«Nous n’avions pas d’autre choix que de nous battre»

Association discrète parmi les organisations de la société civile grand-ducale, son nom et, plus important encore, ses actions sont désormais connus de presque tous les Luxembourgeois. Depuis 2013, LUkraine asbl apporte un soutien humanitaire aux régions touchées par la guerre du Donbass et promeut la langue, la culture et les traditions de la communauté ukrainienne établie au Grand-Duché. L’aggravation de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, le 24 février dernier, a renforcé la combativité de ses membres et a mis ses actions sur le devant de la scène. Inna Yaremenko, Vice-présidente, revient sur les trois mois qui se sont écoulés depuis. 

Pouvez-vous nous présenter LUkraine asbl en quelques mots? 

L’association est née en décembre 2013, dans le contexte des manifestations de l’Euromaïdan qui a débouché sur la révolution de la Dignité en Ukraine. Les ressortissants qui vivaient alors au Luxembourg se sont réunis pour montrer leur soutien au peuple ukrainien. Nous existons depuis lors et menons beaucoup de projets différents. Déjà à l’époque, nous nous sommes organisés pour envoyer de l’aide humanitaire dans notre pays d’origine. Au-delà, nous cherchions à sensibiliser le public luxembourgeois à la situation sur place, notamment en organisant divers évènements comme des manifestations, des conférences ou des rencontres avec des prisonniers politiques. Enfin, l’une de nos grandes missions était de faire connaître la langue, la culture et les traditions ukrainiennes au Grand-Duché. Notre communauté est d’ailleurs une des plus actives d’Europe. Bien sûr, nos activités ont été ralenties ces deux dernières années en raison de la crise du Covid-19. Jusqu’au 24 février dernier… 

Comment l’invasion russe de l’Ukraine a-t-elle affecté vos activités? 

Cette invasion n’a pas seulement bouleversé notre communauté, elle a bouleversé le monde entier. Je me souviens parfaitement de cette journée – nous sommes sortis dans la rue et avons commencé à former une équipe de bénévoles –, mais plus très précisément de celles qui ont suivi tant nous étions mobilisés. Plusieurs de nos membres, moi y compris, ont bénéficié d’un congé spécial et ont pu quitter leur emploi principal afin de se consacrer totalement à notre bataille. Nous n’avions pas d’autre choix que de nous battre; il le fallait pour nos proches restés sur place. L’équipe qui s’est rapidement constituée comptait une trentaine de personnes qui coordonnaient toutes les activités et quelque 600 bénévoles ukrainiens ou luxembourgeois qui voulaient se rendre utiles après le travail ou le week-end. Ce mouvement de solidarité était absolument incroyable. Nous n’avions jamais vu un tel soutien. Écoles, hôpitaux, agences immobilières, restaurants, banques… tout le monde voulait faire quelque chose. Nous travaillions presque jour et nuit pour récolter cette aide. 

Dans un premier temps, nous avons formé une équipe chargée d’organiser l’aide humanitaire. Grâce aux Hôpitaux Robert Schumann, nous avons pu établir des points de collecte pour recevoir des dons de matériel médical notamment. Notre deuxième mission a rapidement été d’accueillir les réfugiés qui arrivaient en nombre par leurs propres moyens ou ramenés en sécurité ici par des Luxembourgeois qui avaient expressément fait le voyage jusqu’aux frontières ukrainiennes. En créant une équipe dédiée, nous nous sommes chargés de cet accueil en attendant que le gouvernement mette en place les procédures nécessaires. En une nuit, nous avons créé un site internet regroupant toutes les informations utiles aux réfugiés. Nous avons également mis en place une hotline pour répondre à leurs nombreuses questions. Maintenant que le gouvernement a établi une procédure et ouvert un centre de primo-accueil, nous laissons le soin d’accueillir les personnes qui fuient la guerre à Caritas et à la Croix-Rouge. De notre côté, nous continuons d’apporter notre aide via l’infocentre que nous avons mis en place. Les réfugiés peuvent y trouver tout type d’information, que ce soit sur la façon de s’enregistrer au Luxembourg ou d’y trouver un travail. 

L’élan de solidarité a été tout bonnement incroyable

Par ailleurs, nous organisons des cours de langue, de danse et venons d’ouvrir une bibliothèque. Nous continuons bien entendu de récolter des dons de nourriture et de vêtements, ainsi que de matériel médical. Depuis le 24 février, nous avons envoyé quelque 700 tonnes d’aide humanitaire en Ukraine, un effort impressionnant proportionnellement à la taille de notre communauté. Nous avons également mis en place le projet Uambulance qui vise à collecter des dons pour acheter des ambulances. Ces derniers mois, nous en avons envoyé cinq en zone de guerre. Nous avons aussi la volonté de rénover un hôpital en Ukraine et récoltons de l’argent pour ce faire. Nous venons également de signer un partenariat avec Doctena pour offrir une aide psychologique aux réfugiés sur la plateforme en ligne. 

Enfin, nous cherchons un endroit où ériger notre «Ukrainian Culture Center». Environ 6.000 Ukrainiens vivent aujourd’hui au Grand-Duché, contre 2.000 avant l’invasion russe du 24 février. Notre communauté a plus que triplé et l’intérêt pour l’Ukraine et sa culture a fait un bond. C’est pourquoi nous souhaitons continuer à organiser divers évènements pour faire découvrir nos traditions.  

Comment évaluez-vous les mesures qui ont été prises au Luxembourg pour accueillir et soutenir les réfugiés? 

Nous n’avons pas de chiffres précis mais, trois mois après l’aggravation du conflit, la plupart des réfugiés sont déjà installés, soit dans des familles, soit dans des hôtels. Bien sûr, certains attendent encore au centre de primo-accueil de recevoir le statut temporaire qui leur permettra de trouver un logement ou une famille d’accueil. Si les choses bougent, notons que, le marché immobilier étant ce qu’il est, très peu de réfugiés sont parvenus à trouver leur propre logement. En outre, après trois mois, certaines familles d’accueil peuvent commencer à rencontrer des difficultés financières. En effet, certains ménages ont plus que doublé sans recevoir aucun financement supplémentaire. Si quelques-uns ont introduit une demande auprès du gouvernement, ils ne reçoivent rien pour le moment. C’est pourquoi nous continuons de récolter de la nourriture et des vêtements. Rappelons également que la guerre n’est pas finie et que des réfugiés continuent d’arriver, bien qu’à un rythme moins soutenu. Nous attendons donc l’ouverture de 1.000 places supplémentaires dans un hôtel du Kirchberg. 

Je souhaiterais aussi saluer tous les acteurs publics luxembourgeois, que ce soit la Ville de Luxembourg, la Ville d’Esch mais aussi de nombreuses autres communes (comme Hesperange, Strassen, Walferdange, Kopstal, Differdange, Contern, Bissen) ainsi que tous les ministères pour l’aide qu’ils nous ont apportée. Pour n’en citer qu’un, nous remercions chaudement le ministère de l’Éducation car la plupart des enfants qui sont arrivés au Grand-Duché sont aujourd’hui scolarisés. 

Que peuvent faire les Luxembourgeois pour continuer à vous aider? 

La réponse se trouve dans la question: continuer à aider, à faire des dons, à fournir de l’aide humanitaire, à participer à nos manifestations, à parler tout simplement. J’aimerais remercier le Luxembourg et les Luxembourgeois car l’élan de solidarité a été tout bonnement incroyable. Mais, à vrai dire, l’aide a diminué ces dernières semaines, alors que la guerre continue et qu’elle n’est pas loin d’ici! Trois mois après l’aggravation du conflit, les gens commencent à «s’y habituer». Le pire est d’être oubliés. Nous devons continuer à nous battre ensemble car l’Ukraine protège aujourd’hui l’Europe toute entière et ses valeurs. 

Par A. Jacob