Une politique plus verte, un monde plus juste
L’écologie est aujourd’hui un dossier important sur la table du gouvernement. Mais ce dernier en fait-il assez pour préserver notre planète ? L’organisation Greenpeace Luxembourg a un avis plutôt mitigé sur la question, notamment en matière de finance durable et de justice climatique. Elle considère que les responsables politiques doivent établir un cadre légal plus strict pour développer la transparence de certaines pratiques et, ainsi, limiter les dérives. Nous avons rencontré Raymond Aendekerk, directeur de l’association, pour en savoir plus.
Quelles sont les missions de Greenpeace ?
Greenpeace est une association internationale qui a pour objectif la protection de la nature, de l’environnement, mais également de la paix. Elle a été créée il y a 50 ans aux États-Unis au moment de la lutte contre la bombe atomique qui faisait alors l’objet de tests en Alaska. Petit à petit, l’organisation a grandi et est désormais active dans 55 pays autour du globe.
Chacune des branches nationales a ses spécificités propres et travaille sur des sujets différents, mais toujours liés aux mêmes objectifs écologiques et sociaux. Les bureaux nationaux identifient les ressources dont ils disposent et les actions à mener localement qui auront le plus grand impact à l’international.
Toutefois, nous essayons toujours d’avoir une stratégie commune – puisque nous partageons les mêmes valeurs – et de profiter de la force d’une association internationale. Nous échangeons beaucoup et nous nous inspirons les uns des autres. Aujourd’hui, le groupe compte plus de 3.000 salariés et 3 millions de bénévoles.
Et au Luxembourg ?
Nous sommes un bureau de 19 collègues qui formons différents groupes de travail, le service de collecte par exemple. Celui-ci est très important, car Greenpeace est l’une des rares associations dans le monde à être totalement indépendante. Elle n’est liée à aucune subvention d’aucun gouvernement et d’aucune entreprise. Notre source de revenus provient exclusivement des dons des personnes individuelles – réguliers ou par testament – et, parfois, de fondations.
Une autre équipe essentielle à notre fonctionnement est constituée par les chargés de campagne : ils et elles travaillent sur les sujets que nous traitons dans notre structure en menant des études, des enquêtes ou des actions. Nous nous investissons particulièrement dans la lutte pour l’interdiction des pesticides à base de glyphosate ou contre les OGM. Avant de devenir directeur de Greenpeace Luxembourg en 2016, je travaillais pour la Maison de la Nature où je m’occupais des projets sur la biodiversité et l’agriculture. Cette expérience me permet donc de développer notre engagement sur les sujets liés.
Vous avez également entrepris diverses actions en faveur de la finance durable. Pouvez-vous revenir sur celles-ci ?
En effet, c’est un axe de travail privilégié pour notre bureau. Le Luxembourg occupe une place importante dans le monde bancaire puisque nombre d’institutions financières y sont implantées. Greenpeace Luxembourg a donc une possibilité d’impact conséquent sur ce secteur. De ce fait, nous avons notamment effectué des investigations auprès des banques, en 2021 et à l’automne 2023 : des bénévoles ont contacté plusieurs institutions bancaires afin d’obtenir des informations sur ce qui est fait de l’argent de leur clientèle à partir des fonds d’investissement… et les résultats ne sont guère réjouissants. Bien que la directive MiFID II, qui impose la prise en compte du thème de la durabilité dans le conseil en investissement et la gestion de portefeuille financier, soit en vigueur depuis le 2 août 2022, aucun changement ou presque n’a été constaté entre nos deux enquêtes. Notre étude a montré que les connaissances du personnel des banques sont encore bien trop limitées : un produit sur trois a été promu comme ayant un impact (social, environnemental,…) alors qu’une analyse plus poussée a révélé que cela ne figurait pas dans ses objectifs. De plus, à l’issue des entretiens, les deux tiers des volontaires ont déclaré ne pas se sentir en mesure d’investir conformément à leurs préférences de durabilité.
Si nous nous efforçons de dénoncer les pratiques abusives, il revient au gouvernement de poser le cadre légal dans lequel le secteur financier doit évoluer
Il est temps d’agir ! Nous avons pour mission de mettre en lumière les lacunes qui subsistent encore aujourd’hui. Car, si nous avons de plus en plus conscience de notre impact personnel sur l’environnement, celui des secteurs les plus polluants, alimentés par les investissements des banques, reste encore trop invisible. Nous avons notamment révélé le greenwashing pratiqué par le Fonds de Compensation (FDC). Ce dernier met l’accent sur l’impact soi-disant positif de ses « obligations vertes », qui représentent moins de 2% de son portefeuille total, alors que 98 % de ses investissements n’ont pas fait l’objet d’une analyse. Quant aux chiffres annoncés, ils ne sont pas vérifiables puisque le FDC ne publie pas ses calculs. Le Fonds se vante également de ses 700 ha de forêts certifiés PEFC tout en augmentant ses investissements (de 137 à 143 millions d’euros entre 2021 et 2022) dans les plus grands acteurs mondiaux de la déforestation, tels que JBS, Cargill et Wilmar.
Si nous nous efforçons de dénoncer ces pratiques abusives, il revient au gouvernement de poser le cadre légal dans lequel le secteur financier doit évoluer. Nous demandons d’instaurer davantage de transparence dans la manière dont les fonds d’investissement utilisent l’argent de leur clientèle.
Votre engagement sur ce sujet vous permet-il également de développer celui de la justice climatique ?
Tout à fait. Les investissements des banques luxembourgeoises à l’autre bout du globe ont fait et font encore énormément de dommages. Si chez nous le gouvernement régule l’industrie et s’interroge sur son impact, ce n’est pas toujours le cas ailleurs. Certains pays sont davantage ouverts à une économie plus « sale » et qui rapporte gros. Toutefois, celle-ci est bien souvent dévastatrice pour la biodiversité. Cette situation force les populations locales à se déplacer pour pouvoir survivre. Par exemple, dans certains pays d’Afrique, la sécheresse se fait de plus en plus importante chaque année. Les communautés indigènes ne peuvent plus s’alimenter en eau ou pratiquer l’agriculture. En finançant des entreprises motivées uniquement par l’argent et qui n’ont cure de leurs émissions de CO2 ou des conséquences de leurs pratiques sur la biodiversité, nous avons notre part de responsabilité dans les migrations climatiques qui deviennent de plus en plus courantes. Il est aujourd’hui essentiel de travailler sur une justice climatique pour protéger notre planète et respecter les droits humains.
Par P. Paquet