POUR UNE DÉFINITION DE LA DURABILITÉ

«Durable (adjectif ): de nature à durer longtemps ». C’est la définition que donne Le Robert à ce terme à la mode et auquel on attribue finalement bien plus de qualités. Mais alors, qu’est-ce que la durabilité dans la construction? Marc Feider, vice-président de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI) et président du Conseil national de la construction durable (CNCD), répond à la question.

On parle de plus en plus de bâtiments «durables » mais le terme recouvre des réalités assez vastes. Quels sont les indicateurs qui permettent de leur attribuer cette qualité ?

En Europe, le secteur du bâtiment exploite environ la moitié de tous les matériaux extraits, épuise 50% de la consommation totale d’énergie ainsi qu’un tiers de la consommation d’eau, et génère un tiers de la production globale de déchets. Un bâtiment durable est donc un immeuble qui, dans sa conception, sa construction ou son fonctionnement, réduit ou élimine les impacts négatifs (voire crée des impacts positifs) sur l’environnement. Mais la durabilité ne se résume pas qu’aux critères environnementaux, elle repose aussi sur deux autres piliers: l’efficacité économique et la santé. Dans chacun de ces piliers, les critères à satisfaire sont nombreux. Ils sont relatifs à l’implantation de l’immeuble, ses fonctions sociales, sa consommation d’énergie et de ressources, son isolation, sa déconstruction, son confort, son accessibilité, etc.

Afin de créer un langage européen commun, la Commission européenne a élaboré «Level(s)», un cadre d’indicateurs permettant de mesurer la performance des bâtiments en matière de durabilité tout au long de leur cycle de vie. L’idée du projet est de créer un cadre volontaire simple, concentré sur un nombre gérable de critères, permettant de promouvoir la mesurabilité et d’accumuler des données qui faciliteront l’obtention d’une certification.

LENOZ, BREEAM, DGMB, HQE, LEED sont autant de certifications fréquemment utilisées au Luxembourg. Qu’est-ce qui les différencie ?

Le certificat LENOZ (Lëtzebuerger Nohaltegkeets-Zertifikat fir Wunngebaier) a été mis en place pour promouvoir la durabilité des logements au Luxembourg. En ce qui concerne les bâtiments fonctionnels, nous utilisons les certifications internationales que vous évoquez. Ces systèmes se différencient notamment par leur finalité (évaluer une maison unifamiliale, un immeuble de bureaux ou tout un quartier) et leur ancienneté, mais les critères et les objectifs sont identiques. L’obtention de ces certificats requiert un audit et représente aujourd’hui une réelle plus-value dans le monde de l’immobilier. Un bâtiment durable certifié sera bénéfique à la réputation de ses concepteurs et promoteurs, sera commercialisé plus aisément et permettra de réaliser des retours sur investissement dans la durée. Ainsi, au Luxembourg, il n’est pas rare qu’un bâtiment détienne trois ou quatre certifications. Ce n’est pas le reflet d’un manque de confiance dans un système, mais une particularité due à ses fonds d’investissements internationaux.

Quelles sont les priorités de la politique luxembourgeoise de promotion de la construction durable ?

Cette politique a vu le jour en 2014, lorsqu’Etienne Schneider, alors ministre de l’Économie, a demandé aux différents acteurs du secteur du bâtiment de se réunir au sein d’un Conseil National de la Construction Durable (CNCD). En 2018, le nouveau gouvernement a décidé que la matière serait finalement l’une des attributions du ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire. Aujourd’hui, le travail de l’équipe du ministre Claude Turmes s’articule autour de six priorités : la diminution des émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie du bâtiment, la surveillance des cycles de vie des matériaux économes en ressources, l’utilisation rationnelle des ressources hydriques, la création d’espaces sains et confortables, l’adaptation et la résilience des bâtiments au changement climatique et, enfin, l’optimisation de la valeur durant le cycle de vie de l’édifice.

Pour garantir et évaluer les performances environnementales d’un bâtiment vis-àvis de ces priorités, nous aurions besoin d’un cadre d’évaluation volontaire avec des données de référence standardisées. La certification LENOZ, développée par le ministère du Logement, représente un tel outil d’évaluation national. Fortement lié aux subventions PRIMe House, ce certificat révèle l’attention toute particulière accordée au volet énergétique au Luxembourg. Il met également l’accent sur les matériaux écologiques, un axe qui mériterait d’être développé davantage. Quant au volet social et santé qui est relativement neuf, le ministre Claude Turmes entend y apporter un soin particulier.

Quel est le rôle de l’OAI dans cette politique de promotion de la construction durable?

L’OAI n’a pas attendu d’injonction du gouvernement pour s’intéresser à la construction durable. Fort de ses membres ayant étudié dans diverses universités européennes, voire extra-européennes, l’Ordre est constamment abreuvé par les dernières idées qui émergent dans ces milieux déjà très sensibilisés au concept de durabilité. Loin d’attendre que les idées ne soient apportées que par les nouvelles recrues, l’Ordre mise également sur la formation continue et veille à ce que ses membres reçoivent l’enseignement des meilleurs orateurs internationaux. Notre programme de formation peut être consulté sur www. oai.lu/formation. La construction durable commence par la planification, l’OAI a donc toute son importance dans le processus. L’Ordre a développé la méthodologie «Maîtrise d’œuvre OAI – MOAI.LU», qui comprend l’architecte, l’ingénieur du génie civil (structures et infrastructures) et l’ingénieur du génie technique (techniques du bâtiment), afin de répondre aux besoins et expectatives accrues des maîtres d’ouvrage.

L’obtention d’un certificat représente une réelle plus-value dans le monde de l’immobilier

Quels sont les grands défis qui attendent le secteur en termes de durabilité ?

L’un des volets sur lesquels nous avancerons beaucoup est indéniablement celui de la santé. Il y a eu de nombreux développements à cet égard, aussi bien au niveau des techniques que des matériaux. Auparavant, la question de savoir si les matériaux étaient réellement sains ne se posait pas vraiment. L’exemple le plus évident est celui de l’amiante, passé de produit miracle à fléau en quelques années. Le défi sera de n’autoriser que l’utilisation de matériaux qui ne deviennent pas source de pollution.

La pérennité de ces matériaux est un autre souci important. Toutes les certifications ou boîtes à outils de la construction durable comportent un volet déconstruction. Ainsi, tout bâtiment devra être conçu de manière que la majorité de ses matériaux puissent être réutilisée. Malheureusement, nous manquons de connaissances sur la composition des immeubles existants. Nous réalisons bien des inventaires sur base de l’âge du bâtiment ou de reconnaissances mais l’idéal serait de conserver, tout au long de sa durée de vie, la connaissance de la conception du bâtiment. Cette idée de base de données pérenne est souvent, si pas toujours, liée au BIM (Building Information Modeling) qui fait l’objet de nombreux projets de recherche.

Par A. Jacob
Photo : ©Sébastien Goossens