Goodyear met la gomme pour verdir le transport routier
L’ambition européenne de faire du Vieux Continent le premier à devenir climatiquement neutre d’ici 2050 fait peser une pression toujours plus forte sur les acteurs et l’industrie du transport à mesure qu’approche l’échéance. Et pour cause: le potentiel d’économies est énorme dans ce secteur responsable de deux tiers des émissions de CO2 au Luxembourg. Pour favoriser la transition vers un avenir plus respectueux de l’environnement, certains de ses acteurs déploient des stratégies de durabilité depuis plusieurs années. C’est le cas de Goodyear. Le fabricant de pneumatiques vient d’annoncer la création d’un pneu de démonstration contenant 70% de matériaux renouvelables; l’occasion de revenir sur les activités durables que le groupe développe dans son centre d’innovation de Colmar-Berg. Interview avec Xavier Fraipont, vice-président du développement de produits pour Goodyear en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.
Votre site de Colmar-Berg est un des deux centres d’innovation du groupe Goodyear. Qu’y développez-vous pour atteindre vos objectifs environnementaux ?
Le Goodyear Innovation Center Luxembourg est établi à Colmar-Berg depuis 1950. Plus de 1.000 ingénieurs, techniciens, docteurs, business strategist et tech scouts de 47 nationalités différentes travaillent sur tous types de développements, aussi bien pour des pneus voitures, camions, motos que racing. Mais nous y concevons aussi les technologies présentes dans tous ces produits et d’autres qui vont au-delà des pneumatiques et que nous qualifions de «beyond tires technologies». Il s’agit en réalité de services qui s’inscrivent dans la nouvelle mobilité. En effet, au-delà de la fabrication de pneumatiques, l’ambition du groupe est aussi de devenir un véritable facilitateur de mobilité.
Globalement, nous approchons la durabilité d’un point de vue très large et nous nous questionnons à ce sujet dans chacun de nos développements. Certes, nous nous tournons de plus en plus vers des matériaux qui sont recyclables ou durables, par exemple en remplaçant des résines issues de la pétrochimie par d’autres biosourcées extraites de pins (matière pour laquelle nous avons reçu le prix de l’Environnement dans la catégorie «procédés» décerné par la FEDIL), mais en réalité nous envisageons tout le cycle de vie de nos produits. Nous agissons donc aussi bien sur le sourçage des matériaux que sur l’énergie que nous utilisons pour les transformer (100% de l’énergie que nous consommons à Colmar-Berg est renouvelable depuis mai 2021), le processus de développement de nos pneus, leurs performances à l’utilisation et leur recyclage. Par exemple, nous pouvons simuler les caractéristiques des pneumatiques que nous développons. Cela nous permet d’en mesurer les performances sans avoir à en fabriquer un seul; une démarche virtuelle qui permet d’économiser de l’énergie et des ressources. Nous concevons également nos pneus pour qu’ils permettent une moindre consommation d’énergie à l’utilisation. Pour cela, nous améliorons sans cesse leur résistance au roulement, leur poids ou leur kilométrage. Ces ajustements permettent de réaliser des économies d’énergie, de réduire les émissions de CO2 mais aussi les déchets puisque ce sont autant de pneus qui auront une durée de vie plus longue.
Nous envisageons tout le cycle de vie de nos produits
Un autre élément dont on ne saurait sous-estimer l’importance dans la démarche de durabilité, c’est tout ce que nous entreprenons au niveau de nos services dits «beyond tires technologies». Par exemple, nous proposons aux managers de flottes commerciales de recourir à des pneumatiques munis de capteurs. Ceux-ci renvoient un certain nombre d’informations qui sont traitées dans un Cloud et permettent une maintenance préventive de la flotte. Nous offrons également un service «Fuel Economy» pour conseiller les managers de flottes sur la pression idéale à exercer sur le camion et sa remorque ou encore sur la conduite du chauffeur dans le but de réaliser des économies de carburant.
Tous ces éléments, sur lesquels nous agissons de près ou de loin à l’Innovation Center de Colmar-Berg, ont donc un effet direct ou indirect sur l’environnement.
Goodyear vient de développer un pneumatique contenant 70% de matériaux renouvelables. Comment êtes-vous parvenus à ce résultat?
Un pneu est un produit complexe, constitué d’éléments en métaux, en tissus et de plusieurs types de gommes qui ont chacune des propriétés différentes, selon qu’elles se trouvent sur le flanc du pneu, sur la bande de roulement ou au contact des jantes. Ces gommes sont faites de caoutchoucs naturels et synthétiques mélangés à des huiles, du noir de carbone et de la silice. Les composites étant assez complexes, nous n’avons pas pu nous contenter de remplacer un élément par son pendant écologique pour atteindre un taux de 70% de matériaux renouvelables. Nous avons travaillé sur treize ingrédients spécifiques présents dans neufs composants. Par exemple, le noir de carbone traditionnellement fabriqué par combustion de divers types de produits pétroliers a été remplacé par trois noirs de carbone différents produits à partir de méthane, de dioxyde de carbone et d’huile végétale. Nous avons également substitué des huiles naturelles – dans ce cas-ci de l’huile de soja – aux huiles dérivées du pétrole. Pour remplacer la silice – un élément de renforcement qui améliore notamment l’adhérence du pneumatique ou sa résistance au roulement – nous avons recouru à un matériau élaboré à partir de cendres de cosses de riz. Lors de la production du riz, une fois le grain extrait, il reste les cosses qui sont alors brûlées pour produire de l’énergie. De cette combustion résultent des cendres avec lesquelles nous pouvons faire de la silice. C’est une façon d’exploiter tous les sous-produits d’une matière naturelle. Nous avons également utilisé du polyester issu de bouteilles en plastiques recyclées dans le pli, un élément de renforcement en tissu. Enfin, nous avons introduit du caoutchouc naturel et d’autres polymères biodégradables dans certaines gommes. Tous ces développements ont valu à ce pneumatique le prix «BEST CES Sustainable Product 2022».
Il s’agit en réalité d’un premier pas vers le développement d’un pneumatique composé à 100% de matériaux durables, objectif que vous vous êtes fixé pour 2030. Quels sont les freins qui demeurent?
Pour obtenir ce pneu contenant 70% de matériaux renouvelables, nous avons pu remplacer certains matériaux par des substituts durables aux propriétés similaires. Malheureusement, tous les composants n’ont pas de pendant biosourcé. Pour obtenir les mêmes caractéristiques physiques et chimiques que «l’ingrédient» initial, il faut parfois «ajuster la recette». Nous devons également veiller à ce que le produit délivre les mêmes performances qu’un pneu composé de matériaux traditionnels, sans quoi il serait plus énergivore et son empreinte écologique n’en serait finalement pas améliorée.
Les mêmes performances qu’un pneu composé de matériaux traditionnels
L’approvisionnement représente un frein lui aussi. Nous ne pouvons relever le défi que nous nous sommes fixé sans le concours de nos fournisseurs. Or, les matériaux dont nous avons besoin sont finalement des matériaux de recherche qui ne sont pas disponibles en grandes quantités et qui nécessitent que les fournisseurs mettent en place de nouvelles chaînes d’approvisionnement et adaptent leurs lignes de production. Tout ceci prend du temps et exige des investissements spécifiques, voire des aides publiques. Des programmes comme «Horizon Europe», proposé par la Commission européenne, pourraient typiquement supporter les coûts de recherche et de mise en œuvre de cette transition de manière à ce nous ayons une chaîne d’approvisionnement pertinemment dimensionnée pour produire les centaines de millions de pneus qui sont vendus en Europe chaque année.
En attendant de trouver ces pneus écologiques sur le marché, quels sont les produits les plus durables actuellement disponibles?
Le «Fuelmax endurance» est un pneu pour camions qui a une meilleure tenue de route et une résistance au roulement significativement améliorée. Par rapport à son prédécesseur, il permet de réduire de 2% les émissions de CO2 d’un camion. Pour les voitures, citons l’«Asymmetric 6», un nouveau pneumatique haute performance dont la résistance au roulement est accrue également et l’«EfficientGrip Performance 2» qui affiche 20% de potentiel kilométrique de plus que le concurrent le mieux testé. Ces pneumatiques ont été développés ici, à Colmar-Berg, et sont fabriqués dans nos différentes usines européennes.
Par A. Jacob