HABITER EN 2020 : FAUT-IL RÉVOLUTIONNER NOS CONCEPTIONS ?
Le logement serait en crise. Pourtant les nouvelles habitations, de tous types, poussent comme des champignons. Les citoyens s’inventent urbanistes. Nombreux sont ceux qui rêvent d’abandonner leur voiture mais pas de chance : ils habitent une cité dortoir. Bref, les besoins changent en termes de logements et d’aménagement du territoire. Jos Dell, président de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI) et administrateur délégué de M3 Architectes, nous livre ses réflexions sur ces évolutions.
La crise du logement investit beaucoup le débat public actuellement. Où faut-il, selon vous, trouver la solution à la crise et que peuvent faire les architectes, les ingénieurs et les urbanistes pour contribuer à sa résolution ?
Cette crise se traduit, d’une part, par la pénurie de logements et, d’autre part, par le coût de l’accès à la propriété. Plusieurs leviers sont donc à activer et il serait naïf de penser qu’il y aura une solution à court terme. Il ne s’agit pas de résoudre un problème ponctuel, mais plutôt de mettre en place des processus de longue durée pour répondre aux différents défis rencontrés. La crise du logement est intimement liée à notre modèle social et à la croissance économique. Si nous voulons poursuivre une croissance de l’ordre de 3% avec une alliance de frontaliers et de résidents, nous devons créer davantage de logements.
Il existe différents modèles à considérer en dehors de la sacro-sainte propriété
Pour mettre en oeuvre ce processus de résolution, nous disposons de certains outils comme les PAG, PAP et plans sectoriels qui devraient prochainement voir le jour. Les urbanistes ont bien entendu une responsabilité importante dans la gestion de ces outils. Quant aux architectes, ils ont un rôle à jouer auprès des communes qui, avec le pacte logement 2.0 bientôt d’application, sont fortement incitées à construire des logements abordables. En plus du développement de projets, il revient aux membres de l’OAI de communiquer sur nos façons d’habiter aujourd’hui mais aussi sur le vivre ensemble. Devons-nous forcément acheter une maison quatre façades plutôt que de louer à un prix raisonnable et ainsi économiser pour réaliser d’autres projets ? Il existe différents modèles à considérer à côté de la sacro-sainte propriété.
Justement, certains expérimentent aujourd’hui des formes de logements alternatives. Quelles sont celles qui ont le plus d’avenir selon vous ?
Je vois deux formes d’alternatives : la première au point de vue du financement et l’autre au niveau de la typologie de logement. Il s’agit en effet d’explorer différentes solutions. L’achat auprès d’un promoteur n’est qu’une option. Il est aussi possible, à la manière des «Baugruppen » (communautés de construction), de réunir un petit groupe de personnes avec lesquelles financer, concevoir et construire son habitation. Au niveau de la typologie, il y a lieu de réfléchir sur le logement évolutif, par la flexibilité de son cloisonnement par exemple. Même si cela peut en compliquer la gestion, pourquoi ne pas concevoir des logements accolés composés de cellules interchangeables mises à disposition des uns ou des autres selon leurs besoins ?
De nombreux quartiers doivent sortir de terre dans les prochaines années. Leur phase de conception intègre souvent un processus participatif. La prise en compte des souhaits des citoyens constitue-t-elle un défi supplémentaire ?
Cela peut-être un défi selon les intentions des participants. Ceux-ci sont aussi bien les futurs habitants du quartier que ceux des quartiers voisins qui pourraient intervenir dans un but protectionniste. Il est important qu’ils prennent part au processus à condition de les sortir de leur réserve pour favoriser le vivre ensemble. Pour ce faire, il faut se donner la peine de communiquer correctement. Les architectes et urbanistes, qui n’ont pas l’habitude de travailler leurs projets en tenant compte des considérations d’un nombre important de personnes, devront probablement se former en interne pour s’adapter à ces démarches de consultations citoyennes. Il s’agira pour eux de guider les citoyens afin qu’ils puissent, étape par étape, prendre la cité en main. Ces processus participatifs dépassent le cadre de nos missions mais le défi est intéressant et nous sommes prêts à l’affronter.
Ces nouveaux projets sont souvent conçus comme des ensembles conciliant différentes fonctions de la vie urbaine. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette mixité ?
Il y a encore de nombreux PAG et PAP qui séparent logements et services. La mixité des fonctions a cependant de nombreux avantages ; en termes de mobilité en premier lieu. Je trouve qu’il est important de ne pas créer de cités dortoirs mais plutôt de revenir à de vrais quartiers. Une ville doit certes contenir une cellule centrale mais aussi des cellules périphériques qui puissent fonctionner de façon autonome. J’estime qu’il faut trouver dans ces quartiers ces différentes fonctions : travailler, habiter, consommer, se récréer. Nos villages sont morts pendant la journée. Pourquoi ne pas leur redonner vie ? La mixité des fonctions est essentielle à cet égard.
En tant qu’architecte, comment envisagez-vous le développement architectural et urbain du Luxembourg au cours des prochaines années ?
Le Luxembourg est parfaitement capable de produire une architecture de qualité et l’a déjà démontré. Je pense cependant que des efforts restent à faire au niveau de la cohérence architecturale dans l’urbanisme. S’il est vrai que la pression à construire davantage et plus vite est forte, il ne faut pas pour autant privilégier la quantité au détriment de la qualité, les deux doivent aller de pair.
Aujourd’hui, le mot «densifier» est utilisé à tout bout de champ. Pour moi, il faut démystifier ce terme. Bien que notre société ne puisse plus se permettre de ne construire que des maisons isolées, l’idée n’est certainement pas de bâtir des tours d’habitation partout. La densification qui s’impose devrait se traduire par des maisons en bande et plus hautes. J’aimerais cependant qu’on veille à ne pas dénaturer les tissus urbains qui ont leur histoire ; je pense qu’il faut plutôt développer de nouveaux quartiers où nous puissions oser une densification plus marquée. Il ne faut pas avoir peur du changement. Il faut que les villes deviennent des villes et que les villages restent des villages.
En ce qui concerne les énergies positives ou les objets de la ville intelligente, il y a pas mal de recherche et de développement au Grand-Duché. L’OAI encourage d’ailleurs les instances publiques à faire du Luxembourg un véritable laboratoire capable d’agir sur la maison et la cité de demain. Il n’est pas nécessaire de débaucher des experts à l’étranger : devenons nous-mêmes experts !
Par A. Jacob.
Photo: © Sébastien Goossens