L’ENVIRONNEMENT URBAIN PEUT AIDER À MIEUX VIEILLIR
La population résidente au Luxembourg est vieillissante. En 50 ans, le nombre des seniors a triplé au Grand-Duché, passant de 33 958 en 1961 à 99 986 en 2017. Il pourrait même largement dépasser les 250 000 personnes d’ici 2060 d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (1). Face à ce phénomène en constante augmentation, la question du bien vieillir se pose avec de plus en plus d’acuité pour la santé publique. Mais le problème est complexe. La santé des personnes âgées est en effet conditionnée par plusieurs facteurs, et notamment environnementaux comme l’explique Camille Perchoux, chercheuse au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER).
Géographe et docteur en épidémiologie, Camille Perchoux effectue ses recherches au département Développement urbain et mobilité dans le cadre du projet international CURHA (Constrasting Urban settings for Heathy Aging), financé au Luxembourg par le Fonds National de la Recherche (FNR). En collaboration avec deux instituts de recherche en France et au Canada (2), le LISER a réalisé entre 2015 et 2016 une enquête auprès de 470 personnes résidentes au Luxembourg et âgées de plus de 65 ans. L’objectif était de collecter des données détaillées sur leur environnement urbain, leur mobilité et leur santé. Outre un questionnaire sous forme de cartes interactives, l’enquête a fait appel à un dispositif innovant utilisant à la fois un GPS et un accéléromètre pour relever des informations relatives aux lieux fréquentés, à l’activité physique et aux modes de transport. « Nous sommes encore aujourd’hui dans une phase d’exploitation de ces données », précise Camille Perchoux, « mais nous avons déjà pu publier quelques études intéressantes. »
L’influence de la morphologie des rues sur le potentiel piétonnier
L’une d’entre elles a mis en évidence l’influence de la forme urbaine et de la morphologie des rues sur la probabilité de marcher chez les personnes âgées. Au Luxembourg, des quartiers accueillants et agréables avec de nombreux commerces, des services de proximité, des lignes de transports en commun à haute fréquence et des parcs inciteront davantage les personnes âgées à se déplacer à pied. De même, le niveau de connectivité et la longueur des rues vont augmenter le potentiel piétonnier. Des artères grandes et longues avec peu de croisements de rues favoriseront moins la marche qu’un réseau de rues relativement courtes, avec très peu de culs-de-sac et un grand nombre de carrefours, qui permet aux piétons de choisir entre de multiples itinéraires. « Nous pensons également que les seniors sont plus enclins à se déplacer à pied pour des destinations sociales et récréatives parce qu’il n’y a pas de contraintes de temps et d’espace. C’est moins le cas pour les destinations utilitaires (aller à la pharmacie ou chez le coiffeur, faire ses courses, etc.) où il faut se rendre dans un lieu précis et à un moment précis. »
Une autre étude a analysé les liens entre la mobilité et le bien-être. « Ces liens ont déjà été commentés dans la littérature scientifique mais nous avons pu apporter une nuance supplémentaire en décomposant les notions de mobilité et de bien-être », poursuit Camille Perchoux. « Pour la première, nous avons fait une distinction entre la motilité – le potentiel de mobilité de la personne âgée (compétences physiques, facilité d’accès à des transports en commun, etc.) – et le mouvement – le fait de se déplacer. Pour la deuxième, nous avons différencié le bien-être hédonique – le plaisir immédiat – et le bien-être eudémonique – un bonheur plus profond. En reliant ces 4 concepts entre eux, nous avons constaté que la motilité avait un impact direct et positif sur le bien-être eudémonique mais pas le mouvement. En d’autres termes, ce n’est pas le fait de se déplacer qui va améliorer le bien-être profond de la personne âgée mais bien toutes les possibilités de déplacement qui s’offrent à elle dans son environnement immédiat. »
Ce n’est pas le mouvement qui a un effet positif sur le bien-être des aînés mais le potentiel de mobilité à leur disposition
Une approche holistique indispensable
« Cela étant, créer un environnement favorable à l’activité physique chez les aînés ne peut pas se traduire seulement par une meilleure offre de mobilité », avertit Camille Perchoux. « Nous avons ainsi étudié l’énergie dépensée par les seniors lorsqu’ils se déplaçaient, que ce soit à pied, à vélo ou dans les transports en commun. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’un phénomène de compensation se produisait généralement lorsque les personnes âgées se montraient plus actives que d’habitude dans leurs déplacements. Avant ou après les déplacements en question, la majorité de la population étudiée avait tendance à compenser ce surcroît d’activité physique par un excès d’inactivité. Au final, même si le senior dispose de meilleurs accès aux transports et se déplace plus facilement, il ne va pour autant augmenter globalement sa dépense énergétique. » D’où l’importance pour les pouvoirs publics de bien prendre en compte tous les facteurs environnementaux encourageant l’activité physique et pas uniquement les transports.
(1) Projections macroéconomiques et démographiques de long terme : 2017-2060, Bulletin du STATEC n°3, novembre 2017.
(2) L’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) et le CR-CHUM (Centre de Recherche – Centre Hospitalier de l’Université de Montréal, Canada).
Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER)
Maison des Sciences Humaines
11, Porte des Sciences
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