Pesticides: une histoire d’amour et de haine

Les pesticides ont connu une histoire mouvementée. Tantôt protecteurs, tantôt destructeurs, ils n’ont pas toujours fait l’unanimité. Depuis 2011, les membres de l’UE sont tenus de diminuer progressivement l’utilisation de 55 d’entre eux jugés dangereux. Mais, selon un rapport publié par PAN Europe (Pesticide Action Network), leur présence sur les fruits aurait largement augmenté entre 2011 et 2019. Les États membres ne respecteraient donc pas la législation. PAN Europe réclame des mesures fortes pour lutter contre cette tendance. Toutefois, certains remettent en question les résultats du rapport et présentent un point de vue bien différent. 

D’où viennent les pesticides? 

De la progression démographique fulgurante au début du 20e siècle a résulté une augmentation de la demande en denrées alimentaires. C’est à ce moment-là que les pesticides, permettant de lutter contre les parasites, ont pris une place importante dans les champs de nos régions. Durant la Première Guerre mondiale, les recherches font un grand bon. En cause, la volonté des deux camps de créer la première arme de destruction massive: l’arme chimique. Du côté allemand, le premier à procéder à une attaque de ce type, le chimiste d’origine juive Fritz Haber met ses compétences au service de son pays. Il est considéré comme le père de l’arme chimique pour ses travaux sur le dichlore et d’autres gaz toxiques. C’est d’ailleurs lui qui a inventé le Zyklon B, au départ utilisé comme pesticide puis employé dans les chambres à gaz durant la Seconde Guerre mondiale. 

Après les deux guerres, les États trouvent une nouvelle destinée à ces armes: elles sont transformées pour développer l’agriculture et préserver la population du manque de nourriture, de la propagation des parasites et des maladies qu’ils transmettent. Durant leur histoire, les pesticides ont donc servi à la fois de destructeurs et de protecteurs de l’humanité. 

Entre 1945 et 1985, la quantité de pesticides vendue a doublé chaque décennie. Cependant, ces dernières années, leur utilisation a été remise en cause, voire condamnée. Ce changement de point de vue est notamment dû à de nombreux cas d’intoxication, parfois mortels, dans le milieu agricole, et à la découverte d’effets secondaires survenus à la suite d’une exposition trop importante, tels que le développement de cancers, de l’infertilité masculine, ou encore des avortements spontanés. 

Une étude aux conclusions inquiétantes 

Au mois de mai, PAN Europe a publié un rapport, intitulé «Forbidden Fruit», révélant l’usage croissant de 55 pesticides jugés dangereux et condamnés par l’UE. Dans un communiqué, l’organisation explique: «En 2009, le règlement (CE) n° 1107/2009 a introduit une nouvelle catégorie de substances actives appelée «candidats dont on envisage la substitution». Cette catégorie avait pour but d’identifier les substances actives approuvées les plus nocives pour l’Homme et l’environnement et de les remplacer par des alternatives chimiques et non chimiques moins nocives pour finalement conduire à leur élimination». 

Tendance à la hausse des fruits contaminés par la catégorie de pesticides la plus nocive entre 2011 et 2019

Selon l’étude de l’ONG, cet objectif n’est clairement pas suivi par les États membres. Dans le cadre de ce travail, des chercheurs ont analysé les résultats d’un programme européen d’échantillonnage gouvernemental. Ils ont alors révélé une tendance à la hausse des fruits contaminés par la catégorie de pesticides la plus nocive entre 2011 et 2019. Leur proportion entre ces deux années serait passée de 18% à 29%. 

Sur base de ces résultats, le réseau international d’action contre l’emploi des pesticides a décidé de mener une campagne revendiquant notamment l’interdiction immédiate des douze substances les plus toxiques ou des mesures permettant le développement d’alternatives non chimiques. 

Une bataille journalistique 

Le travail scientifique mené par PAN Europe a notamment été relayé par le quotidien français Le Monde. Cet article, accompagné d’un autre fondé sur une étude américaine, a mis le feu aux poudres. Une série de «tweets» et un article du Point ont critiqué les résultats de ces travaux. Une journaliste de l’hebdomadaire a notamment déclaré que PAN Europe, rassemblant le lobby du bio, aurait tout intérêt à publier ce type de chiffres pour faire de la publicité au secteur du biologique, en difficulté depuis plusieurs mois. Elle a également accusé l’étude d’être un «modèle de manipulation» et a critiqué le fait que l’ONG ne se soit pas appuyée sur les dépassements de limites maximales de résidus (LMR) fixées par la réglementation, mais sur la simple détection de ces produits. «Le seuil retenu par l’ONG est celui de la «limite de détection», c’est-à-dire la plus petite quantité fournissant un signal, fixée par défaut à 0,01 mg/kg de matière analysée. Un seuil administratif, qui ne dit rien des effets sanitaires». 

Le Monde a répondu dans un nouvel article. Il y explique que PAN Europe ne poursuit pas d’objectifs commerciaux, selon le registre de transparence de l’Union européenne, et que le seul fabricant de produits bio apportant un soutien financier à l’ONG, Lea Nature, n’a participé qu’à 3,2% de son budget (soit 10.000 euros) en 2020. En ce qui concerne la démarche adoptée pour l’étude, le journal déclare que celle-ci est «légitimée par la réglementation européenne elle-même: si les 55 pesticides recherchés ont été déclarés «candidats à la substitution» par les autorités européennes, c’est précisément qu’une part d’entre eux […] sont susceptibles d’avoir un impact sanitaire sans effet de seuil, la plus petite exposition pouvant représenter un risque». 

Les discussions restent houleuses et aucun élément ne permet aujourd’hui d’affirmer avec certitude la véracité d’un de ces discours. Le débat reste donc ouvert. 

Par P. Paquet