Démystifier l’intelligence artificielle à l’école
De plus en plus présente dans notre quotidien, l’intelligence artificielle (IA) est un outil formidable, souvent encore invisible, qu’il s’agit de s’approprier le plus tôt possible. Pourquoi donc ne pas déjà commencer à démystifier l’IA à l’école? Cette question, Paul Fayard, directeur adjoint de l’IFEN (Institut de Formation de l’Éducation Nationale), l’a débattue avec les I-CN, un groupe d’instituteurs spécialisés en compétences numérique, coordonné par Chris Krier. Les I-CN agissent dans toutes les écoles de l’enseignement fondamental au Luxembourg afin d’accompagner et de soutenir le personnel enseignant et éducatif en matière d’implémentation et d’utilisation des technologies de l’information en classe. Paul Fayard nous en dit plus sur les possibilités de l’IA au niveau de l’enseignement fondamental.
Quelle est la place de l’IA dans l’enseignement fondamental aujourd’hui (en tant qu’outil pour les enseignants, mais aussi en relation avec les sujets abordés en classe)?
Selon les retours du terrain, à ce jour, on ne ressent pratiquement pas encore d’impact de l’IA sur l’enseignement fondamental. Bien que déjà utilisée de manière inconsciente, par exemple lors de recherches sur internet, peu d’enseignants ou d’élèves se posent des questions sur le fonctionnement ou encore la plus-value potentielle de cette technologie révolutionnaire pour l’enseignement et l’apprentissage. À ce stade, la grande majorité commence seulement à utiliser des technologies numériques en classe, comme le «coding» ou la production de matériel audio-visuel, mais l’IA n’est généralement pas encore un sujet.
Par conséquent, et vu l’impact croissant de l’IA dans notre vie quotidienne, ne serait-il pas important d’initier les enfants à l’utilisation de l’IA à ce stade?
Alors qu’il est sans doute d’une grande importance de sensibiliser les jeunes à l’existence et aux enjeux de l’IA, les initier à la conception de tels outils et surtout les confronter au jargon technique dès l’école fondamentale semble prématuré.
Toutefois, dans le cadre du développement des compétences médiatiques, il importera d’instiller aux élèves une conscience de la présence de l’IA. Pour ce faire, il s’agira de créer des espaces sécurisés et d’utiliser une approche ludique et adaptée à l’âge des jeunes afin de leur donner l’opportunité de tester et de vivre les possibilités et les limites de systèmes opérant sur base de l’IA.
À cette fin, il existe des scénarios pédagogiques, des outils et des jeux qui illustrent les concepts de base et visent l’interaction avertie avec, par exemple, l’affichage dynamique de recommandations pour les réseaux sociaux ou les magasins en ligne.
Nous avons vu ces derniers temps que l’IA nous permettait désormais de créer des œuvres picturales ou rédactionnelles sans être expert dans le domaine. Est-ce une source de crainte pour l’école? Les élèves pourraient-ils avoir recours à ce genre d’application pour rendre des travaux?
Les outils récents comme ChatGPT, agent conversationnel utilisant l’IA pour fournir des réponses détaillées à toute question, ou encore Dall-E, un générateur d’images par l’IA, sont de plus en plus répandus. Cependant, ils ne sont pas encore connus et/ou utilisés par les élèves dans l’enseignement fondamental. On pourrait bien imaginer l’utilisation de l’IA par les élèves de façon créative pour leurs travaux, recherches et autres œuvres. Mais il faudrait d’abord s’assurer de les initier à l’utilisation correcte de ces outils et de leur monter les limites actuelles des applications de l’IA.
Il s’agira de créer des espaces sécurisés et d’utiliser une approche ludique et adaptée à l’âge des jeunes
Dans le futur, nous ne serons donc sans doute pas à l’abri de telles situations. Pour y répondre, l’accent devra être mis sur la sensibilisation des enseignants et l’adaptation de leurs cours aux réalités. Car quoiqu’il en soit, à l’heure actuelle, un devoir qui pourra être résolu de manière satisfaisante par une IA ne semble guère adapté aux besoins des élèves au 21e siècle.
En observant les avancées scientifiques et les réalités sur le terrain, est-ce que vous pensez que l’IA pourra un jour remplacer l’enseignant?
La réponse de la plupart des I-CN à cette question est un «non» assez clair, en citant le manque de sens critique et d’innovation de la part de l’IA, ainsi que la déficience en émotions. Surtout un I-CN était très explicite en proclamant que «les humains éduquent les humains» et que l’école aura perdu sa raison d’être au moment où on n’aura plus besoin d’êtres humains.
Certains I-CN, dont moi-même, voient les choses de manière plus nuancée. On pourrait bien imaginer une synergie entre l’enseignant et l’IA dans un futur proche, par exemple en déchargeant l’humain des tâches répétitives comme les corrections ou l’élaboration d’exercices de répétition. Ceci permettrait un changement de posture bien utile et l’enseignant pourrait se concentrer davantage sur son rôle de coach et d’accompagnateur et apporter le support émotionnel que la machine ne réussit pas encore à assumer.
En regardant beaucoup plus loin dans le futur, je n’ose pas faire de prévision. Vu la vitesse actuelle des progrès technologiques et les bouleversements sociétaux que le monde a connus par le passé, personne ne peut dire avec certitude, si un jour l’IA n’arrivera pas à émuler les «soft skills» apanage de l’être humain. Il se pourrait tout aussi bien que l’école évolue à tel point dans le futur, que ce qu’on appelle aujourd’hui «enseignant» n’existe plus sous la même forme. Après tout, la plupart des professions dont nous aurons besoin dans le futur (même proche) n’existent pas encore à ce jour.
Afin d’aider à démystifier l’IA au Luxembourg, une 2e édition personnalisée du MOOC à succès «Elements of AI» est prévue pour février 2023. Cette nouvelle édition inclut un groupe de support pour les enseignants. Pouvez-vous nous expliquer son but?
Le groupe de support sera animé par les I-CN et poursuit deux objectifs distincts. D’un côté, il s’agit de soutenir les enseignants participant au MOOC en abordant les thématiques et les questions traitées lors du cours. Le but est de créer les conditions favorables pour que tous les participants motivés aient la possibilité de finir le MOOC avec succès. Pour ce faire, les accompagnateurs, tous dotés de compétences pédagogiques, amèneront les participants à trouver eux-mêmes les pistes vers les bonnes réponses et à naviguer dans les cours.
D’un autre côté, il
nous tient beaucoup à cœur que les participants arrivent à faire le lien entre
les apports du MOOC et leur pratique au quotidien. Lors des sessions du groupe
support, des discussions et des ateliers pratiques détailleront la plus-value
du MOOC pour l’apprentissage en classe et comment les enseignant(e)s pourront
envisager un transfert de manière concrète. Le MOOC en soi étant plutôt général
et non ciblé vers le monde de l’enseignement, ce recadrement des contenus est
primordial pour l’IFEN.
Pour en savoir plus sur l’IA : Elements of AI est une série de cours en ligne gratuite sur l’intelligence artificielle créée par MinnaLearn et l’Université d’Helsinki, complétée par les enseignants chercheurs de l’Université du Luxembourg et des experts nationaux en «digital skills». Rejoignez ce MOOC fascinant sur ce qu’est réellement l’IA, les opportunités qu’elle nous offre et la façon dont elle nous affectera dans les années à venir et profitez d’un parcours personnalisé avec des webinaires interactifs et des groupes de travail ciblés menés par des experts. Rendez-vous sur www.eofai.lu/ifen. |
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