Droits humains en entreprise: le Luxembourg en fait-il assez?

Depuis son élection au Conseil des droits de l’homme aux Nations Unies en 2021, le Luxembourg n’a adopté aucune législation pour protéger ces droits fondamentaux. L’introduction d’une directive européenne demandera des procédures longues de près de dix ans, alors que la population luxembourgeoise a manifesté le désir d’un cadre légal en la matière, selon la dernière enquête ILRES. Pour débloquer la situation, l’Initiative pour un devoir de vigilance a élaboré une proposition de loi qui a récemment été déposée à la Chambre des députés.

Un engagement fantôme

Le 14 octobre 2021, le Luxembourg a été élu pour la première fois par l’Assemblée générale des Nations unies à un siège de membre du Conseil des droits de l’homme pour le mandat 2022-2024. Cet accomplissement avait été rendu possible par une campagne gouvernementale pour la protection des défenseurs des droits humains et l’abolition du travail des enfants. Pourtant, l’État n’a pris aucune mesure législative en ce sens, malgré une étude commandée par le ministère des Affaires étrangères et européennes et des travaux menés dans un comité interministériel.

Bien qu’une proposition de directive européenne pour le milieu du travail soit actuellement en négociation et doive être finalisée pour 2024/2025, il faudra attendre la fin de la décennie pour qu’elle soit mise en application au Luxembourg en raison des délais de transposition de plusieurs années, auxquels s’ajouteront une attente supplémentaire pour la mise en œuvre dans certaines entreprises. De plus, le Grand-Duché n’a pas fait preuve de la plus grande rapidité dans l’adoption concrète des législations européennes en la matière: deux ans et demi après l’introduction d’un règlement sur les minerais de conflit pour tout le Vieux Continent, aucune loi-cadre luxembourgeoise n’a été créée.

La population elle-même déplore cette situation: la dernière enquête ILRES a révélé que 87% des résidents du pays sont en faveur d’un règlement empêchant le financement de sociétés dont les activités seraient liées à des violations des droits humains et des dommages environnementaux. Trois habitants sur quatre sont d’avis qu’il faudrait introduire une telle législation avant les élections d’octobre 2023.

Initier un véritablement changement

Afin de faire sortir le gouvernement luxembourgeois de son inertie, l’Initiative pour un devoir de vigilance a élaboré une proposition de loi concernant les entreprises. Celle-ci reprend notamment deux éléments d’ores et déjà défendus par le Grand-Duché, à savoir l’inversion de la charge de la preuve en faveur de la victime (les entreprises disposant de l’information nécessaire pour prouver qu’elles ont tout mis en oeuvre pour éviter des violations) et le contrôle au niveau de toute la chaîne de valeur.

D’autres éléments clés viennent compléter la proposition, dont l’élaboration d’un plan de transition écologique conforme à l’accord de Paris pour les entreprises montrant des incidences négatives sur le changement climatique, ou encore la création d’une autorité de contrôle du devoir de vigilance. À noter aussi que la proposition comprend également une différenciation en fonction de la taille et de la capacité des sociétés.

L’Initiative avait invité tous les partis politiques à déposer la proposition. Seuls D’Piraten et déi Lenk ont répondu positivement à cet appel. Le chemin reste donc encore long avant qu’un véritable tournant soit engagé dans le domaine des droits humains au sein des entreprises luxembourgeoises (ou ayant leur siège au Luxembourg).

Par P. Paquet
Photo: ©Initiative pour un droit de vigilance