APRÈS LA PANDÉMIE, DE NOUVELLES VOIES POUR LA MOBILITÉ

La multiplication des moyens de transport modernes (trains, avions, trams, métros, bateaux, etc.) et la densification de leurs réseaux ont incontestablement participé à la rapidité de la diffusion du virus responsable du Covid-19. Dès lors, la crise sanitaire pourrait accélérer une mutation vers de nouvelles formes de mobilité.

Dès l’ampleur de la pandémie constatée, nombre de pays ont instauré des contrôles de température des passagers débarquant dans les aéroports. « La mobilité a été le « super propagateur » du virus. L’avion, le bateau, le train comme les gares, les aéroports. Le « trop » de mobilité du virus est à la mesure de la vascularité des réseaux qui ont fait la puissance du transport » constate ainsi le sociologue Bruno Marzloff.

Le confinement a ainsi entraîné une baisse du trafic sans précédent. En France, cela s’est traduit par exemple par une accidentologie routière en nette baisse, avec, fin mars, 3 129 tués sur les routes sur les douze derniers mois en métropole. Soit le total le plus faible depuis 1945.

Le trafic aérien en chute libre

Quant au trafic aérien, il a quasiment cessé. L’aéroport de Paris-Orly, qui accueille d’ordinaire 200 vols par jour, est à l’arrêt depuis le 31 mars et devrait le rester jusqu’en septembre. Quant à Roissy- Charles-de-Gaulle, premier aéroport de France (plus de 70 millions de passagers annuels), on y recensait avant la fin du confinement moins de 30 vols quotidiens contre 500 habituellement. Sur le plan mondial, les chiffres sont tout aussi impressionnants. Selon l’Association du transport aérien international, entre mars 2019 et mars 2020, le trafic a chuté de 52,9%. Et le bilan pour avril est plus spectaculaire encore. Le Grand-Duché n’a pas échappé au phénomène : dès le 23 mars le ministre de la Mobilité François Bausch a souhaité que le trafic des passagers soit arrêté, pour n’ouvrir les pistes qu’aux gros porteurs. Le fret médical a par contre connu un décollage en flèche !

Les mesures drastiques contre la pandémie ont donc provoqué une double mais logique conséquence : un coup de frein sans précédent sur l’activité économique et les transports. Au terme de quelque deux mois de confinement, seul l’environnement sort vainqueur avec une pollution de l’air bien moindre. Reste heureusement que, pour l’heure, les indicateurs sanitaires ont permis d’envisager une sortie du confinement (moins de contaminations, moins d’hospitalisations).

Mais si l’activité reprend depuis la mimai dans la plupart des pays européens, il ne s’agit pas d’un retour au « monde d’avant ». Quand il est possible, le télétravail continue d’être encouragé. Et pour ce qui est transports, des évolutions sont tangibles et augurent peut-être de vraies mutations.

Nous voulons que la bicyclette soit la petite reine du déconfinement

Le vélo plébiscité

A Paris, ainsi, les usagers des transports en commun (bus ou métros) doivent posséder une attestation de leur employeur pour voyager durant les heures de pointe. Et le port du masque est devenu obligatoire, comme au Luxembourg. A défaut, le covoiturage est encouragé, le passager devant s’asseoir à l’arrière.

Mais c’est surtout l’usage du vélo qui est prôné. La ministre française de la Transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, l’a ainsi résumé : « Nous voulons que cette période fasse franchir une étape dans la culture vélo, et que la bicyclette soit la petite reine du déconfinement ». De son côté, la maire de Paris a annoncé que 50 kilomètres de pistes, qui devraient longer les lignes de métro très fréquentées, seraient installés dans les plus brefs délais. Quant à l’État, il a fait savoir que le forfait « mobilités durables » devant entrer en vigueur en juillet serait effectif dès le mois de mai. Il permet aux employeurs de rembourser à leurs salariés un montant maximal de 400 euros par an, exonéré de charges sociales et fiscales, afin d’encourager les déplacements domicile-travail à vélo ou par covoiturage.

Cette accélération des incitations aux formes de mobilité douce est constatée également à Bruxelles : depuis le 11 mai, tout le centre-ville y est considéré comme une « zone calme ». Piétons et cyclistes peuvent se déplacer librement à l’intérieur de la petite ceinture tandis que les véhicules à moteur doivent rouler à du 20 km/h maximum. L’expérimentation pourrait être pérennisée. Et à Berlin, dix kilomètres de nouvelles pistes cyclables ont été aménagés, et douze autres doivent suivre. On les surnomme déjà les « pistes corona ». Là encore, une étape franchie avant un objectif plus ambitieux. A l’horizon 2030, le centre-ville devra être complètement neutre en carbone et les voitures roulant à l’essence ou au diesel ne seront plus admises sur le périphérique.

La fin du transport de masse ?

Cependant, il ne s’agit là que d’un pan des mutations à venir, ou à tout le moins que certains espèrent. Pour ce qui est des transports en commun où l’adoption des gestes barrières est tout sauf simple, l’entrepreneur Charles Cabillic préconise ainsi de nouveaux usages en termes d’aviation : « On peut déjà louer à la demande des avions transportant 4 passagers volant à 400 km/h pour 500 euros l’heure de vol. Ces prix restent élevés. Reste donc à permettre aux collectivités locales de subventionner ces vols à la demande plutôt que de mettre des millions d’euros dans des lignes régulières structurellement déficitaires… » Et de remarquer encore : « La crise du Covid-19 a sans doute sonné le glas du transport de masse, déjà fortement critiqué pour son impact environnemental ».

Mais qu’en est-il des échanges de marchandises ? « Relocaliser nos industries était un sujet politique jusqu’alors, le coronavirus en a fait une obligation ! » plaide encore Charles Cabillic qui reprend en l’espèce un discours cher aux tenants d’une refonte globale du modèle actuel. Quand ils ne prêchent pas la décroissance…

En attendant, les compagnies aériennes comme les constructeurs (Airbus, Boing) plongent dans le rouge. Le géographe Raymond Woessner n’imagine pas de retour à la normale, pour des raisons sanitaires comme environnementales. Selon lui, la crise du Covid sera l’équivalent de ce que fut le 11 septembre sur le plan de la sécurité : « Au minimum, un confinement radical et brutal du ciel mondial devra toujours être envisageable en cas de crise. Au mieux, cela pourrait passer par la fin du statut particulier de l’aviation commerciale dans le droit international ». C’est-à-dire une quasi absence de régulation en termes de libre circulation et l’exclusion des « soutes internationales » dans les calculs des émissions de gaz à effet de serre. Alors, le ferroviaire et le maritime pourraient en profiter. Mais il est trop tôt pour être formel.

Par E. Di Vincenzo