Le futur de l’agriculture luxembourgeoise

Plus qu’un acteur de poids de l’économie grand-ducale, le secteur agricole incarne une part importante du patrimoine luxembourgeois. Pour autant, ses professionnels font face à de nombreux enjeux et défis au quotidien. Afin d’évoquer ces thématiques, nous avons rencontré le nouveau directeur de la Chambre d’Agriculture au Luxembourg : Paul Marceul.

Pouvez-vous nous présenter l’activité de la Chambre d’Agriculture, ses missions ?

La Chambre d’Agriculture est la représentation officielle des agriculteurs, viticulteurs et horticulteurs du Grand-Duché de Luxembourg. Elle défend les intérêts du monde agricole en général et de ses 1.800 ressortissants en particulier, le tout en veillant à répondre aussi aux défis sociétaux, environnementaux et climatiques.

Compte tenu de sa représentativité, la Chambre s’est vu garantir un rôle législatif de premier plan : elle peut proposer des projets de loi au gouvernement et est systématiquement consultée dans l’élaboration de celles-ci. Elle aide donc les agriculteurs à comprendre et à évoluer dans des contextes législatifs nationaux et européens en constante mutation, tout en effectuant et partageant une veille politique, technologique et réglementaire sur tous les sujets d’intérêt pour le secteur.

La Chambre initie ou participe aussi à des projets de recherche appliquée pour faire bénéficier ses ressortissants des dernières avancées scientifiques et technologiques afin d’optimiser les pratiques, en faveur d’une agriculture raisonnée. Pour cela, elle dispense notamment des conseils en matière de fertilisation et de protection des eaux et de la nature.

Le secteur agricole peut se targuer d’avoir une chambre professionnelle dynamique et redoutablement efficace

La Chambre d’Agriculture assure également la relève et la pérennité des savoir-faire, joue un rôle majeur et moteur dans l’organisation de la formation initiale et de l’apprentissage. Elle développe et certifie d’ailleurs l’offre de formation continue des agriculteurs.

La Chambre est aussi très active dans la structuration et la promotion des produits agricoles luxembourgeois. Elle propose ainsi une labellisation des produits du terroir luxembourgeois et pilote la campagne de marketing Sou Schmaacht Lëtzebuerg.

Vous venez d’être nommé directeur, avec quel état d’esprit abordez-vous ce mandat ?

Je déborde d’enthousiasme et d’énergie. Je suis poussé par l’envie de contribuer à la réalisation de très grandes choses pour le secteur agricole, notamment pour lui redonner la place et l’importance qu’il mérite dans notre société. J’y crois car le contexte est plus que favorable. J’ai la chance d’avoir à mes côtés 23 collaboratrices et collaborateurs passionnés, entièrement dévoués à la cause du secteur. La somme de leurs compétences m’émerveille et le secteur agricole peut se targuer d’avoir une chambre professionnelle dynamique et redoutablement efficace. Je peux aussi compter sur le soutien du président, du comité et des membres de l’assemblée plénière de la Chambre d’Agriculture. Tout au long du processus, nous nous sommes assurés de l’alignement de nos vues. On sent une grande ouverture d’esprit, une envie d’aller de l’avant. C’est très stimulant. Enfin, nous constatons que le gouvernement renoue avec le secteur agricole. Dans l’accord de coalition, il figure un grand nombre de mesures intéressantes. Je souhaite nous positionner comme un partenaire dans la réalisation des objectifs ambitieux de ce programme.

En quoi le Luxembourg est-il un territoire spécifique en ce qui concerne l’agriculture ?

51% du territoire du Grand-Duché est consacré à l’agriculture. Ce secteur agricole emploie directement 4.600 personnes, principalement au sein d’exploitations familiales. L’élevage bovin est prédominant – on compte 190.000 têtes dans le cheptel – tout d’abord pour le lait et dans une moindre mesure pour la viande. Sur les terres arables, on cultive essentiellement du blé, de l’orge, du triticale et de l’avoine. Le vignoble luxembourgeois est quant à lui situé sur les rives de la Moselle et représente 1.268 ha. On trouve aussi des vergers, des exploitations horticoles, des pépinières et une filière de la pomme de terre présente sur 630 ha.

Comment se porte l’agriculture au Luxembourg ?

Le secteur agricole subit un ensemble de pressions, dans un contexte déjà difficile pour tout le monde. Les agriculteurs endurent, eux aussi, l’augmentation générale et galopante des coûts. Ils ne sont pas maîtres de leurs prix, souvent liés à des cours internationaux, et sont mis en concurrence avec des pays producteurs soumis à des normes et coûts de production moindres.

Ils font aussi face à une multiplication des normes. À titre d’illustration, l’office statistique allemand a calculé qu’un agriculteur passait 25% de son temps derrière son bureau à effectuer des tâches administratives. Beaucoup de ces normes ont été instaurées sans consulter les principaux concernés. Certaines réglementations empêchent encore les agriculteurs de développer sereinement leurs activités ; des normes environnementales ont été créées sans pour autant atteindre leurs objectifs pourtant louables.

Il y a aussi des défis concernant la transmission des exploitations ou l’installation des jeunes agriculteurs qui sont confrontés à des difficultés pour financer leur projet. Tout cela ne facilite pas la relève alors que des carrières plus lucratives et moins contraignantes leur tendent aussi les bras.

Les règles européennes, les conditions d’octroi des subventions nécessaires à la survie du secteur évoluent tous les cinq ans. Cela crée une imprévisibilité très inquiétante : les agriculteurs remboursent leurs investissements sur plusieurs décennies parfois et ne sont pas à l’abri d’un retournement de situation ou d’un changement de cap législatif durant cette période – avec toutes les menaces que cela implique pour leur existence. D’ailleurs certains choix qui leur avaient été imposés il y a plusieurs décennies sont décriés aujourd’hui et ce sont les agriculteurs qui sont pointés du doigt. C’est profondément injuste car être agriculteur, ici comme ailleurs, tient plus du sacerdoce. C’est grâce à leur travail et à leur abnégation que nous pouvons nous nourrir.

Le contexte politique vous semble-t-il favorable ?

Oui, on sent actuellement une atmosphère de renouveau. Une table ronde a eu lieu le 4 mars dernier. Elle a été initiée par Martine Hansen, ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Viticulture, avec le concours de Serge Wilmes, ministre de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité. Une délégation emmenée par la Chambre d’Agriculture a pu remonter une série de problématiques pour lesquelles des solutions pragmatiques ont été trouvées dans la foulée. Des engagements en termes de simplification administrative ont également été pris. C’est très encourageant pour la suite.

Quelles solutions et actions mettez-vous en œuvre pour les soutenir ?

La Chambre d’Agriculture agit tous azimuts dans l’intérêt de ses ressortissants. Nous étudions et analysons tous les projets de loi qui touchent de près ou de loin le secteur. Nous sommes en dialogue permanent avec nos ressortissants, au sein de groupes de travail ou sur le terrain. Nos conseillers politiques rassemblent et structurent les doléances pour les faire remonter aux autorités. Nous sommes membres d’un grand nombre de commissions et de groupes de travail dans lesquels nous recherchons et poussons des solutions concrètes. Nous n’hésitons jamais à monter au créneau pour défendre les intérêts de nos ressortissants.

Nous nous saisissons des sujets du moment, proposons des modules de conseil pour accompagner les agriculteurs et leur fournissons tout type d’informations pertinentes via nos bulletins d’information. Nous faisons aussi évoluer l’offre de formation pour répondre aux besoins actuels et émergents. Nous participons également à des projets de recherche afin de faire progresser les connaissances et d’en faire bénéficier l’agriculture luxembourgeoise.

Nous assurons aussi la promotion des produits agricoles luxembourgeois, notamment via le label Produits du Terroir qui valorise trois filières : la viande bovine – qui fêtera ses 30 ans d’existence cette année, les céréales et la pomme de terre. Nous avons d’ailleurs engagé une démarche de certification pour renforcer nos labels et dégager de nouveaux moyens publicitaires. Notre campagne marketing « Sou Schmaacht Lëtzebuerg » met en avant les producteurs locaux et les fait connaître auprès des consommateurs mais aussi de 192 cantines et restaurants (actuellement).

Et demain, quels défis attendent le secteur agricole ?

Nous nous attendons à une amplification des problématiques actuelles. Il s’agira donc de créer des conditions favorables à l’exercice de la profession, tout en changeant de paradigme, c’est-à-dire en s’orientant vers une culture de la résolution des problèmes. Cela passera également par une simplification administrative, la création d’un guichet unique. Il faut aussi penser aux prochaines générations d’agriculteurs, aux jeunes qui se sont installés ou qui sont en train de le faire. Il y a un travail à réaliser sur le plan de l’attrait des métiers agricoles et de la levée des barrières. Il s’agit de métiers verts, d’avenir et essentiels. L’adaptation au changement climatique est un gros sujet aussi avec la réflexion sur l’évolution des cultures et ce que cela implique. Les agriculteurs jouent déjà un rôle dans la préservation de la biodiversité ou encore le stockage du carbone, mais ils devraient être à l’avenir mieux rétribués pour les services écologiques qu’ils rendent. Il y aura aussi éventuellement des conflits d’usage de la ressource hydrique à anticiper. La diversification des revenus des exploitations agricoles tout comme la souveraineté alimentaire sont des enjeux pour mieux résister aux chocs, pouvoir faire preuve de résilience dans des environnements de polycrises.

Les consommateurs ont aussi des attentes parfois fortes et tranchées en matière de transparence, de traçabilité, de produits issus de l’agriculture biologique, de bien-être animal. Il faudra continuer à accompagner nos agriculteurs sur ces sujets, créer de nouveaux services et outils.

Sur tous ces sujets, la Chambre se prépare et fera évoluer son offre. Elle devra elle-même certainement évoluer en taille, se regrouper avec d’autres acteurs et établir de nouvelles synergies pour servir au mieux les intérêts
du secteur, mais aussi ceux de la société luxembourgeoise et de l’environnement.

Portrait d’un directeur engagé

Paul Marceul est né en 1983 à Chartres, en Beauce, au cœur du grenier à blé de la France. Après des études d’allemand à l’Université de Strasbourg et un master en affaires européennes obtenu à l’Université Paris-Sorbonne, il s’est dirigé vers le Luxembourg qu’il n’a plus quitté depuis. Après une brève expérience dans le secteur financier, Paul Marceul a poursuivi sa carrière au Cluster maritime luxembourgeois en tant que chargé de communication pendant trois ans avant d’en prendre la tête pendant six ans. En parallèle, il a assuré le mandat de secrétaire général de l’European Network of Maritime Clusters. Il a organisé beaucoup d’événements au Luxembourg pour sensibiliser à la protection des océans et aux sujets humanitaires en donnant la parole à des experts locaux et internationaux. Persuadé d’ailleurs du rôle que jouent les événements pour faire avancer les causes, il a ensuite rejoint Luxembourg for Tourism pour piloter le cluster des événements professionnels puis le parc des expositions Luxexpo The Box en tant que Chief Marketing Officer. Depuis la mi-février, il occupe le poste de directeur de la Chambre d’Agriculture où il entend participer au développement et au rayonnement du secteur agricole luxembourgeois.

Chambre d’Agriculture
261, route d’Arlon
L-8011 Strassen
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