Les défis de l’industrie des semi-conducteurs

Les semi-conducteurs sont désormais devenus un élément clé dans la fabrication de produits destinés à l’électronique civile et militaire. Face à cette problématique, les grandes puissances mondiales, à commencer par les États-Unis, tentent de garder une longueur d’avance sur la concurrence afin d’asseoir leur domination dans le secteur des hautes technologies, notamment vis-à-vis de leur rival chinois. Mais, dans cette lutte sans merci, l’Europe ne compte pas se faire distancer et entend préserver sa souveraineté numérique dans le domaine des puces électroniques, quitte à engager une guerre commerciale avec le reste du monde et à faire fi de sa politique climatique. Décryptage.

À l’heure actuelle, les semi-conducteurs sont devenus indispensables à notre vie quotidienne, étant utilisés pour la fabrication d’une large variété de produits allant des smartphones aux ordinateurs en passant par les voitures électriques, les appareils électroménagers ou encore le matériel militaire. À cela s’ajoute désormais le boom de l’intelligence artificielle dont les performances nécessitent également des processeurs et des puces mémoire disposant d’importante puissance de calcul.

Une pénurie structurelle

Compte tenu des besoins planétaires croissants pour ces composants électroniques, les principaux fournisseurs peinent à faire face à la demande mondiale depuis quelques années. Il faut dire que ce marché, estimé à plus de 600 milliards de dollars par le WSTS (World Semiconductor Trade Statistics), est concentrée principalement dans les mains de quelques multinationales. Dans le domaine de leur conception, il s’agit le plus souvent d’entreprises américaines, comme Broadcom, Qualcomm, Nvidia, Advanced Micro Devices (AMD) ou encore Intel et Applied Materials. En revanche, leur production est principalement assurée par des groupes asiatiques, à l’image des sociétés coréennes SK Hynix et Samsung, du géant taiwanais TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company ), mais aussi de SMIC (Semiconductor Manufacturing International Co), le plus grand fabricant de semi-conducteurs en Chine.

Vers une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine

Néanmoins, d’après plusieurs experts du secteur, l’empire du Milieu souffre actuellement d’un retard technologique vis-à-vis des États-Unis, de la Corée du Sud et de Taïwan. En effet, il faut comprendre qu’il existe aujourd’hui une situation de quasi-monopole, occupée par TSMC et Samsung, pour les procédés de fonderie les plus avancés nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs les plus performants. D’ailleurs, pour rester dans la course et distancer la Chine dans ce domaine, Washington n’a pas hésité à favoriser financièrement la relocalisation d’une partie des unités de production asiatique aux États-Unis. Ainsi, le géant taiwanais TSMC a annoncé au mois de décembre dernier la construction prochaine de sa deuxième usine sur le sol américain, en Arizona, dans le sud-ouest du pays, ce qui permettrait de porter, sur place, sa production annuelle à plus de 500.000 puces par an.

L’Europe tente aussi de tirer son épingle du jeu

Mais, au-delà de l’ambition de l’administration Biden de couvrir ses propres besoins en la matière, cette décision s’inscrit dans la volonté de la Maison Blanche de restreindre l’accès de ce marché à la Chine, comme le montre la récente adoption par le Congrès américain du «Chips Act for America». Cette nouvelle loi a déjà subventionné plus de 40 projets liés à l’industrie des semi-conducteurs aux États-Unis pour un total de près de 200 milliards de dollars, en contrepartie notamment d’un droit de regard de l’administration américaine sur les investissements réalisés en Chine par les entreprises subventionnées. Ainsi, au mois d’octobre 2022, au nom de la sécurité nationale, Washington a annoncé des restrictions à l’exportation des semi-conducteurs de pointe, notamment à destination de la Chine afin d’empêcher l’empire du Milieu d’acquérir des technologies sensibles pouvant être utilisées dans des applications militaires.

La réponse de l’Europe

Compte tenu de l’enjeu économique et stratégique autour de la question des semi-conducteurs, l’Europe tente aussi de tirer son épingle du jeu. Il s’agit avant tout de sécuriser l’approvisionnement de l’Union européenne pour ces composants électroniques en favorisant leur production dans ses États membres; une stratégie s’inspirant de celle mise en œuvre aux États-Unis. La réponse de l’Europe réside notamment dans le «Chips Act», un vaste plan d’investissements de 43 milliards d’euros, par les différents États membres, voté en ce début d’année 2023. L’objectif affiché est de quadrupler la production actuelle du continent européen d’ici 2030. Ainsi, comme l’a rappelé récemment Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, «nous voulons atteindre 20% de la production mondiale d’ici 2030, sachant que le marché devrait doubler d’ici là pour atteindre 1.000 milliards de dollars. Il s’agit donc pour l’Europe de multiplier par quatre notre propre production». Pour ce faire, des subventions publiques aux fabricants de semi-conducteurs seront accordées, à condition que les sociétés bénéficiaires réservent, en cas de pénurie, une partie voire l’ensemble de leur production à leurs clients européens. Pour l’heure, plusieurs projets sont déjà sur les rails. L’américain Intel prévoit ainsi de construire une usine en Allemagne et en Italie. De son côté, STMicroelectronics s’est associé avec le fondeur américain GlobalFoundries pour créer une usine à côté de Grenoble en France qui devrait coûter plusieurs milliards d’euros. 

L’Europe face au défi environnemental de la production de puces

Cependant, au-delà du Chips Act qui s’inscrit dans un effort global de souveraineté numérique, se pose la question du coût environnemental de la fabrication de ces composants électroniques. En effet, cette production réclame notamment d’importantes quantités d’énergie et d’eau, comme le montre une récente étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Harvard aux États-Unis. Selon eux, la majeure partie de l’empreinte environnementale du secteur informatique est causée par les processus de fabrication des semi-conducteurs. C’est d’autant plus inquiétant que, selon les experts, plus une puce est sophistiquée, plus son impact environnemental est élevé. Ainsi, une puce disposant d’une gravure de 2 nanomètres, notamment utilisée dans le cadre des outils d’intelligence artificielle, nécessite deux à trois fois plus d’eau et d’électricité qu’une puce de 28 nanomètres. La Commission européenne est consciente de cette problématique. Reste à savoir si ce choix s’avère toujours compatible avec ses objectifs climatiques au regard de sa politique en matière de transition écologique.

Par R. Thomas