai cependant aussi soulevé d’autres sujets comme le lien qui existe entre climat et sécurité. Une approche holistique dans la lutte contre le changement climatique restera cruciale pour relever les défis auxquels nous faisons face.

La COP 26 se tiendra en novembre à Glasgow. Pensez-vous que l’UE éprouvera des difficultés à y parler d’une seule voix? Quelle est la position luxembourgeoise? Qu’espérez-vous de cette 26e conférence?

L’Union européenne s’exprime toujours d’une seule voix à l’occasion des conférences des parties sous la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Moyennant la «contribution déterminée au niveau national (CDN) de l’Union européenne et de ses États membres» notifiée en décembre 2020 à la CCNUCC et dont le niveau d’ambition a été nettement revu à la hausse, l’Union européenne a d’ores et déjà affiché son engagement de respecter l’Accord de Paris et ses objectifs, envoyant ainsi un signal fort au monde entier.

Alors que l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 n’est plus remis en question, il s’agit désormais d’ajuster les différents instruments législatifs européens qui devront traduire ce niveau d’ambition.

Le Luxembourg, pour sa part, a non seulement été aux avant-postes dans les négociations qui ont mené au renforcement de la CDN de l’Union européenne, il y a également apporté sa part concrète en s’engageant à réduire ses propres émissions de gaz à effet de 55% en 2030 par rapport à 2005, tout en souscrivant à la neutralité climatique pour 2050 au plus tard. Ces deux objectifs ont d’ailleurs été inscrits dans la toute récente loi relative au climat.

J’espère que les autres grandes économies suivront l’exemple de l’Union européenne et reverront à leur tour à la hausse leur contribution déterminée au niveau national. Glasgow en novembre 2021 sera le moment de vérité.

Propos recueillis par A. Jacob