Sur le chemin d’une mobilité plus responsable
En tant que professionnel de la mobilité individuelle, l’Automobile Club du Luxembourg (ACL) participe à son échelle au façonnement des modes de déplacement de demain. Partenaire du projet pilote de développement du concept de «Mobility as a service» au sein du quartier Elmen à Olm, le club suit également de près l’évolution de la mobilité en entreprise et de la législation en matière d’électrification. Tour d’horizon de ces actualités avec Jean-Claude Juchem, CEO de l’ACL.
Quelle est votre contribution au projet Elmen de la SNHBM?
Ce quartier de 800 logements construit par la SNHBM fait l’objet d’un projet pilote en matière de mobilité. En effet, ces habitations ne comprendront pas de parking intégré. En revanche, plusieurs grands parkings communautarisés reprenant deux emplacements par logement seront dispersés à travers le quartier et équipés de 20 bornes de recharge électrique et de mBox.
À travers l’application que nous allons proposer, nous opérerons la gestion intelligente des parkings regroupant 2 000 emplacements selon trois types de profils: les habitants, leurs invités et les véhicules partagés. Comme les places ne seront pas attitrées, chaque arrivant sera redirigé vers la plus proche du logement où il se rend. Cette gestion optimisée et intelligente permettra le pré-encodage des plaques d’immatriculation dans le système pour valider automatiquement l’accès au parking aux habitants ou à leurs invités. Lors de visites spontanées, ces derniers pourront contacter notre call-center disponible 24h/7j via un parlophone et recevront alors un QR-code d’accès.
Grâce à cette application, les habitants accèderont aux mêmes services que nos membres et pourront sélectionner et louer des véhicules de tous types, de toutes motorisations et éventuellement adaptés aux personnes à mobilité réduite. L’application permettra également de déverrouiller et de restituer un véhicule. Notre plateforme sera connectée à celle des transports publics, le consommateur de mobilité pourra ainsi consulter en ligne les délais de déplacement selon le moyen de locomotion et faire son choix sur cette base. Grâce à ce concept de «Mobility as a service», tous les besoins en mobilité seront couverts et nous espérons par là réduire le nombre de véhicules personnels sur le site.
Parlez-nous de votre collaboration avec l’Université du Luxembourg dans le cadre de la création d’une formation en Mobility Management…
Notre réflexion est partie des résultats d’une étude menée en 2017 par le ministère de la Mobilité montrant que la scolarité et le travail étaient les principales causes de l’encombrement des routes. Nous avons pensé qu’à l’instar du travailleur désigné à la sécurité, un «Mobility Manager» devrait être chargé d’informer les collaborateurs et la direction des différents moyens de transport existants, d’identifier des solutions collectives et de proposer des alternatives à la mobilité individuelle. Si cette formation de trois jours devenait obligatoire, cet expert en mobilité pourrait avoir un réel impact dans l’entreprise. À travers celle-ci, nous voulons rassembler les employés qui traitent de la même problématique dans différentes sociétés afin de créer un réseau et développer des services de mobilité communs à leur zone. Ils pourraient également échanger les bonnes pratiques déployées en interne.
Suite à l’analyse des émissions de CO2 de notre flotte, nous avons réduit ces dernières de 20% grâce à des solutions simples comme le télétravail des employés. Il s’agit d’un exercice facile d’analyse que nous comptons intégrer à notre formation en Mobility Management afin de répandre cette pratique. Par ailleurs, nous pensons qu’à l’instar d’une tendance qui fonctionne chez nos voisins allemands, les entreprises devraient encourager à la multimodalité en privilégiant l’octroi d’un budget mobilité permettant de créer son patchwork de solutions plutôt qu’en fournissant systématiquement une voiture de fonction.
La Commission européenne a annoncé la fin de la vente de motorisations thermiques en 2035: que penser de cette décision?
Nous soutenons la décarbonisation de la mobilité, mais ne comprenons pas la volonté européenne de tout miser sur l’électrique… Les moteurs thermiques pourraient par exemple être alimentés en carburant synthétique neutre en CO2.
L’électrification connait par ailleurs des limites: nous l’avons vu récemment avec les inondations, comment se déplacer si le réseau électrique doit être suspendu? C’est pourquoi nous militons pour une cohabitation de plusieurs solutions neutres en carbone. L’hydrogène est par exemple une solution d’avenir, or le Luxembourg ne compte aucune station de recharge de ce type. Pour une entreprise comme l’ACL devant transporter des charges lourdes – lors de nos dépannages – et devant être opérationnelle 24h/7j, il s’agirait d’une excellente solution. Nous ne pouvons en effet pas nous permettre d’investir dans 30% de véhicules supplémentaires pour permettre un roulement lors des recharges!
Un budget mobilité permettant de créer son patchwork de solutions en alternative à la voiture de fonction
Au Luxembourg, seulement 6,15% des véhicules sont actuellement électriques ou hybrides. Les ambitions du gouvernement d’atteindre un taux d’électrification de 49% d’ici 2030 semblent donc assez irréalistes… Dans la même idée, le gouvernement avait annoncé déployer 800 bornes de recharge d’ici 2020, or nous n’en comptons aujourd’hui qu’environ 500. Les entreprises se heurtent par ailleurs aux limites du réseau lorsqu’il s’agit d’installer de nouvelles bornes et doivent souvent prévoir l’installation très coûteuse d’un transformateur. Se pose alors la question de son financement… Le même problème se pose au niveau des résidences!
Enfin, en 2035, c’est la vente de véhicules thermiques neufs qui sera interdite, beaucoup d’entre eux seront donc encore en circulation puisque la durée moyenne de vie d’un véhicule est estimée à quinze ans. De plus, on compte plus de 60 000 véhicules de plus de dix ans au Luxembourg: ces personnes auront-elles les moyens, surtout après la crise économique liée au Covid-19, d’investir dans un véhicule électrique?
Le Luxembourg, ne produisant pas de véhicules, pourrait profiter de cette neutralité pour créer un cadre ouvert à l’innovation et à d’autres solutions non-polluantes, plutôt que d’imposer l’électrification comme chemin unique. Nous recommandons enfin au gouvernement de mesurer les actions prises jusqu’ici en matière de mobilité pour évaluer si la politique mise en place peut porter ses fruits, puis d’adapter sa stratégie en fonction des conclusions de cette analyse…
Par M. Cappuccio