QUELLES SONT LES PERSPECTIVES D’AVENIR POUR LE LOGEMENT ?

Au Luxembourg, l’habitat pose de plus en plus problème. Comment expliquer l’insuffisance de l’offre de terrains à bâtir ? Quels sont les mécanismes qui ont creusé au fil du temps les inégalités territoriales ? Existe-t-il des solutions de logement flexible pour accompagner la mobilité d’une part de plus en plus importante de la population ? A toutes ces questions et bien d’autres, cinq chercheurs du département Développement urbain et mobilité du LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) apportent des éléments de réponse.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le problème du logement au Luxembourg ne vient pas d’une pénurie de terrains disponibles. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par des chercheurs du LISER dans le cadre de l’Observatoire de l’Habitat du Ministère du Logement et basée sur une méthodologie pour identifier les terrains disponibles pour l’habitat comme l’explique Valérie Feltgen.

Un potentiel foncier stable depuis plusieurs années

Pour déterminer le potentiel foncier, trois types de données se rapportant à la même année 2016 ont été collectées et analysées. La première source a été l’orthophoto officielle issue de l’Administration du Cadastre et de la Topographie (ACT) et basée sur un survol aérien du territoire national. Ont ensuite été utilisés les Plans d’Aménagement Général (PAG) issus du ministère de l’Intérieur et renseignant le type d’activité pouvant être réalisé sur les terrains: zone d’habitation, zone mixte, zone de bâtiments et d’équipements publics, zone destinée à des activités économiques, de commerce ou d’industrie, etc. A ces deux premières couches a été ajoutée une troisième, le plan cadastral numérisé issu de l’Administration du Cadastre et de la Topographie, pour préciser les limites des terrains disponibles.

« Nous avons ensuite distingué parmi tous ces terrains disponibles lesquels remplissaient les conditions des Baulücken, à savoir des terrains nets (disponibles intégralement sans création de voirie supplémentaire) mobilisables rapidement, et avons représenté les résultats de manière visuelle », explique Valérie Feltgen. « Cette représentation visuelle, couplée aux traitements des données statistiques du potentiel foncier, permet de différencier les terrains appartenant aux principaux types de propriétaires et fournit une aide précieuse à la décision dans le cadre de la politique du logement en général, et en particulier du Baulückenprogramm qui vise à augmenter rapidement le nombre de logements disponibles. Si l’on compare avec les travaux précédents réalisés pour les années 2004, 2007, 2010 et 2013, on constate que le potentiel des terrains disponibles reste relativement stable. En 2016, il était de 2 846 hectares (dont 941 pour les Baulücken). Pour donner un ordre de grandeur, cela représente, en tenant compte des densités des nouvelles constructions observées au cours de la période 2010-2016, entre 50 000 et 80 000 nouveaux logements. Une étude complémentaire sur la concentration foncière montre qu’uniquement 2,7% de la population totale (propriétaires physiques) possèdent 72,5% des terrains disponibles pour l’habitat ».

Concentration du patrimoine foncier et inégalités territoriales

Mais comment s’est produite cette concentration du potentiel foncier? Un projet de recherche de deux ans, financé par le Fonds National de la Recherche (FNR) et réalisé par Antoine Paccoud, vise précisément à comprendre les mécanismes impliqués dans l’accroissement sur le long terme des inégalités de patrimoine foncier et immobilier.

« Nous avons pris comme étude de cas la commune de Dudelange », poursuit Antoine Paccoud. « Nous avons rassemblé toutes les transactions immobilières et foncières réalisées dans cette commune entre 1949 et 2015 – quelque 20 000 au total – et les avons intégrées dans une base de données. A partir de cette énorme base de données, nous allons extraire des éléments structurés qui, tout en préservant l’anonymat des personnes impliquées dans les différentes transactions, vont nous permettre d’étudier deux mécanismes en particulier affectant la concentration du foncier au cours du temps. Le premier concerne l’asymétrie des transactions: les inégalités territoriales tendent à augmenter lorsque les gros patrimoines rachètent les plus petits. Le deuxième dépend des différences de l’évolution des prix des gros et petits patrimoines fonciers, les premiers ayant tendance à croître plus rapidement en valeur que les seconds. L’idée, sous réserve de financements, est d’étendre par la suite le champ de ce projet en comparant plusieurs communes et de compléter les analyses par d’autres types d’investigations comme, par exemple, des entretiens avec des acteurs de l’immobilier ou des propriétaires fonciers ».

Nous ne nous occupons pas seulement de projets d’aide à la décision publique mais travaillons également avec des partenaires privés

Mobilité et logement flexible

La problématique du logement ne se pose pas uniquement en termes de potentiel foncier et d’inégalité territoriale. Face à un monde du travail de plus en plus mobile et des flux migratoires de plus en plus importants, une plus grande typologie de logements que la classique distinction entre la location et la propriété doit être introduite. En collaboration avec Gemma Caballé Fabra de l’Université Rovira i Virgili en Espagne, Brano Glumac a exploré les différentes solutions de logement flexible existant à l’heure actuelle. « Nous avons utilisé trois critères pour les classer: leur nature – technique et dépendante principalement de développements technologiques comme l’impression 3D ou la robotique, basée sur les services ou institutionnelle -, la possibilité pour un ménage de l’utiliser comme un véhicule d’investissement et la possibilité d’en devenir le propriétaire. Sur base de ce classement, nous avons ainsi relevé des solutions particulièrement prometteuses comme les habitations modulaires, le home-swapping ou l’échange de maisons – vous vivez dans la maison d’une autre famille et celle-ci occupe la vôtre – ou la propriété partagée et temporaire, la première permettant l’acquisition d’un logement de manière progressive et la deuxième consistant à acheter un bien sur une durée indéterminée.

Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive et chacune de solutions proposées ne conviendra pas nécessairement à tout le monde. D’où l’importance de préserver leur diversité et de continuer à trouver de nouvelles solutions ».

Vers un modèle standardisé d’évaluation des biens immobiliers

« Nous ne nous occupons pas seulement de projets d’aide à la décision publique mais travaillons également avec des partenaires privés », poursuit Julien Licheron. « Nous sommes ainsi partie prenante d’un projet visant à mettre au point un modèle d’évaluation des biens immobiliers qui pourrait être utilisé par toutes les banques de détail luxembourgeoises. La Directive européenne 2014/17/UE sur le crédit immobilier, transposée en droit luxembourgeois par la Loi du 23 décembre 2016, impose entre autres aux institutions de crédit d’évaluer de manière continue et régulière la valeur de leur portefeuille de crédits et de vérifier sur base d’un modèle d’évaluation standardisé que la valeur d’un bien immobilier correspond bien à son prix d’achat avant d’octroyer un crédit. L’objectif est d’éviter une surévaluation du bien: les banques limitent le risque lié au crédit et le particulier est assuré de payer le juste prix. Notre rôle dans ce projet est de fournir un algorithme qui se baserait sur de nombreuses données comme les caractéristiques intrinsèques du bien, la localisation, la distance par rapport aux principaux lieux de travail et le voisinage – le bien est-il situé dans un couloir aérien, non loin d’une usine ou près d’un parc ? – pour fournir de la manière la plus rigoureuse et la plus fine possible la valeur réelle d’un bien immobilier ».

Transformation digitale et bien-être subjectif

« Les effets du logement abordable sur le bien-être subjectif constitue une autre piste que nous souhaitons explorer », ajoute Magdalena Górczyńska. « Ce  projet, financé par le FNR, se concentre sur l’évaluation des caractéristiques des logements abordables et de leur impact sur le bien-être. Dans le futur, nous souhaitons élargir ce champ de recherche, notamment par une réflexion sur les effets de la transformation digitale sur le bien-être dans une double perspective. La première concerne la gestion des logements sociaux. Grâce à la mise sur pied d’une base de données intégrant de nombreuses informations sur les bénéficiaires de ces logements et l’utilisation de la cartographie intelligente (Smart Mapping) comme c’est le cas actuellement en Angleterre, il sera possible de mieux gérer le stock de logements disponibles, de diminuer le temps de vide locatif et d’identifier les endroits où développer de nouvelles résidences. Viendra ensuite un deuxième volet consacré à l’amélioration de la qualité de vie grâce aux objets et solutions intelligentes à la maison, en particulier pour les personnes âgées et à mobilité réduite ».

Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER)
Maison des Sciences Humaines
11, Porte des Sciences
L-4366 Esch-sur-Alzette/Belval
contact@liser.lu
www.liser.lu