DU LINÉAIRE AU CIRCULAIRE, ASSURER UNE NÉCESSAIRE RÉSILIENCE À NOTRE CADRE DE VIE

Engagés dans une réflexion commune sur la mise en oeuvre de l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment, l’Ordre des architectes et des ingénieurs- conseils (OAI) et le ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire observent à la loupe le rôle des concepteurs dans la transition vers une construction plus durable. Explications avec Marc Feider et Pierre Hurt, respectivement vice-président et directeur de l’OAI.

En quoi consiste votre collaboration avec le ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire ?

MF : Cette collaboration est née de discussions qui animent le Conseil National de la Construction Durable (CNCD), véritable think tank dont font partie l’OAI et le ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire. Elle vise à recenser les acteurs actuellement engagés dans le domaine de la construction durable et de l’économie circulaire mais aussi à identifier les barrières qui peuvent se dresser dans la mise en oeuvre de projets de ce type. Ces obstacles peuvent être multiples, qu’il s’agisse de règlements de bâtisse, de lois, de prescriptions, etc. Pour ce faire, nous rencontrons chaque acteur identifié afin d’échanger avec lui sur ses difficultés. Nous avons également adressé une question globale à nos membres et collectons actuellement leurs réponses. L’analyse de ces données nous permettra de déduire les mesures à appliquer pour faciliter la mise en oeuvre de l’économie circulaire et promouvoir la construction durable.

L’économie circulaire est impossible sans phase détaillée de conception

PH : La revalorisation de la phase de conception – qui sous-tend tout projet durable – fait aussi partie intégrante du projet. L’architecte, l’ingénieur, l’urbaniste, l’architecte d’intérieur, le paysagiste ou l’aménageur du territoire sont les générateurs de tout ce qui se construit. Leur rôle est parfois oublié alors même qu’il est foncièrement multidirectionnel. Les membres de ces professions sont les premiers à être en contact avec l’investisseur, l’utilisateur, l’Etat ou les administrations et constituent le maillon de transmission indispensable d’un certain savoir-faire vers les entreprises de construction. C’est pourquoi, si nous voulons devenir une « Smart Nation » avec un cadre de vie intelligent, résilient et durable, nous devons investir davantage dans la phase de réflexion. L’économie circulaire est impossible sans phase détaillée de conception. Le défi de ces professions libérales ne sera pas tant de créer que de fédérer tous les acteurs.

L’économie circulaire n’est pas une fantaisie mais bien une nécessité à laquelle nous devons nous préparer

Comment l’OAI peut-il aider les architectes à répondre à la demande en matière de projets de type circulaire ?

PH : Nous sommes très actifs en matière de formation. Depuis 2003, l’Ordre a mis en place ce qui s’apparente à une académie de formation continue qui rencontre un beau succès. Les membres peuvent y découvrir les dernières tendances, notamment en termes d’économie circulaire. L’aspect recherche, innovation, est par contre sous-développé. Dans le cadre des efforts publics pour soutenir la recherche, les professions libérales sont souvent oubliées. Pourtant, le défi de l’économie circulaire pourrait représenter l’opportunité de les inclure plus systématiquement dans des activités de recherche.

MF : Nous souhaitons effectivement voir nos membres impliqués dans certains projets-pilotes mais, surtout, nous demandons que les résultats de ces expériences soient partagés et deviennent des sources ouvertes. La recherche nécessite en fait des budgets dont manquent les concepteurs. C’est pourquoi nous sommes en discussion avec le ministère de l’Economie pour en obtenir.

Quels sont les avantages mais aussi les grands défis de la mise en application d’une économie circulaire dans la construction ?

MF : L’économie circulaire va nous permettre de répondre au manque de matériaux de construction qui s’annonce. Pour l’instant, nous utilisons nos ressources de façon très peu durable : nous les produisons, les utilisons, puis les jetons. Le sable adapté à la construction, par exemple, devient si rare que nous allons finir par en manquer. Il faut donc savoir où le trouver dans les bâtiments existants afin de pouvoir le réutiliser. Bientôt, nous penserons en ces termes : « il me faut déconstruire tel édifice existant pour construire mon nouveau bâtiment ». Ce n’est pas une fantaisie mais bien une nécessité à laquelle nous devons nous préparer.

PH : Par ailleurs, si la construction se veut durable, elle doit être au maximum régionalisée et locale, ce qui aura forcément une incidence sur les coûts. La question du juste prix doit dès lors être prise en considération. Le système actuel, dans lequel le foncier dicte tout, est tout sauf durable. Au Luxembourg, c’est le terrain qui conditionne tout, le bâti ne vaut rien. Or, l’investissement devrait financer prioritairement le bâtiment. L’économie circulaire ne pourra jamais fonctionner si nous n’abordons pas le problème du coût réel et du juste prix.

La sensibilisation de l’utilisateur constitue un autre défi. La construction durable n’est rien sans usager averti, éclairé, qui désire en obtenir les avantages. La mise en route et l’exploitation d’un bâtiment ont en effet davantage d’impacts sur l’environnement que toute autre phase de sa vie. Malheureusement, c’est le volet que nous maîtrisons le moins facilement.

Ce projet constitue-t-il une réponse à la vision que vous vous faites de la ville intelligente ?

MF : Nous n’échapperons pas aux discussions sur la ville intelligente. Celle-ci sera confrontée aux mêmes enjeux, mais à plus grande échelle.

PH : Le défi sera effectivement plus large car il faudra y intégrer la réflexion sur le non-bâti durable et tenir compte du « slow-développement » de notre cadre de vie. Il est important que les connexions entre le bâti et le non-bâti fonctionnent car toute une vie commune devra s’insinuer dans les interstices laissés entre les constructions durables. La responsabilité de l’utilisateur sera primordiale dans la ville intelligente.

MF : Je parlerais d’ailleurs de Smart Cities au pluriel car il serait selon moi plus intelligent de multiplier les centres plutôt que de drainer toutes les facilités vers Luxembourg-Ville.

La sensibilisation de l’utilisateur constitue un autre défi. La construction durable n’est rien sans usager averti, éclairé, qui désire en obtenir les avantages

PH : Au Grand-Duché, les villages doivent conserver leur caractère rural (bien qu’ils puissent être densifiés de manière intelligente à certains points stratégiques), mais nous devrions effectivement aménager deux ou trois véritables villes. Luxembourg, Esch-sur-Alzette et la Nordstadt doivent devenir des villes denses à des endroits stratégiques et choisis tout en assurant une parfaite qualité de vie.

Par A. Jacob
Photo: © Marie De Decker