QUEL AVENIR POUR LES VÉHICULES AUTONOMES ?
Les véhicules autonomes sont souvent présentés comme la prochaine révolution dans l’industrie automobile. Mais cet optimisme est surtout d’ordre technologique. Jusqu’à présent, rares sont les études qui ont abordé l’aspect social. Quels impacts les véhicules autonomes auront-ils sur la vie quotidienne des gens ? Ceux-ci seront-ils prêts à les accepter et à les utiliser à la place de leur mode de transport traditionnel ? Pour Veronique Van Acker et Tai-Yu Ma, chercheurs au département Développement Urbain et Mobilité du LISER, la réponse est loin d’être évidente.
« Plusieurs idées reçues circulent à propos des véhicules autonomes », explique Veronique Van Acker. « La première est que ceux-ci vont aider à décongestionner le trafic. Ce point n’est pas du tout certain. Ce n’est pas parce que les véhicules seront capables de se conduire tout seuls qu’il y en aura forcément moins sur les routes. Au contraire, ils vont peut-être même inciter d’anciens conducteurs qui avaient opté pour un mode de transport plus sain et moins polluant comme le vélo à revenir à la voiture. Un autre effet pervers pourrait être l’amplification de l’étalement urbain. En adoptant ce type de véhicule qui, plus est, sera à l’avenir connecté, les navetteurs pourraient commencer à travailler pendant toute la durée du trajet. Le temps de parcours du domicile au lieu de travail n’ayant plus aucune incidence sur sa productivité, le navetteur pourrait être tenté de résider de plus en plus loin du Grand-Duché, là où les prix de l’immobilier sont nettement moins élevés ».
Une utilité perçue toute relative
Rien ne dit non plus que les voitures autonomes seront acceptées par tous. « La majeure partie des études sur cette thématique n’a pas fait appel aux modèles socio-psychologiques d’acceptation de la technologie qui sont en augmentation constante depuis peu comme le TAM (Technology Acceptance Model ou Modèle d’Acceptation de la Technologie) ou l’UTAUT (Unified Theory of Acceptance and Use of Technology ou Théorie Unifiée d’Acceptation et d’Utilisation de la Technologie) », poursuit Veronique Van Acker. « Le TAM considère l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue comme les deux principaux éléments déterminants de l’intention de comportement qui va déboucher sur une utilisation réelle. En d’autres termes, les personnes n’utiliseront pas les voitures autonomes tant qu’elles ne les considèreront pas comme une technologie utile. D’après l’UTAUT, cette intention de comportement sera en partie influencée par quatre variables – le sexe, l’âge, l’expérience avec la technologie et l’utilisation volontaire ou non – au travers de quatre concepts : la performance espérée, l’effort attendu, l’influence sociale (normes, identification, images, etc.) et les conditions facilitatrices ».
« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’utilité des voitures autonomes n’est pas perçue de la même manière par tout le monde », renchérit Veronique Van Acker. « Les voitures autonomes vont certes permettre aux personnes de pouvoir utiliser leur temps de déplacement autrement mais comment vont-ils le valoriser et seront-ils en mesure de le faire ? Une large partie de la population souffre en effet du mal des transports. Or travailler, lire ou même regarder un écran dans un véhicule autonome risque d’aggraver le phénomène. Dès lors, pourquoi opterait-elle pour un nouveau moyen de transport qui lui apporterait plus d’inconvénients que d’avantages ? »
Les véhicules autonomes ont un avenir prometteur à condition de ne pas les considérer comme un mode de transport personnel
Une question de confiance
« Une autre notion importante est la confiance dans les voitures autonomes », observe Veronique Van Acker. « Celleci peut varier de manière significative en fonction du sexe et de l’âge des personnes. Jusqu’à présent, les enquêtes n’ont principalement concerné que des conducteurs masculins, jeunes et ouverts aux nouvelles technologies. Ces enquêtes ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population et ne donnent qu’une vision partielle de la réalité. Les femmes, par exemple, sont plus hésitantes.
Une étude menée en Israël et aux États-Unis* a ainsi démontré que la différence entre les voitures autonomes privées et les voitures autonomes partagées était importante pour la majorité de la population féminine interrogée. Celle-ci préférait de loin les voitures autonomes privées car les voitures autonomes partagées impliquent non seulement qu’il faut faire confiance à la technologie mais aussi aux autres personnes présentes dans le véhicule ».
Pour une flotte de véhicules autonomes publics
Les véhicules autonomes n’auraient-ils donc pas un avenir aussi prometteur qu’on le prédit ? « Oui, bien entendu, ils en ont un », répond Tai-Yu Ma. « Mais à condition de ne pas les considérer comme un mode de transport personnel mais bien comme un élément d’une stratégie intermodale où les transports publics seraient efficaces (économiquement et socialement) et où les déplacements doux seraient mis en avant. Concrètement, si l’on envisage les véhicules autonomes dans une perspective de service public, ils auraient toute leur utilité dans les localités moins bien desservies faute d’une demande suffisante. Ils seraient économiquement plus rentables que les autobus avec chauffeur et favoriseraient l’abandon de la voiture personnelle en permettant aux navetteurs de ces zones d’avoir plus facilement et plus rapidement accès aux transports en commun. De plus, ces véhicules autonomes, quand ils seront connectés, pourraient également accompagner des mouvements comme l’autopartage, le véhicule à la demande ou la mobilité comme un service (Mobility as a Service ou MaaS), l’objectif étant de soutenir le passage de la propriété à l’usage de la voiture ».
Plusieurs initiatives existent déjà dans ce sens à l’heure actuelle, comme les navettes EasyMile en France ou, plus près de nous, les bus autonomes à Luxembourg-Ville – reliant la gare Pfaffenthal-Kirchberg et l’ascenseur du Pfaffenthal – et dans la zone industrielle de Contern.
Une implication dans plusieurs projets européens
« Notre département est également impliqué dans de nombreux projets à l’échelle européenne », complète Veronique Van Acker. « En avril 2019 a été lancé le premier site transfrontalier destiné à promouvoir le développement et l’expérimentation des technologies de conduite automatisée et connectée dans un contexte réel (Cross-border Digital Test Bed). Le site couvre le réseau routier des régions du sud du Luxembourg, de la région de Metz en France et du Land de Sarre en Allemagne. Nous participons au projet HiReach, un projet de recherche et d’innovation de trois ans (2017-2020) financé par le programme européen Horizon 2020 et piloté par LuxMobility pour la partie luxembourgeoise. L’objectif est de développer de nouveaux outils et modèles économiques pour améliorer l’accessibilité des groupes sociaux vulnérables (personnes à mobilité réduite, personnes à faible revenu, migrants, personnes vivant dans des zones défavorisées, etc.) dans les régions prioritaires du nord et du sud-ouest du pays ».
Accompagner des mouvements comme l’autopartage, le véhicule à la demande ou la mobilité comme un service
« Nous sommes également partie prenante dans le WISE-ACT COST Action (Cooperation in Science and Technology) », détaille Tai-Yu Ma, responsable de ce projet au sein du LISER. « Ce réseau, qui rassemble des chercheurs de toute l’Europe et qui est financé par la Commission européenne, a pour objectif d’explorer les différents impacts des voitures autonomes et connectées sur le futur de la mobilité, de l’économie et de la société. Dans ce cadre, nous comptons dans un futur proche mettre sur pied un sondage auprès des citoyens européens sur leur intention d’utiliser ou non les véhicules autonomes et la manière dont ils envisageraient de valoriser leur temps de déplacement. Cette enquête pan-européenne nous permettra de comparer les réponses et d’évaluer si l’acceptation de cette nouvelle technologie est la même partout ou, au contraire, varie d’un pays à l’autre ».
* Haboucha, C.J., Ishaq, R., Shiftan, Y. (2017) User preferences regarding autonomous vehicles. Transportation Research Part C : Emerging Technologies.
Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER)
Maison des Sciences Humaines
11, Porte des Sciences
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