LE LUXEMBOURG A IMPÉRATIVEMENT BESOIN D’UN « NEW DEAL »
Frank Leuschen, fondateur et administrateur délégué de MC Luxembourg, un cabinet de conseil interdisciplinaire dédié au secteur public et notamment communal, tire la sonnette d’alarme. La crise qui se profile suite à la pandémie de coronavirus risque de mettre à mal les finances luxembourgeoises. Il faut agir vite et donner aux communes les moyens de participer de manière active à la relance de l’économie.
Quelles seront les retombées de l’actuelle crise sanitaire sur l’économie luxembourgeoise, et en particulier pour les communes ?
Au sein de MC Luxembourg, dans l’intérêt de nos clients communaux, nous nous sommes livrés à une série de réflexions sur les impacts de cette crise sur leur situation budgétaire à court et à moyen terme. Nous sommes arrivés à la conclusion que la situation d’instabilité et d’insécurité que nous connaissons actuellement sera bien plus longue qu’initialement estimée. Au départ, tout le monde était convaincu que l’activité économique après-coronavirus aurait une courbe en V, une chute retentissante suivie d’une reprise économique tout aussi impressionnante. Aujourd’hui, de plus en plus d’experts penchent pour un scénario économique en forme de U. L’économie va lourdement chuter, connaître pendant plusieurs mois un plancher puis reprendre lentement. Notre pays est en train de tomber dans une récession qui va se traduire par une baisse comprise entre 5 et 10% du produit intérieur brut (PIB) pour la seule année 2020. Personnellement, je pense que cette situation instable va perdurer pendant encore deux à trois ans et que le Grand-Duché ne retrouvera son niveau économique d’avant-crise qu’après 2022.
Je tire la sonnette d’alarme
Entre-temps, la récession aura engendré des pertes économiques considérables. Pour l’instant, nous n’en ressentons pas encore les effets, mais il est clair que dans un futur proche, le cortège des faillites et des pertes d’emplois risque de s’intensifier, notamment dans les secteurs du commerce, des prestataires de services et des hôteliers, restaurateurs et cafetiers (Horesca).
Les finances communales vont souffrir
Or toute l’économie du pays sera touchée. Dans ce scénario, les recettes de l’État – et par ricochet les finances communales qui dépendent pour les deux tiers de la manne étatique – vont également en souffrir. Comme les besoins en recrutement diminueront, la masse salariale va stagner et l’impôt sur les salaires, une des principales sources de financement de l’État, va plafonner. Par contre, les dépenses, aussi bien celles de l’Etat que des communes, vont continuer à augmenter structurellement, ce qui impactera de manière substantielle les capacités de financement du secteur.
Quelle stratégie préconisez-vous pour éviter ce scénario catastrophe ? Un dispositif identique à celui du « plan Marshall » mis en place pour aider à la reconstruction de l’Europe au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et tel que préconisé par la Commission Européenne ?
Non, car nous ne sommes pas dans une situation comparable à celle qui a prévalu après 1945. Notre économie n’a pas été affaiblie par un conflit armé, mais mise à l’arrêt pour des raisons sanitaires. S’il fallait trouver un élément de comparaison, il faudrait plutôt le chercher du côté de la Grande Dépression, la crise économique mondiale qui a sévi dans les années 30 suite au krach boursier d’octobre 1929 aux États-Unis.
Un « New Deal » : relancement de l’économie par des programmes d’investissements substantiels, qualitatifs et à haute valeur ajoutée, dans l’intérêt d’un développement durable du pays
En fait, ce n’est pas d’un plan Marshall dont nous avons besoin, mais plutôt d’un « New Deal » tel que celui lancé par le président américain Franklin D. Roosevelt entre 1933 et 1938 pour sortir son pays de la récession. Il faut que l’État prenne la relève du privé et adopte une politique interventionniste pour relancer l’économie. Cette politique doit se traduire par la conclusion d’un partenariat entre l’État et le secteur communal, la mise en place, au niveau communal, de programmes d’investissements substantiels, réfléchis, de haute qualité et dans l’intérêt d’un développement durable tant au niveau local que régional, tout en permettant d’assurer, pendant cette période de repli, l’emploi et la promotion du travail. À cette fin, l’État se doit de faciliter aux communes l’accès aux moyens et ressources, notamment budgétaires, dont elles auront besoin afin de mettre en oeuvre leurs investissements prioritaires, notamment en matière d’infrastructures locales. De plus, l’État doit très rapidement mettre en oeuvre et communiquer un dispositif de subventions permettant d’orienter les décisions d’investissement locales et de préparer le pays dans le cadre de son futur développement.
Concrètement, comment envisagez-vous ce « New Deal » au niveau des autorités communales ?
Les communes doivent évaluer leur situation financière actuelle, tabler sur les moyens budgétaires mis à leur disposition à court et à moyen terme et prioriser leurs investissements en fonction de certains critères : les projets actuellement en cours, ceux pour lesquels il y a une nécessité technique, voire une obligation légale de les réaliser et ceux pour lesquels il y a une volonté politique de les mettre en oeuvre.
Depuis de nombreuses années, le rôle de MC Luxembourg est précisément d’aider nos clients communaux à établir des plans de développement stratégique, voire des « Masterplans », grâce à des analyses pluridisciplinaires et intégrées, l’élaboration de différents scénarii de développement et la déclinaison de programmes et d’actions cohérents et échelonnés dans le temps en fonction des priorités techniques et politiques, voire des moyens et ressources disponibles ou à financer.
Ainsi, parmi les investissements absolument prioritaires, on peut citer les projets d’infrastructures et d’équipements techniques, servant de base au développement continu du pays, tels que les investissements au niveau de la gestion de l’eau et des eaux usées et les projets de mise à niveau ou de modernisation des stations d’épuration. Il y a également lieu de signaler les capacités insuffisantes au niveau des structures d’accueil et d’encadrement d’enfants, carence qui, à mon avis, risque de s’accentuer avec la crise. Considérant d’autres investissements importants au niveau de certaines infrastructures d’éducation fondamentale, ces projets se doivent, pour diverses raisons, d’être analysés et mis en oeuvre dans l’optique d’une coopération renforcée entre l’accueil socio-éducatif et l’enseignement fondamental.
Au vu des hausses substantielles du coût de l’immobilier à travers le pays ces dernières années, je suis également convaincu que les besoins en matière de logements à coût modéré vont s’accentuer à l’avenir. Il faut absolument éviter que la crise sanitaire ne provoque une crise socio- économique au Luxembourg.
Les procédures administratives ne risquent-elles pas de ralentir cette dynamique de relance de l’économie ?
En effet, le critère « vitesse » est un facteur clé de succès dans la démarche, car notre économie perd chaque jour des millions d’euros.
Vers un partenariat étroit entre l’Etat et les communes
C’est pourquoi je plaide pour un partenariat entre l’État et les communes. Celles-ci sont des entités juridiques qui sont sur le terrain, disposent d’une autonomie locale, prennent des décisions rapidement et peuvent donner du travail aux entreprises, qu’elles soient locales ou non, dans le cadre d’un appel d’offres. En contrepartie, l’État, partenaire des communes, doit soutenir l’action locale, voire régionale, en simplifiant les démarches administratives et en accélérant leur processus de transformation digitale.
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