Pour des banques durables et responsables

Le verdissement de notre économie nécessite d’importants investissements et l’urgence de responsabiliser le secteur financier est grande. Ces dernières années, diverses instances internationales prennent des mesures, contraignantes ou non, pour favoriser l’émergence d’un système financier durable et accélérer la transition vers la neutralité climatique. «Principles for Responsible Banking», taxonomie européenne, Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR),… les instruments sont désormais nombreux pour mettre fin à l’écoblanchiment et orienter véritablement le flux des capitaux vers des activités vertes. Rudi Belli, chef du département Secrétariat Général et membre de l’équipe développement durable de Spuerkeess, nous les présente dans cette interview.

Quel rôle le secteur financier peut-il jouer dans la lutte contre le changement climatique?

Le secteur financier dans son ensemble (à savoir les banques, les asset managers, les fonds d’investissement et les compagnies d’assurance) a un rôle central à jouer dans l’orientation des capitaux vers une économie plus durable, comme le souligne le plan d’action européen sur la finance durable établi par la Commission européenne. Si le politique s’empare du sujet aujourd’hui, c’est pour confronter le secteur à ses responsabilités et l’enjoindre à agir plus vite en introduisant de nouvelles réglementations. Mais le temps presse et, bien plus que de se contenter de s’y conformer, les acteurs du secteur devraient adopter une attitude volontariste. C’est ce dont a fait preuve Spuerkeess en devenant le premier participant bancaire luxembourgeois aux «Principles for Responsible Banking» des Nations Unies en octobre 2019.

Quels sont ces principes et à quoi s’engage-t-on concrètement en y adhérant?

Il y a six principes que l’on s’engage à implémenter dans les quatre ans qui suivent l’adhésion. Le premier est d’aligner sa stratégie d’entreprise sur les objectifs de développement durable des Nations Unies et sur l’Accord de Paris. La durabilité doit donc faire partie intégrante du modèle d’affaires du signataire qui devra effectivement considérer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses décisions et développer des instruments financiers qui permettront de réduire son impact climatique.

Le second est l’analyse d’impact de ses activités et la fixation d’objectifs concrets. À titre d’exemple, le rapport non-financier de Spuerkeess, publié en 2020, révèle que 42% de ses actifs sont sensibles au climat. L’exposition majeure provient du secteur de la construction que nous finançons principalement à travers les prêts hypothécaires. Nous nous sommes par exemple fixé pour objectif d’améliorer la classe énergétique de notre portefeuille de crédits hypothécaires grâce au financement de travaux de rénovation énergétique. Pour l’atteindre, nous sensibilisons nos clients et les informons en même temps sur les nombreuses subventions auxquelles ils peuvent prétendre. Lorsque le client s’engage à rénover son bien immobilier, nous réduisons son empreinte carbone mais aussi celle de notre banque. Un autre levier à travers lequel nous créons de l’impact positif est la promotion du financement de l’électromobilité.

Le troisième engagement est de conseiller nos clients sur les risques et opportunités ESG. Cela peut passer par un screening de leurs portefeuilles de titres et l’évaluation de leur exposition aux risques climatiques (qu’ils soient physiques ou de transition), mais aussi par la promotion de produits financiers plus durables.

Le secteur financier a un rôle central à jouer dans l’orientation des capitaux vers une économie plus durable

Le quatrième principe est de nouer des partenariats avec des parties prenantes. À la Spuerkeess, nous avons constitué un conseil consultatif scientifique, composé d’une douzaine de scientifiques de réputation internationale, qui nous apporte une expertise approfondie dans de nombreux domaines, émet des avis sur les modèles nationaux de risques climatiques et soutient activement l’intégration des politiques ESG à travers le secteur bancaire luxembourgeois tout entier. Une coopération rapprochée avec certains métiers et secteurs pour mieux appréhender leurs défis ESG est un autre exemple d’engagement entre la banque et l’économie.

Le cinquième principe veut que les signataires mettent en œuvre leur engagement par le biais d’une gouvernance efficace et d’une culture bancaire responsable, c’est-à-dire qu’ils intègrent les considérations des risques ESG dans leur modus operandi. Car il ne s’agit pas seulement de vouloir s’en prémunir, il faut aussi se détacher de nos visions à court terme et transformer les risques en opportunités.

Enfin, le dernier principe a trait à la transparence et au reporting. Les signataires s’engagent à révéler en toute transparence dans quelle mesure ils ont atteint ou non les objectifs qu’il s’étaient fixés.

Quels changements cela engendre-t-il dans votre métier?

Pour se conformer à ces principes, nos processus doivent être adaptés de manière à tenir compte de nouveaux critères qui dépassent les seuls aspects financiers et économiques. Désormais, il nous faudra déterminer précisément ce qu’on entend par «durable» au sens des critères ESG et, au fur et à mesure, mettre fin à certaines opérations de façon définitive. De ce fait, le métier du banquier va changer: celui-ci devra avoir une bien meilleure compréhension des défis de ses clients, élargir ses horizons et maîtriser des sujets qui dépassent le savoir-faire traditionnel de la profession. Pour ce faire, il devra nécessairement s’associer à des partenaires, comme des experts en énergie ou en science de l’environnement pour n’en citer que quelques-uns. Si les critères ESG représentent un défi pour les banques, ils leur permettront de développer des modèles d’affaires plus résilients une fois qu’ils seront bien appréhendés.

Selon un rapport de GreenPeace, les fonds d’investissement durables auraient «à peine réussi à rediriger plus de capitaux vers une économie durable que les fonds conventionnels». L’écoblanchiment est-il particulièrement présent dans le secteur financier et comment y remédier?

Il est vrai qu’en l’absence de réglementation plus conséquente et harmonisée, on a observé une tendance à qualifier de «durables» des produits finalement assez discutables. Le problème de l’écoblanchiment était en particulier lié à l’absence d’informations ESG pertinentes sur les sociétés dans lesquelles les fonds d’investissement et les banques investissaient, impliquant une disparité entre définitions de «durabilité» d’un établissement à l’autre. C’est pour cela que le régulateur joue un rôle crucial en imposant une standardisation au marché. Il a d’ailleurs mis au point trois réglementations particulièrement importantes, que je qualifierais de «trilogie de l’anti-greenwashing»: la taxonomie européenne, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). La taxonomie européenne introduit enfin une définition commune de la durabilité et établit des seuils pour les principaux secteurs émetteurs de CO2 ou ayant d’autres impacts environnementaux négatifs. Quant à la CSRD, qui se trouve encore à l’état de projet, elle vient réviser et renforcer la Non-Financial Reporting Directive (NFRD). Elle permettra d’harmoniser les données sur la durabilité publiées par les sociétés dans leur reporting non-financier et ainsi de mettre à disposition des investisseurs des informations comparables et fiables. Enfin, vient le troisième instrument, certainement le plus important pour nos clients investisseurs: la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Ce règlement impose aux acteurs financiers des règles de transparence en ce qui concerne l’information à fournir sur la durabilité des produits financiers. L’implémentation des trois outils mentionnés devrait permettre de réduire de manière plus conséquente le risque d’écoblanchiment. Par ailleurs, le fait de recourir aux compétences du Conseil consultatif scientifique de Spuerkeess a le potentiel de renforcer la crédibilité de la place financière luxembourgeoise en matière de développement de produits financiers durables.

Par A. Jacob