QUAND L’ARCHITECTE DEVIENT BÂTISSEUR DES ÉMOTIONS

Un village de 600 habitants, un fils de menuisier qui part à la conquête du monde avec ses idées et la ferme intention de devenir architecte… A s’y méprendre, l’histoire ressemble à un conte mais elle est bel et bien réelle. L’architecte François Valentiny, auteur de plusieurs dizaines de projets au Luxembourg et à l’international, revient sur son parcours façonné par l’émotion et ses racines locales.

Le soleil frappe fort sur les baies vitrées du cabinet Valentiny hvp architects situé à Remerschen. Une épaisse fumée traverse ses rayons, elle provient d’un cendrier et s’échappe d’un cigare fraîchement consumé, celui de François Valentiny. Pourtant, l’impression de vague et de flou qui règne dans la pièce contraste avec l’esprit clair, rigoureux mais aussi créatif de l’architecte. « Ce n’est pas un hasard si je suis resté ici dans mon village natal à Remerschen,… même si, il est vrai, je suis devenu quelqu’un qui aime vivre dans les grandes métropoles ».

L’architecture doit répondre à toutes les exigences des sens

Et pour cause, son côté globetrotter l’oblige à des allers-retours incessants entre la Chine et la petite localité de Schengen, là où tout a démarré. « A 12 ans, je savais que j’allais devenir architecte. Mais je n’étais pas très bon élève, j’avais toujours besoin de plus de temps que les autres pour apprendre. Avec un père menuisier, j’ai toujours évolué dans le monde de la construction, j’ai moimême travaillé le bois. Déjà à l’époque, je voyais que les architectes commençaient réellement à réaliser de beaux projets sur le tard, après 40 ou 50 ans. J’ai très vite su que ce métier correspondait à ma personnalité et mon tempérament. Cela s’est encore confirmé, plus tard, lors de mes études, à Nancy puis à l’Université d’arts appliqués à Vienne. Lorsque j’ai entendu ce proverbe ‘’architecture is an old man profession’’, j’étais convaincu que j’avais choisi la bonne voie », sourit-il.

« L’architecture, c’est l’émotion »

Rien n’est dû au hasard pour cet architecte au parcours et au développement façonnés par son environnement. « Mes sources d’inspiration sont multiples, mais je dois dire que je me suis toujours inspiré de mon village, tant dans mes projets que dans mon éducation au sens large. J’ai grandi dans un contexte où la vie journalière se déroulait sous mes yeux. Les forgerons, les bouchers, le cordonnier, le tailleur,… tous les corps de métier se trouvaient dans mon village. Grandir dans un tel milieu m’a fait apprendre beaucoup de choses ». Alors, quand un jour on lui a demandé, lors d’une conférence en Chine, pourquoi il ne s’inspirait pas du milieu maritime – comme l’a fait Zaha Hadid, qui était en concurrence avec lui pour le projet Beethoven Concert Hall à Bonn -, l’architecte a simplement rétorqué qu’il n’était pas né à la mer et que son travail était majoritairement façonné par l’histoire du lieu mais aussi l’environnement qu’il a beaucoup côtoyé, à savoir Remerschen et ses alentours.

Du papier et un crayon lui suffisent pour conceptualiser et imaginer un projet. « Je dessine vite, les techniques n’influencent pas le produit final qui en sort. La qualité d’un roman dépend de l’écrivain, peu importe s’il utilise de l’encre et une plume ou une machine à écrire. En architecture c’est pareil au niveau de la création. La méthodologie et la philosophie de travail sont deux choses bien différentes. Je connais mon univers, même si, évidemment, mon équipe réalise des esquisses sur l’ordinateur », détaille-t-il. Le bâtisseur se confronte toutefois de plein fouet à différentes conceptions du métier, dont celle influencée par Ludwig Mies van der Rohe. Le Bauhaus, le style international, le principe « forms follow function » ne définissent pas sa philosophie, bien au contraire. « L’architecture, c’est l’émotion, sinon tous les bâtiments seraient exactement identiques. Bien sûr, elle doit être fonctionnelle, car on ne construit pas pour soi, mais pour les autres… Pour autant, elle doit aussi répondre à toutes les exigences des sens ».

Une fondation pour la prospérité

« Personnellement, je touche à tous les matériaux. Ici, le bâtiment est en acier mais à choisir, je le referais en bois. Mais d’autres technologies et d’autres matières apporteront de nouvelles perspectives à l’avenir. En parlant de futur, je crains que la profession telle que nous la connaissons aujourd’hui disparaisse car les architectes ont tendance à devenir designer alors que la construction reste l’essence du métier ». Pour rester dans ses valeurs d’héritage et de partage, l’architecte a réalisé la « Fondation Valentiny », inaugurée en 2016 mais créée en 2014.

Cet espace multifonctionnel, entièrement conçu en bois, est dédié à la culture et aux expositions, il regroupe notamment les œuvres de l’architecte. Son objectif est aussi touristique et éducatif puisque la Fondation soutient les enfants de l’école de Schengen mais aussi les étudiants en leur offrant des bourses d’études. Pour lui, c’est aussi une manière de remercier et de rendre son dû à Remerschen, ce village devenu racine et sève qui a nourri sa carrière d’architecte.

Par P. Birck
Photo:
©Agence Kapture