Metaverse: quand la fiction dépasse la réalité

«Metaverse»: ce mot est sur toutes les lèvres depuis quelques mois et notamment depuis que Marc Zuckerberg, fondateur de Facebook, a annoncé le changement du nom de son entreprise. Littéralement, «meta» signifie autour/au-delà et «verse», l’univers. Le terme futuriste désigne donc un univers parallèle ou alternatif… un monde où le virtuel vit et interagit avec le réel et inversement. Le potentiel du metaverse est aussi flou qu’infini. Notre société s’est digitalisée depuis des décennies. La frontière entre le réel et le virtuel s’amincit et les deux univers, a priori opposés, fusionnent peu à peu. Jusqu’alors, le numérique était considéré comme un moyen. Le metaverse, lui, bouleverse les codes et pourrait même devenir une fin en soi, où la vie physique se transformerait en un moyen de la vie virtuelle. Focus sur une technologie qui offre une multitude d’opportunités de développement, mais qui, mal utilisée, pourrait menacer l’essence même de la vie humaine. 

Basé sur la réalité virtuelle et la réalité augmentée 

Alors que les crises économiques, sanitaires, diplomatiques, énergétiques ou environnementales bouleversent le monde et l’équilibre naturel, une nouvelle technologie pointe peu à peu le bout de son nez. Son nom est sur toutes les lèvres des géants du numérique et des multinationales: le metaverse. À l’origine conçu comme un jeu vidéo en réalité virtuelle, il s’est ensuite implanté dans de nombreux domaines et business aussi divers que variés… au point même de devenir une société virtuelle dans laquelle avatars de personnes physiques et réelles ont la possibilité de vivre une seconde vie avec leur soi numérique. 

S’il peut sembler révolutionnaire, le concept de metaverse n’est pas récent. Certains ouvrages de science-fiction ont déjà abordé la thématique à la fin du 20e siècle. En écrivant «Le Samouraï virtuel» en 1992, Neal Stephenson a été le premier à imaginer une telle technologie. En 2003, Linden Lab a développé «Second Life», un monde virtuel dans lequel les utilisateurs incarnent des personnages dans un environnement créé par les joueurs eux-mêmes et fonctionnant en tant que metaverse. 

Si la vie virtuelle a plus de valeur que la vie réelle, l’Humanité pourrait basculer dans une toute autre logique

À l’heure actuelle, deux nouvelles technologies sont nécessaires pour entrer dans ces mondes parallèles: la réalité augmentée et la réalité virtuelle. La première intègre simplement des aspects et éléments virtuels dans le monde réel. La seconde est plus immersive car elle simule un environnement qui dépasse les frontières du réel, en trois dimensions, grâce à divers équipements. Le casque de réalité virtuelle est l’un d’entre eux et permet d’immerger l’utilisateur à travers une expérience à 360 degrés. S’il est déjà largement utilisé dans les jeux vidéo, d’autres secteurs, industriel ou marketing, se penchent déjà sur la question et investissent dans le metaverse. En effet, selon Bloomberg, celui-ci pourrait devenir une économie alternative atteignant des revenus potentiels de 800 milliards de dollars en 2024. 

Néanmoins, le concept se heurte encore à diverses contraintes pour se vulgariser. Pour le moment, les appareils qui permettent d’entrer dans le metaverse sont soit onéreux, soit lourds et difficiles d’utilisation. Les géants du web et des technologies, tels que Microsoft ou Meta, devront collaborer pour proposer des alternatives et ainsi accélérer la diffusion du metaverse.  

Une révolution pour le web  

Selon Marc Zuckerberg, fondateur de Facebook, le metaverse n’est rien d’autre que le futur d’internet et promet ainsi une nouvelle expérience par rapport à ce qui existe déjà sur le web: le streaming, les réseaux sociaux, les jeux, les visioconférences ou encore le shopping en ligne. Il estime néanmoins que les metaverses ne sont pas obligatoirement en trois dimensions car un écran classique peut suffire. «Ils sont un ensemble d’espaces virtuels où vous pouvez créer et explorer avec d’autres personnes qui ne se trouvent pas dans le même espace physique que vous. Vous pourrez passer du temps avec des amis, travailler, jouer, apprendre, faire du shopping, créer et plus encore», a-t-il expliqué.  

Des multinationales ou des grandes entreprises, comme Carrefour, McDonald’s ou Gucci, acquièrent des «terrains» virtuels dans le metaverse. «Celui-ci pourrait changer la donne, en permettant principalement aux commerces et aux entreprises de faire vivre une expérience immersive totale aux clients et en offrant, à la différence d’un achat en ligne sur un site web, une réelle présence sociale et une interaction avec le personnel du magasin», a indiqué Ingrind Poncin, professeure à la Louvain School of Management de l’UCLouvain lors d’un déjeuner-presse en janvier dernier. Les grandes enseignes et marques pourraient donc y voir un eldorado en matière d’opportunités commerciales ou de communication. D’autres secteurs, tels que le monde de l’entreprise ou de l’éducation, pourront également y voir des opportunités de développement. Pour le premier, il s’agira certainement d’un levier pour mieux organiser le télétravail. Pour le second, l’accès aux connaissances sera probablement décuplé, voire organisé de façon plus ludique; de quoi repenser le monde dans lequel nous vivons. 

Une machine à fantasmes 

L’immersion décuplée, nos futurs avatars en ligne auront également la possibilité de tout réaliser virtuellement et même d’assister à des événements sportifs ou des concerts. En avril 2020, au plus fort du confinement, l’artiste américain Travis Scott, transformé en hologramme, avait donné des concerts sur le jeu vidéo Fortnite. Il avait réuni plus de dix millions de joueurs qui sont devenus spectateurs le temps d’un instant. Au niveau sportif, Manchester City a récemment annoncé la création de son stade dans le metaverse avec l’objectif de développer de nouvelles expériences digitales autour de ce mastodonte du football européen. 

Avec «Facebook Horizon», un réseau social en réalité virtuelle imaginé par Marc Zuckerberg, Facebook franchit aussi le pas et relance ainsi la machine à fantasmes. Le milliardaire américain souhaite réaliser un espace où chacun pourrait détenir son propre avatar et se téléporter dans différents lieux, avec des tenues et objets numériques personnalisés, comme dans le film «Ready Player One» réalisé par Steven Spielberg et sorti en 2018. 

Entre utopie et dystopie 

Finalement, les arguments marketing à propos du metaverse sont nombreux et promettent tous un divertissement sans limite, une échappatoire et un élargissement du champ des possibles, voire de créer un monde utopique. Au risque de délaisser le monde réel, qui a forcément moins de saveurs que cet univers alternatif? La société de consommation actuelle prend aussi le virage du numérique, conservera les codes établis et les basculera dans le metaverse. Acheter une voiture, entreprendre un voyage ou se procurer un vêtement dans le metaverse sera possible et ne se résumera qu’à une seule ligne de programmation. Si les gens accordent davantage d’intérêt à leur double virtuel, alors cette économie digitale engendrera d’immenses profits.  

À l’humanité d’utiliser sciemment le metaverse et de le façonner pour un monde – réel – meilleur

C’est là que le metaverse prend des allures dystopiques. Il n’est autre que le prolongement de nos vies numériques et de la digitalisation du monde. Si la vie virtuelle a plus de valeur que la vie réelle, l’Humanité pourrait alors basculer dans une toute autre logique. Le metaverse donne naissance à de nouvelles façons de consommer, de tisser des relations sociales, d’appréhender le droit ou de travailler.  

De là resurgissent forcément des problématiques structurelles et éthiques. L’être humain derrière son écran sera-t-il considéré comme tel dans l’espace virtuel? Que feront les plus pauvres qui n’ont pas accès à internet? Qu’en est-il de la protection des citoyens face aux diverses menaces connues ou encore méconnues par rapport à l’utilisation de leurs données? N’y a-t-il pas un risque de contrôle de la population? Aux prémices du metaverse, ces questions demeurent encore sans réponse. Comme toutes les technologies, ce concept a ses avantages et ses inconvénients. À l’humanité de l’utiliser sciemment et de le façonner pour un monde – réel – meilleur. 

Par P. Birck