«Le climat ne pardonne pas»

Crise énergétique, mise à jour du PNEC, COP27… six mois après sa prise de fonction, Joëlle Welfring est confrontée à des défis de taille qu’elle aborde toutefois avec enthousiasme. La  nouvelle titulaire du portefeuille de l’Environnement, du Climat et du Développement durable revient sur les objectifs ambitieux de son ministère, évoque quelques-uns des dossiers qui l’occupent et dévoile l’idée qu’elle se fait d’un avenir vivable et désirable. Interview.

Un peu plus de six mois se sont écoulés depuis votre prise de fonction. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

Enthousiaste! C’est une chance et un honneur de pouvoir contribuer à l’atteinte de nos objectifs ambitieux dans le domaine de l’environnement et c’est un vrai plaisir d’échanger avec autant d’acteurs du secteur.

Le deuxième état des lieux annuel «Climat et énergie» et le premier rapport de l’Observatoire scientifique de la politique climatique ont été présentés dans le cadre du salon «KlimaExpo». Quels sont les enseignements à en tirer?

Le bilan annuel de nos émissions de gaz à effet de serre nous permet d’avoir une vue très claire de l’évolution des résultats de notre politique climatique. Les chiffres de l’année 2021 sont légèrement en-dessous de notre budget d’émission, ce qui prouve que nous avons clairement atteint notre objectif. C’est une superbe nouvelle, mais nous n’avons qu’une faible marge de manœuvre pour atteindre les -55% en 2030 et zéro émission nette en 2050 au plus tard. Nous devons donc continuer à fournir des efforts dans tous les domaines à grands pas. C’est pourquoi nous avons déterminé des objectifs sectoriels. En 2021, nous avons atteint ceux que nous avions fixés concernant les émissions provenant des secteurs agricole, des transports, du traitement des eaux usées et des déchets. Par contre, dans le secteur de l’industrie, de la production énergétique et de la construction ainsi que dans celui des bâtiments, nous sommes au-dessus des budgets alloués. C’est la raison pour laquelle nous élaborons un Pacte climatique «entreprises», inspiré de celui proposé aux communes, qui sera bientôt finalisé. Nous coopérons étroitement avec la Klima-Agence et Luxinnovation ainsi qu’avec les ministères de l’Économie et de l’Énergie pour déterminer comment accélérer la décarbonation dans ces secteurs. Pour réussir, nous devons rester en contact étroit avec les entreprises et prévoir des aides spécifiques et des régimes encourageant les bons gestes. De plus, nous finalisons une stratégie de décarbonation pour l’industrie en collaboration avec les ministères de l’Énergie et de l’Économie. J’ai bon espoir que nous puissions déployer ces mécanismes au début de l’année prochaine.

Comment se déroule le processus de mise à jour du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) et quels sont les principaux ajustements à prévoir?

Conformément aux règles européennes, ce plan doit être mis à jour en 2023 sur base de nos résultats actuels. Cependant, de nouvelles obligations s’imposent à nous suite au paquet «ajustement à l’objectif 55» ainsi qu’en raison de la guerre en Ukraine, notamment dans le cadre du plan REPowerEU. Le ministère de l’Énergie devra certainement revoir nos objectifs en termes d’économies d’énergie et de déploiement des énergies renouvelables et ceux-ci devront se refléter dans le PNEC. Sachant que la loi sur le climat de décembre 2020 fixait déjà des objectifs très ambitieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, notre objectif de réduction de 55% en 2030 (par rapport à 2005) ne sera pas réhaussé, mais les moyens que nous devons déployer doivent être ajustés. Toutefois, il est pour l’instant encore un peu tôt pour me prononcer en détail sur ces mesures. Nous sommes à ce jour occupés à dresser le bilan et, en parallèle, nous collaborons avec le Statec sur une simulation des réductions auxquelles nous pourrions nous attendre avec l’apport de mesures supplémentaires. Ce n’est que sur cette base que nous pourrons déterminer ce qui doit être ajusté ou renforcé. Personnellement, je suis convaincue que le volet transition juste doit être approfondi. Les discussions qui ont eu lieu dans le cadre de la tripartite ont démontré qu’il était extrêmement important de respecter la réalité des citoyens qui ont des revenus plus modestes et de leur montrer qu’ils ne sont pas laissés pour compte dans cette transition.

Comment envisagez-vous votre collaboration avec les communes, notamment via les Pactes Climat et Nature?

Le gouvernement est censé poser un cadre qui soit juste et incitant. Quant aux administrations communales, elles constituent un relais extrêmement précieux dans la mise en œuvre de celui-ci. C’est pourquoi ces deux pactes sont des outils formidables. Le premier s’est très bien développé au cours des dernières années. Pour la période 2020-2022, nous comptons plus de 24 millions d’euros de dépenses cumulées pour soutenir les communes dans leurs efforts. Cela prouve à quel point l’État et les communes sont engagés dans son déploiement. Pour promouvoir la nouvelle mouture du Pacte, renforcé en matière de gouvernance, notamment, par l’introduction d’échevins climat et le renforcement des équipes climat, le ministre de l’Énergie et moi-même avons organisé un roadshow au printemps. Nous avons rencontré bon nombre de ces échevins et avons voulu leur démontrer qu’ils pouvaient bénéficier des expériences des uns et des autres et s’inspirer mutuellement en instaurant un dialogue entre eux. Cette tournée a vraiment permis de mobiliser les communes.

Nous élaborons un Pacte climatique «entreprises», inspiré de celui proposé aux communes.

Le Pacte Nature, bien que plus récent, fonctionne également très bien. Pas moins de 83 communes se sont en effet déjà engagées. Il permet d’accélérer la mise en place de solutions d’adaptation au changement climatique basées sur la nature, ce que je trouve d’autant plus intéressant après l’été que nous avons vécu. Ces «nature based solutions», comme la renaturation de cours d’eau ou le verdissement des villes, ne sont pas forcément très onéreuses et peuvent paraître simplistes, mais elles permettent de maintenir une température plus basse ou encore de réduire les risques d’inondation!

Un paquet de mesures a été adopté par la tripartite pour lutter contre l’inflation engendrée par la guerre en Ukraine et la crise de l’énergie. Greenpeace Luxembourg le juge insuffisant et a demandé au gouvernement de mettre à disposition au moins un milliard d’euros supplémentaire pour que les investissements consentis pour initier une transition énergétique et économique verte apparaissent comme rentables. Que voudriez-vous répondre à cela?

Certes, un budget plus important dédié à la transition verte serait une bonne chose compte tenu de l’urgence climatique. Mais l’accord prévoit déjà un ensemble de moyens mis à disposition des ménages et des entreprises qui se chiffre à 200 millions d’euros. En plus, le budget 2023 réserve 2,3 milliards d’euros pour la mise en œuvre du PNEC (une enveloppe qui englobe des budgets attribués aux ministères de l’Énergie, de la Mobilité, de l’Économie et de l’Environnement). Même si je comprends ces revendications, je considère que nous nous donnons les moyens d’assurer cette transition. D’ailleurs, les demandes auprès de la Klima-Agence pour des conseils ou pour engager des projets en matière d’assainissement énergétique ou d’énergies renouvelables sont en forte croissance. Cela prouve que les régimes mis en place au début de l’année et encore renforcés dans le cadre de la récente tripartite font leur effet.

La COP27 s’est achevée il y a quelques jours. Quelles étaient vos attentes concernant cette Conférence?

S’agissant d’une COP préparatoire à la COP28, les attentes sont sans doute différentes, mais je ne l’ai pas considérée moins importante pour autant: c’est un rendez-vous lors duquel il faut convaincre les pays qui ne sont pas encore assez mobilisés pour la réduction de leurs émissions de l’urgence et de l’importance de faire cet effort. Puisqu’il est toujours préférable de joindre les gestes à la parole, l’Union européenne est arrivée à la Conférence avec un signal fort en ayant notamment décidé de mettre fin à la mise sur le marché des voitures neuves à moteur thermique pour 2035.

Cette COP avait également pour ambition de traiter de l’adaptation au changement climatique et de son financement dans les pays en développement. Au niveau international, nous avons encore des efforts à faire. Les États industrialisés, qui ont une dette envers ceux de l’hémisphère sud, doivent prendre au sérieux leur engagement de réserver 100 milliards de dollars par an aux pays qui souffrent le plus des conséquences de la crise climatique. Nous n’investissons actuellement que 83 milliards de dollars dans ce processus. Cela n’envoie pas un signal de confiance aux pays en voie de développement qui nous reprochent de ne pas prendre au sérieux l’adaptation climatique. L’UE a pourtant fait sa part et, avec la Suède, le Luxembourg est un des pays qui a réservé les moyens les plus importants par habitant. Entre 2021 et 2025, nous avons affecté 220 millions d’euros à la cause. Cet argent est et continuera d’être investi dans des projets concrets, notamment sur des îles du Pacifique qui sont très vulnérables à la montée des niveaux des océans ou sujettes à des cyclones. La Conférence des Parties a été pour nous l’occasion de poursuivre les échanges bilatéraux avec d’autres pays et d’envisager la réalisation de nouveaux projets.

Les régimes qui ont été renforcés dans le cadre de la récente tripartite font leur effet.

Bien entendu, le Luxembourg a participé à la COP avec l’intention de se rendre utile dans les négociations. Malgré notre taille et en tant que membre de l’Union européenne, nous pouvons jouer un rôle dans les rapports tendus qui existent entre l’Amérique et la Chine, notamment. Je me suis rendue à la Conférence avec l’idée que nous devions faire tout ce qui était en notre pouvoir pour atteindre nos objectifs. Toute autre attitude serait irresponsable parce que le climat ne pardonne pas. Le changement climatique n’est pas un partenaire de négociation, mais une réalité scientifique.

Vous avez déclaré que le changement devait faire envie et qu’il fallait éviter de donner une image austère de l’avenir. Selon vous, à quoi ressemble cet avenir à la fois désirable et vivable?

Nous devons nous demander comment nous devrions organiser notre territoire pour qu’il soit énergétiquement le plus résilient possible, pour que nous ayons la possibilité de stocker du CO2 sur place, pour que les gens aient envie de prioriser la mobilité douce, ou pour qu’il y ait des services de proximité et plus de rencontres dans les voisinages. Nous pouvons très bien imaginer un avenir qui donne envie et je suis convaincue que c’est aux décideurs politiques d’offrir un cadre pour que cette vision puisse devenir réalité. «Luxembourg in Transition», lancé par le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, est un processus très inspirant à cet égard. Je cite souvent le cas de Copenhague, ville où presque tout le monde se déplace à vélo, pas seulement les activistes climatiques! C’est une habitude qui a été rendue possible parce que le cadre a été pensé pour que la bicyclette devienne le moyen de transport le plus agréable, rapide et pratique. C’est un exemple que nous pourrions suivre.

Par A. Jacob