DES RISQUES CLIMATIQUES AUX RISQUES FINANCIERS

Le mercredi 13 novembre dernier, comme en écho à l’orientation responsable qu’elle a donnée à ses activités bancaires et financières, la Spuerkeess a invité les acteurs du secteur financier à sa conférence “From Climate Risks to Credit Risks”, en présence du ministre des Finances, Pierre Gramegna, et d’experts venus présenter leurs points de vue sur le sujet. Compte-rendu.

Intervenant moins d’un mois après son adhésion aux « Principles for Responsible Banking » des Nations Unies (UNEP FI), la conférence organisée par la Spuerkeess visait à sensibiliser les acteurs du secteur financier aux liens entre les risques climatiques et les risques financiers afin d’encourager leur prise en compte dans la stratégie bancaire. La volonté des organisateurs était d’élargir le débat au-delà de la simple perspective de l’industrie des fonds mais aussi d’encourager l’innovation et de soutenir les opportunités liées à la transition écologique.

Voix d’experts

Universitaires, professionnels et experts issus d’organismes de réglementation ont ainsi pu aborder l’impact concret du changement climatique sur certains des principaux secteurs économiques du Luxembourg et livrer des solutions devant contribuer utilement à atténuer ces risques. « Dans un avenir proche, le changement climatique deviendra l’un des sujets clés à l’ordre du jour au sein des entreprises de divers secteurs. Il se révèlera en effet de plus en plus évident que les coûts de l’inaction dépasseront ceux des mesures préventives pouvant être appliquées dès aujourd’hui afin d’atténuer certains effets du réchauffement », a affirmé Françoise Thoma, directrice générale de la Spuerkeess. Selon André Weidenhaupt, directeur général au ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable venu présenter la Stratégie luxembourgeoise d’adaptation au changement climatique, pas moins de treize domaines d’activité subiraient les conséquences du réchauffement planétaire. Parmi ceux-ci, citons la viticulture prise en exemple par André Mehlen (chargé d’études à l’Institut viti-vinicole) ou encore l’énergie. Claude Seywert, directeur général et président du Comité Exécutif d’Encevo S.A., a esquissé les bouleversements majeurs auxquels est confronté ce secteur forcé de revoir ses modèles d’affaires pour se maintenir à flot et réussir la transition énergétique. Revenant au cœur du sujet, Kim Schumacher, expert en sciences du climat et de l’environnement à l’Université d’Oxford, a ensuite entrepris une évaluation des risques liés au climat dans les secteurs financier et bancaire luxembourgeois et souligné la bonne performance des capitaux verts et la valeur des investissements ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).

Regard politique

Invité à s’adresser aux acteurs bancaires et financiers, Pierre Gramegna, lui-même membre de la Coalition des ministres des Finances pour l’action climatique, a rappelé l’ambition internationale entérinée dans l’accord de Paris qui scelle aussi bien la volonté que la nécessité de réorienter les flux financiers vers des activités plus durables pour limiter le réchauffement climatique en dessous de 2°C. « Dites aux climatosceptiques qu’il ne s’agit pas de croire ou non aux problèmes liés au changement climatique, mais d’organiser notre monde au mieux et d’utiliser les ressources limitées dont nous disposons de façon plus intelligente et plus efficace », a-t-il déclaré. Les banques centrales ont d’ailleurs reconnu les risques financiers liés au changement climatique et le ministre a tenu à rappeler au parterre de financiers présent les quatre recommandations du « Network for Greening the Financial System » : l’intégration des risques liés au climat dans le suivi de la stabilité financière et la surveillance microprudentielle, l’intégration des facteurs liés au développement durable dans la gestion des portefeuilles pour compte propre, le comblement des lacunes en termes de données et le renforcement de la sensibilisation et des capacités d’analyse, l’encouragement de l’assistance technique et le partage des connaissances.

Réorienter les flux financiers vers des activités plus durables pour limiter le réchauffement climatique

Refusant tout alarmisme, le ministre a tout de même souligné l’urgence de la situation : « Nous sommes face à une bombe à retardement. Si elle explose, nous serons confrontés à une crise financière – et énergétique – bien plus profonde que celle de 2008. Il est maintenant de votre devoir d’éviter l’explosion en assurant la transition financière. J’y vois une opportunité pour les acteurs financiers et pour les banques. Maintenant que nous reconnaissons tous que le risque est sérieux et qu’il va se matérialiser, nous devons agir ». Pour éviter la déflagration, il faudra donc renverser la tendance actuelle puisque, pas plus tard qu’en 2018, les investissements dans l’extraction du charbon s’étaient élevés de 2,6% par rapport à l’année précédente alors que les investissements dans les énergies renouvelables avaient diminué de 8%.

À cet égard, Pierre Gramegna estime que les acteurs de la place financière luxembourgeoise ont plus d’une pierre à apporter à l’édifice de la transition écologique, malgré la taille du pays. Il a ainsi tenu à faire un tour d’horizon des nombreuses initiatives engageant le secteur financier, rappelant qu’un tiers de tous les fonds d’investissements responsables au monde est hébergé à Luxembourg, comme plus de la moitié des obligations vertes. Le ministre a également épinglé le rôle de Luxflag, pionnier dans la labellisation de produits financiers verts et responsables, de la plateforme du financement climatique Luxembourg-BEI ou encore de l’International Climate Finance Accelerator Luxembourg. Enfin, il a rappelé l’importance de la « Luxembourg Sustainable Finance Roadmap » et sa volonté de multiplier les partenariats public-privé.

Bien sûr, une lutte efficace contre le changement climatique ne peut s’inscrire que dans une perspective multilatérale. Au ministre donc de conclure sur la nécessité d’établir un cadre commun, d’adopter une taxonomie européenne d’activités durables et de transposer au plus vite les directives qui en découleront pour réorienter les flux financiers vers l’économie verte. Le moment est venu, pour les Luxembourgeois et les Européens, d’anticiper et de tirer parti de cette transition en se dotant d’un avantage concurrentiel.

Par A. Jacob