SÜDSPIDOL, L’HÔPITAL QUI BOULEVERSE LES CODES

Les longs couloirs, les files d’attente, l’angoisse, l’austérité et la promiscuité,… Et si, au contraire, l’hôpital devenait un lieu de vie intégré, humain et sain qui favorise les processus de guérison ? Marcel Klesen, coordinateur de processus, infrastructure et logistique au Centre Hospitalier Emile Mayrisch et pour le projet Südspidol, livre des éléments de réponse. Il revient sur les principales caractéristiques de ce nouvel hôpital qui remet les relations entre le personnel médical et les patients au cœur des préoccupations.

Comment a été imaginé le projet Südsipdol ?

Au départ, l’idée était de fusionner les trois sites, à savoir l’Hôpital PrincesseMarie-Astrid de Niederkorn, le Centre Hospitalier Emile Mayrisch d’Esch-sur-Alzette et l’Hôpital de la ville de Dudelange, en un seul. Cette fusion a donné lieu au projet Südspidol. Il sera implanté à Esch-sur-Alzette à l’horizon 2025 et aura pour objectif de répondre à toutes les exigences de l’hôpital du futur tout en apportant des bénéfices en termes d’organisation.

De nombreuses études ont été réalisées, notamment à propos des processus clés qui animent la vie hospitalière : les urgences, les ambulances, l’hospitalisation, les soins, les interventions chirurgicales,… Nous avons posé énormément de questions à nos collaborateurs car ce sont eux qui sont au plus proche des problématiques du métier. Comment voient-ils l’hôpital de demain ? Quels sont leurs besoins actuels et futurs ? Quelles sont les attentes des patients ? Les réponses à ces questions ont révélé une multitude de points de vue. Pour y répondre, nous avons imaginé un hôpital intelligent, doté d’outils modernes et innovants, et surtout flexible pour qu’il puisse s’adapter au fur et à mesure des avancées technologiques. Contrairement aux idées reçues, ce sont les processus et les fonctionnalités qui ont défini l’architecture finale du bâtiment.

Les processus et les fonctionnalités ont défini l’architecture finale du bâtiment

Quels sont-ils et comment cela s’est-il traduit au niveau de l’architecture ?

L’architecte autrichien Albert Wimmer a remporté le concours en 2015. A l’avenir, le Südspidol se divisera en trois parties bien distinctes qui auront chacune une utilisation spécifique et qui permettront de mieux gérer les flux. A l’entrée de l’hôpital se trouveront les urgences, les salles d’opération, les services de soins aigus ou encore l’imagerie médicale. Il sera conçu pour séparer les patients selon leurs différentes pathologies. Vient ensuite le bâtiment 500 qui regroupera les activités administratives et un centre d’oncologie. Enfin, la dernière structure accueillera les services de soins de longue durée ainsi que des services de gériatrie et de psychiatrie.

En opérant de la sorte, nous parvenons à scinder les flux de logistique, des patients, des visiteurs et du personnel. Une telle séparation offre beaucoup d’avantages en termes d’organisation, d’intimité, d’hygiène ou d’optimisation.

Lors de la phase de conception, nous avons privilégié les chemins courts au détriment des longues distances afin d’être plus proche du patient. Traditionnellement habitué aux longs couloirs, le personnel se trouvera ici au centre d’un triangle de 30 chambres, soit 90 chambres par étage. Le bâtiment sera triangulaire par sa forme mais circulaire par son fonctionnement, ce qui permettra d’avoir une vue générale sur les différentes unités sans devoir parcourir de longues distances. Cet agencement sera bénéfique, à la fois pour le patient et pour le personnel.

Le site contiendra notamment 1 500 places de parking. Celui-ci sera conçu de façon à faciliter son démontage si les habitudes de mobilité changent.

Quels sont les autres processus mis en place pour favoriser les relations entre eux ?

La proportion de chambres individuelles sera très élevée (82%). C’est relativement inhabituel pour un hôpital mais cela permettra d’offrir un meilleur confort au patient et au corps médical. Quant aux chambres doubles, elles seront davantage utilisées pour la gériatrie et la psychiatrie, des services où il est nécessaire de conserver les interactions sociales.

Dans un hôpital, la logistique joue un rôle primordial. Au Südspidol, celle-ci sera organisée à l’aide de robots qui transporteront les marchandises comme les médicaments ou le linge. En coulisses, ceux-ci s’activeront au niveau moins deux, puis se rendront à l’ascenseur dédié pour qu’un collaborateur puisse s’en occuper par la suite. Ces processus automatisés faciliteront le travail du personnel qui pourra davantage se concentrer sur les soins donnés aux patients.

La géolocalisation fera aussi partie des initiatives mises en place pour recentrer le coeur de métier sur les patients. En intégrant cette technologie pour tracer les lits, les pompes à perfusion, les chaises roulantes ou tout autre matériel, nous éviterons le stress ainsi que les pertes de temps et d’énergie qui sont des facteurs cruciaux dans le domaine de la santé. Dans ce secteur, la digitalisation change la manière de travailler, mais elle ne supprime pas d’emploi.

Le nouvel hôpital fera office de “living lab”

Quelles sont les autres technologies qui sont utilisées en matière de Smart Building ?

L’IoT et les différents algorithmes liés au bâtiment et aux dossiers de soins partagés des patients faciliteront la maintenance de l’hôpital grâce à des processus plus allégés et logiques.

Certains de ces processus sont déjà mis en place dans nos trois sites actuels, ce qui nous permet de tester leur efficacité et leurs bénéfices pour le patient et le personnel. A Niederkorn, par exemple, la cuisine est en cours de transformation afin d’essayer les nouveaux chariots et systèmes de production pour les repas.

Les données – souvent médicales et personnelles – sont sensibles mais permettent de favoriser le traitement et la guérison du patient. Est-ce difficile d’allier cet aspect à celui du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) ?

Non, car le RGPD est directement intégré dans nos processus de telle sorte que tout soit sécurisé. A nos yeux, le respect des données personnelles et médicales du patient est extrêmement important puisqu’elles sont intouchables. Des règles existent, mais elles évolueront certainement avec le temps.

Plusieurs types de données sont exploitables et certains sont moins sensibles que d’autres qui sont anonymisés, comme ceux qui concernent les flux de déplacement par exemple.

Le dossier du patient, et toutes les données qui lui sont inhérentes, est connecté au système du bâtiment pour favoriser la prise en charge et les soins. La cybersécurité jouera un rôle majeur dans les processus.

La digitalisation change la manière de travailler, mais elle ne supprime pas d’emploi

Qu’en est-il au niveau de la production d’énergie et des aspects environnementaux ?

Le bâtiment sera chauffé au gaz, mais il respectera les normes en vigueur au niveau de l’isolement thermique. Les matériaux ont été choisis pour n’engendrer aucun effet négatif sur le patient car le cahier des charges impose un suivi très précis au niveau des composants chimiques des matériaux.

Des panneaux photovoltaïques seront également installés, tout comme une station de traitement pour les eaux usées. L’éclairage naturel sera très important car la géométrie du bâtiment favorisera l’entrée de lumière dans les différentes chambres, à la fois à l’extérieur mais aussi dans sa cour intérieure. Nous miserons sur l’éclairage LED, moins gourmand en énergie et dimmable. L’intelligence du système sera couplée à celui du bâtiment. En d’autres termes, après une opération, le chirurgien pourra prescrire un certain type de lumière, comme il lui prescrirait un médicament. Les températures de couleur et la luminosité, par exemple, jouent sur le biorythme d’une personne.

Notre objectif sera aussi d’impacter l’environnement autour de l’hôpital avec la plantation d’arbres, la création de zones vertes, de jardins thérapeutiques, ou encore la renaturation de la rivière Dippach.

Le projet Südspidol sera notamment certifié DGNB Platine (Deutsches Gütesiegel für Nachhaltiges Bauen) un label qui mise sur le passeport des matériaux.

Justement, l’économie circulaire prend-elle une place importante dans la conception et le fonctionnement du bâtiment ?

L’économie circulaire est effectivement un domaine qui nous intéresse. Le Smart Building est un concept vivant, ce n’est pas un cercle fermé, d’où notre utilisation du Building Intelligence Modeling (BIM). Le Südspidol est certainement le projet le plus vaste et le plus complexe au Luxembourg et dans la Grande Région. L’intégration du passeport des matériaux n’est pas si simple à réaliser. La technologie doit en effet encore évoluer pour pouvoir automatiser et comptabiliser les processus ; parmi ceux-ci : le taux de recyclage des matériaux, la réutilisation et la réparabilité.

Le concept d’économie circulaire implique également d’autres paradigmes et Business Models où la location remplace l’achat. Nous l’utilisons déjà pour l’ICT, avec la solution « software as a service ». Pourquoi ne pas l’étendre à la solution « product as a service » qui concerne l’éclairage, le mobilier,… ? Garder les ressources dans un cercle, c’est l’un des principes de l’économie circulaire !

Finalement, à travers ce projet, nous essayons de créer des impacts positifs dans tous les domaines en nous montrant visionnaires mais aussi pragmatiques. Nous souhaitons devenir un exemple, car l’Etat a aussi la responsabilité de montrer ce qu’il est possible de réaliser et toutes les caractéristiques du projet Südspidol vont dans ce sens.

Le nouvel hôpital fera office de « living lab » pour les différentes startups qui s’intéressent aux nouvelles technologies et aux nouveaux processus. L’hôpital produira des données et il sera nécessaire de les exploiter, qu’elles soient médicales, énergétiques, environnementales ou liées à l’écosystème du bâtiment.

Par P. Birck